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11 avril 2011 1 11 /04 /avril /2011 06:07

Nous publions en deux sections (aujourd'hui et demain) le texte d’Amin Allal, Révoltes des marges et des ``marginalisés`` en Tunisie. De 2008 à la fuite de Ben Ali

La première section de ce texte traite des révoltes de 2008 à Redeyef, à Gafsa… Révoltes dont la configuration socio-économique (jeunes diplômés, jeunes en chômage,..), les mots d’ordre politiques (dénonciation de la corruption et de l’injustice et revendication de la liberté) aussi bien que l’absence d’encadrement institutionnel (partis politiques ou UGTT) seront également caractéristiques des révoltes (la Révolution) de janvier 2011 (deuxième section).  N. Bourougaa

__________________________

Introduction

Une géographie politique et économique rapide de la Tunisie, montre que la carte des disparités socio économiques se superpose sur la carte contestataire de ces dernières années. Dans les régions paupérisées du bassin minier de Gafsa dans le Sud Ouest dès 2008 dans le Sud Est à Ben Guerdane en 2009 et en décembre 2010 dans la région agricole de Sidi Bouzid ainsi qu’à El Kasserine dans le Centre Ouest du pays se sont déclenchés de forts mouvements protestataires. Ces actions collectives d’une ampleur et durée différentes étaient sans précédent dans la Tunisie du régime autoritaire du président Ben Ali  au pouvoir depuis 1987[1].


Ces mouvements exceptionnels de protestation cassent deux idées admises au sujet de la Tunisie : d’une part sa réussite économique, la capacité de son régime à mener la réforme néolibérale en continuant d’assurer une protection sociale de tous les citoyens tunisiens ; d’autre part, le faible degré de mobilisation dans la société tunisienne : les coûts de l’engagement s’avèrent exorbitants. En plus, le système de redistribution, réputé efficace, saperait toute velléité de protestation. Le sentiment de paupérisation qu’expriment ces mouvements, et les données tangibles sur lesquelles ils reposent, dévoilent au fond ce que la Tunisie du « miracle économique » élude : les disparités régionales, la marginalisation économique et sociale de populations importantes, exclus du système de protection car exclus des circuits de l’emploi.


Mobilisations de ces régions de l’« intérieur » donc mais aussi actions protestataires des marges urbaines. En effet, lors du « moment révolutionnaire » qui a vu la fuite de Ben Ali, il est remarquable de constater que les protestataires sont majoritairement des « jeunes » de quartiers populaires. L’indignation de ces jeunes déclassés ne pouvant aspirer à meilleures conditions a été le moteur de ces protestations.


Un double clivage générationnel et socio territorial caractérisent donc ces mobilisations protestataires. Cet article entend analyser les caractéristiques de ces protestations qu’a connues la Tunisie. En évitant le piège d’une analyse a posteriori, d’une histoire linéaire ou ces mobilisations viendraient s’agréger jusqu’au moment fatidique de la fuite de Ben Ali, notre ambition est au contraire de décrire et analyser les spécificités des lieux et des séquences historiques investigués à Gafsa en 2008 et Tunis en 2011. Le matériau empirique est un travail de terrain (observation participante et entretiens) mené depuis 2008 dans la région de Gafsa et à Tunis au début de l’année 2011.


La première partie de ce texte, est une analyse des révoltes de 2008 à Gafsa. Elle permet de constater les caractéristiques singulières d’une mobilisation protestataire « ancrée » dans des raisons d’être, des énonciations et des relations socio économiques spécifiques de la région minière. Mais en même temps cela permet de constater des points partagés avec les révoltes qui vont lui succéder : un registre de dénonciation contre la corruption, une détermination contre la fatalité du chômage, une mobilisation surtout de jeunes déclassés et une action collective peu institutionnalisée en tout cas en décalage avec la classe politique d’opposition et la direction de la Centrale syndicale. La seconde partie partira d’un récit ethnographique, d’une observation participante au cours du moment révolutionnaire. Celle-ci montrera la place nouvelle occupée par ces jeunes dans l’espace public, leur rôle, statut et affirmation... politique ?

 

 I- La trajectoire des révoltes de Gafsa de 2008 

 

 Les mobilisations massives auront duré six mois, fait des centaines de prisonniers, des dizaines de blessés et trois morts[2]. Elles ont commencé le 6 janvier 2008 suite à l’annonce des résultats du concours de recrutement de la Compagnie des Phosphates de Gafsa (CPG)[3].


La CPG, entreprise publique des industries des phosphates de Gafsa et principale pourvoyeuse d’emploi dans la région, connaît de fait un déclin depuis une vingtaine d’années. Dans le cadre de la réforme de l’entreprise suivant les standards néo libéraux, la CPG a quasiment cessé d’employer, détruisant 10000[4] emplois en vingt ans. Dans cette région, où la Compagnie constitue l’un des rares débouchés pour les aspirants au marché de l’emploi, ceci renforce la problématique du chômage, et notamment de celui des jeunes et réveille des représentations et récits collectifs anciens sur l’histoire de la dissidence de la région de Gafsa, de l’injustice qu’elle subit, du désamour de « Tunis » et de la rébellion de ses populations[5]. Cet imaginaire largement partagé par les habitants de la région ne présage pas a priori de la teneur de l’action des gens. Mais dans le contexte actuel, pour de nombreux chômeurs, il inscrit la protestation dans des registres reconnus et mobilisateurs.


Les protestataires de 2008 se sont aussi érigés contre un système clientéliste né du début de la réforme de la compagnie. Ces mobilisations montrent comment ces mécanismes d’échanges clientélistes qui fonctionnent comme des dispositifs de « redistribution » s’avèrent fragiles dans cette région où l’offre d’emploi se raréfie. En effet, depuis 1986, alors que l’entreprise dégraisse, la configuration des pouvoirs en place dans la région a petit à petit pris la forme de relations clientélistes basées notamment sur la capacité de la direction régionale de la centrale syndicale, l’Union Générale Tunisienne du Travail (l’UGTT), à participer à la sélection des candidats aux quelques emplois ouverts par la CPG. Cela ne satisfait pas les nombreux chômeurs, diplômés ou non, qui ne bénéficient pas de ces « redistributions » (car ils ne sont pas de la bonne « famille » et globalement car ce système ne peut pas intégrer ces milliers de jeunes), et qui vont être au premier rang des mobilisés.


Nous montrerons que la CPG est le nœud problématique d’une région minière paupérisée qui dans son « moment néolibéral » a produit un ordre clientéliste local qui s’érode et qui est contesté. Nous analyserons les mobilisations protestataires, ses protagonistes et la répression qu’ils ont subis et enfin les annonces faites en haut lieu pour la région : fin décrétée des problèmes de la région minière.

 

La CPG cœur problématique d’une région minière paupérisée :

 

A un peu moins de six heures de route de Tunis en direction du Sud ouest vers la frontière Algérienne, la région de Gafsa est bien loin du croissant « prospère » de la Tunisie du littoral. La Tunisie du « miracle économique»[6] telle que louée avec sa croissance soutenue (5% de croissance annuelle) basée sur une économie de services et de PME dévoile là l’envers de son décor.

Gafsa est une région minière et rurale. L’agriculture y est faible notamment à cause de l’aridité, des mauvaises conditions pluviométriques et de l’utilisation de l’eau pour les laveries de la CPG[7]. L’essentiel de l’activité tourne autour des mines de phosphate. La pauvreté est importante dans les villages surtout à l’est mais également dans les villes minières de la région[8]. Le chômage bat son plein. Le taux de chômage dans le Gouvernorat de Gafsa est l’un des plus élevé du pays, soit quasiment le double du taux national, selon les chiffres pourtant très « contrôlés » de la statistique nationale[9].


L’industrie minière qui est une mono activité industrielle et principale pourvoyeuse d’emploi est en déclin dans son insertion locale. Les quatre villes minières Redeyef, Oum Elaraïes M’dhilla et Métlaoui ont été crées ex nihilo par et pour le phosphate. Jusqu’en 1975 le plein emploi (masculin) était assuré par la CPG. La Compagnie fournissait épiceries, pharmacies, hôpital, écoles, moyens de transport, clubs de football etc. : une prise en charge quasiment intégrale de la vie sociale et économique. Entre 1975 et 1985, la distribution et la commercialisation de l’eau potable et de l’électricité, la prise en charge des commerces et banques, et autres services fournis jusqu’alors par l’OCP ont été transférés à différents opérateurs nationaux publics ou privés: la Société Tunisienne d’Electricité et de Gaz, la Société Nationale d'Exploitation et de Distribution des Eaux, le Magasin Général (chaîne de grandes surfaces tunisienne, publique jusqu’en 2007), les Banques… Jusqu’au milieu des années 80, la CPG avait besoin de bras pour ces quatre villes où quasi toute l’activité était liée aux industries minières. Elle avait aussi besoin de personnel administratif pour ses bureaux notamment à Gafsa. En vingt ans près de 10000 postes furent supprimés. Aujourd’hui, il ne reste que 5200 employés à la CPG, soit trois fois moins que dans les années 1980. En effet, à partir de 1985, la « modernisation » engagée de l’entreprise s’est traduite par la réduction du personnel et notamment l’arrêt de la création d’emploi. Le plan stratégique de réforme de la Compagnie a été pensé et financé par le Banque Mondiale dans le cadre du programme dit de « mise à niveau » de l’économie tunisienne[10]. Les crédits débloqués par l’institution financière ont alimenté le Fonds de restructuration des entreprises publiques (FREP)[11] dont la première tranche de juillet 1986 est consacrée à la réforme de la CPG.

 

Déclin donc dans les effets socio-économiques pour la région où du fait notamment de la mécanisation de la production, l’emploi baisse significativement mais pas dans la productivité et l’argent dégagé par l’industrie qui est en augmentation ces dernières années (les cours mondiaux du phosphate sont en hausse depuis 2004[12]).

Cette baisse intervient alors que l’industrie du phosphate n’a jamais vraiment bénéficiée à la région hormis en ce qui concerne l’emploi[13]. Dès les premières concessions pour l’exploitation délivrées à la fin du XIXième siècle en période de protectorat français, le système de production se traduisait uniquement en de grosses unités ouvrières d’exploitation. La pénibilité du travail est alors très importante[14], la forte concentration d’ouvriers de multiples horizons (des Souafas et des Kabyles d’Algérie, des Libyens, des Marocains mais aussi des Italiens et des Français, ces derniers occupant les postes de cadres) et l’expérience des premières grèves et de leur répression sanglante ancre à partir du 2 mars 1937 l’importance de l’action syndicale[15].

Le phosphate richesse au niveau national n’a donc pas contribué à l’enrichissement de la région qui a progressivement connu l’émergence et l’organisation de mouvements de contestation forts.

 

Aujourd’hui pour les jeunes de la région qui cherchent leur premier emploi, la CPG et la fonction publique (qui recrute aussi de moins en moins) constituent les débouchés principaux. Mais ils n’ont souvent d’autre alternative que se rabattre sur les « petits boulots » de la chaîne du commerce informel qui s’organise grâce aux quelques circulations pendulaires en Libye et avec les régions voisines d’Algérie. L’entreprise est malaisée. Par exemple, les mesures « sécuritaires » sont telles que la circulation entre la Tunisie et l’Algérie est rendue pratiquement impossible pour la plupart des jeunes de moins de 25 ans[16]. Ceux qui y parviennent vivent alors de la contrebande et de la revente d’essence, de téléphones portables et autres produits de grande consommation « made in China ». Pour la grande majorité, cela n’améliore pas significativement leur niveau de vie. Reste l’exil. Mais si partir peut constituer une meilleure alternative au chômage pour certaines régions de la Tunisie (dont les « réseaux d’émigration » mènent parfois à des « ailleurs » plus prospères), cela est relativement peu profitable pour les jeunes de la région de Gafsa d’aujourd’hui dont le voyage se termine souvent dans les quartiers paupérisés de la banlieue de Tunis[17].


Nœud problématique d’une région ouvrière et paupérisée, la CPG en déclin et l’économie qu’elle induit a produit un équilibre clientéliste spécifique ces vingt dernières années.

Ainsi, en plus des mécanismes classiques de clientélisation/contrôle des populations dans les zones paupérisées caractéristiques de l’économie politique tunisienne[18], dans le cadre de la « reconversion » de la Compagnie, un Fonds de réorientation et de développement de centres miniers (FRDCM) a été crée suivant le modèle des Charbonnages de France. Le Fonds, société d’investissement à capital risque créée en 1991, a été mis en place pour lancer les activités des petits entrepreneurs en vu de palier à la baisse des emplois. Jusqu’en 2008, ses activités demeurent marginales : au maximum 1500 bénéficiaires en comparaison des 10000 emplois détruits par la CPG. La plupart des petits entrepreneurs perçoivent les crédits comme des dons pour des activités économiques non viables. Ce « crédit garanti »[19], en suivant les chemins des réseaux clientélistes locaux, s’est surtout développé dans les zones non minières de la région pourtant la cible affichée de ce Fonds.


Un autre mécanisme de « redistribution » spécifique à la région, est celui qui s’est développé depuis une vingtaine d’années dans le cadre de la « modernisation » de la CPG. En effet, la direction régionale de l’UGTT participe dans le cadre d’une « entente amiable » avec la CPG au choix des personnes à employer dans le cadre d’un renouvellement à hauteur de 20% des départs en pré retraite. Au départ ces postes étaient censés être prioritairement donnés aux gens de la région de Gafsa, enfants des mutilés de la Compagnie, aux familles des ouvriers morts… Petit à petit cette ressource rare aux mains de quelques potentats multi positionnés de la Centrale Syndicale, dans une région au taux de chômage record, va devenir la monnaie d’échange d’un système de clientélisme politico économique restreint. Le détournement de ces objectifs va fournir un prétexte à la mobilisation de 2008 et un registre dominant de dénonciation.

 

Lire la suite : Révoltes des marges

 

 


 

[1] Les deux principaux soulèvements qu’a connu la Tunisie indépendante sont la grève de janvier 1978 et les « révoltes du pain » de janvier 1984 (voir M. Rollinde, « les émeutes en Tunisie: un défi à l’Etat? », in D. Le Saout, M. Rollinde (Dir.), Emeutes et mouvements sociaux au Maghreb, Paris, Karthala, 1999, p.113-126 et O. Lamloum dans le même ouvrage, « janvier 84 en Tunisie ou le symbole d’une transition », p.231-241). À cela il faut ajouter l’action armée de janvier 1980 à Gafsa. Toujours à Gafsa et encore en janvier mais cette fois-ci c’est sous la présidence de Ben Ali que les révoltes de 2008 éclatent.

[2] Ces chiffres représentent un enjeu politique fort et sont donc délicats à établir. Trois morts au moins sont certifiées, le nombre de prisonniers liés aux protestations est difficile à estimer car la plupart des manifestants sont rapidement relâchés après leur arrestation, ne subissent pas de poursuites judiciaires ou bien sont accusés de voie de fait, d’ébriété sur la voie publique... Il en va autrement pour les leaders du mouvement qui ont été condamnés à de lourdes peines de prison (Cf. Infra).

[3] La CPG a fusionné en 1994 avec le Groupe Chimique Tunisien qui est l’un des principaux groupes industriels en Tunisie.

[4]Tous les chiffres cités concernant la CPG sont issus d’entretiens réalisés avec des cadres de la Compagnie à Gafsa et à Tunis et avec des cadres du syndicat à Gafsa depuis 2006. Nous ne cherchons pas la précision à l’unité près mais l’analyse des ordres de grandeur.

[5] L’histoire de la région est à cet effet riche en « événements » pouvant alimenter le fier récit de la dissidence à (de) Gafsa. Ainsi, dans les entretiens et observations réalisés il a souvent été question de la lutte pour l’Indépendance qui a été importante à Gafsa, de la lutte syndicale et des révoltes de la fin des années 1970 et du début 1980 qui ont eu un grand retentissement dans la région. Sans oublier les “évènements de Gafsa” de 1980 où un commando armé a pris la ville, moment inédit dans l’histoire contemporaine de la Tunisie où une région s’est trouvée, quelques heures durant, comme « hors du pays ».

[6] Beaucoup de travaux ont critiqué à juste titre le mode de fonctionnement de cette économie tunisienne dans son articulation avec le régime politique autoritaire (voir les analyses fines de Béatrice Hibou, notamment, B. Hibou, La force de l’obéissance. Économie politique de la répression en Tunisie, Paris, La Découverte, 2006, pour une analyse de synthèse des travaux d’économie politique sur la Tunisie voir M. Camau, « Tunisie: vingt ans après. De quoi Ben Ali est-il le nom? », Année du Maghreb 2008, Paris, 2007, p.507-527) mais aussi l’essoufflement de ce système dans la donne néolibérale, Cf. S. Khiari, Tunisie, le délitement de la cité. Coercition, consentement, résistance, Paris, Karthala, 2003.

[7] L’agriculture est en constant déclin par rapport au XIXème siècle où la production d’huile, de dattes, de fruits et l’élevage étaient importants dans la région, Cf. M. Tlili, La vie communautaire dans la ville de Gafsa et les villages oasiens environnants, du début du 18 ième siècle à 1881, thèse de doctorat, 2001-2002, Faculté des sciences humaines et sociales de Tunis (en arabe).

[8] L’évolution de la pauvreté est inverse entre les villes minières où depuis les années 1990 la situation se détériore très vite et la zone agricole à l’est vers Sened réputée très pauvre qui voit sa situation s’améliorer petit à petit grâce aux politiques agricoles du début des années 90 qui ont notamment encouragé la culture sous serre moins sujette aux aléas climatiques.

[9] Voir sur le site de l’Institut National de la Statistique les chiffres issus du recensement de 2004: http://www.ins.nat.tn.

[10] Sur les processus de “mise à niveau”, voir Camau M., « D'une République à l'autre. Refondation politique et aléas de la transition libérale », Maghreb-Machrek, n°157, 1997, et Cassarino J.P., « Pédagogie et mise à niveau en Tunisie », Les Cahiers de l'Orient, 3ème trim., 1999

[11] Dans le cadre des programmes de privatisation engagés par l’Etat tunisien depuis les années 1980, plusieurs lois ont été votées. Notamment la loi n°85-109 du 31 décembre 1985 qui dans son article 79 portant sur "la création d'un fond spécial de trésor, Fond de Restructuration des Entreprises Publiques (FREP), destiné à réorganiser les prises de participation de l'Etat dans le capital des entreprises publiques, et éventuellement contribuer à la couverture des besoins d'assainissement des entreprises publiques".

[12] De façon exceptionnelle en 2007/2008 les prix du phosphate ont été multipliés par quatre.

[13]Pierre Robert Baduel (« Gafsa comme enjeu », Annuaire de l’Afrique du Nord, 1981, CNRS, Paris, p.485-511) s’interrogeait déjà après l’action armée de 1980 à Gafsa sur l’industrie minière: « une industrie stérilisante régionalement? ». Il explique: « (...) la tunisification des mines n’a pas modifié la logique de l’exploitation phosphatière typique de l’économie de traite capitaliste. Car la croissance économique qu’a permis l’entreprise minière est loin d’avoir entraîné localement le développement. La ville de Gafsa est un ‘simple couloir où rien ne s’arrête’ (Groupe Huit), elle n’a jamais réussi à s’imposer comme capitale régionale, mais est un simple relais intermédiaire de Sfax et de Tunis (...) La ligne de chemin de fer Gafsa-Sfax est l’équivalent phosphatier d’un oléoduc pour le pétrole: un système d’aspiration à distance des ressources de Gafsa ». Si depuis d’autres unités industrielles ont été installées dans la région, le constat est le même : l’industrie liée au phosphate ne bénéficie que peu à la région hormis pour l’emploi.

[14] Plusieurs travaux d’histoire en rendent compte, voir notamment A. Bouhdiba, « Les conditions de vie des mineurs de la région de Gafsa », Etudes de sociologie tunisienne, vol 1, 1968, pp. 165-233. qui parle de « fréquentation quotidienne de la mort ». N. Douggi parle de « bagne phosphatier » et de “discipline ‘minière militaire’ », N. Douggi, Histoire d’une grande entreprise coloniale : La Compagnie des phosphates et du chemin de fer de Gafsa 1897-1930, Publication de la Faculté des Lettres de la Manouba, Tunis, 1995, p. 291 et suivantes, et en arabe, H. Tabbabi, Le mouvement syndical dans les mines de Gafsa durant la période coloniale, Faculté de la Manouba, Tunis, 1995 (traduction est de moi).

[15] L’interprétation de ce tournant historique diffère chez S. Hamzaoui, «condition et genèse de la conscience syndicale en milieu rural tunisien », thèse de 3ème cycle en sociologie, Université de Paris, 1970 et dans l’article de M. Kraiem, « Les événements de Métlaoui et de M’dhilla de mars 1937 », Revue d’histoire maghrébine, n°23-24, 1981, pp. 221-242.

[16] Cette mesure tacite fait partie de plusieurs politiques de régulation du passage aux frontières dans la région. L’explication est notamment la peur de la contrebande d’engrais phosphatiers. La vente de ces produits se fait sous licence en Algérie car ils peuvent constituer des élèments pour la fabrication d’armes.

[17] On peut tout de même citer l’exemple du « réseau » de Nantes dont les émigrés sont originaires de Redeyef et ont été actifs dans leur soutien aux mobilisés. Sinon, il existe quelques filières de travail dans la maçonnerie dans la région littorale du Sahel et dans l’hôtellerie à Djerba.

[18] La Banque Tunisienne de Solidarité (BTS) et les Fonds présidentiels comme le 21 -21 et le 26 -26 sont les institutions  porteuses de ce que Béatrice Hibou (La force de l’obéissance…, op. cit., 2006, p. 222) appelle le « pacte de sécurité ». Elle explique : « La banque, dans le dispositif de pouvoir qu’est le pacte de sécurité, est à la fois une institution de protection et de sécurité et une institution de création de dépendances, de contrôle et de surveillance »

[19] L’expression est de Béatrice Hibou (2006, p.230) qui décrit ainsi le rôle de la BTS. Le même type de relations sont instituées dans le cadre du FRDCM : Le prêt est sans garantie, il est accordé après entretien avec le bénéficiaire du prêt et des informations recueillies auprès des cellules de parti, des comités de quartier, de l’assistante sociale ou du omda, ou encore directement par les rapports de police (Observations personnelles et entretiens, Gafsa 2006-2007).

[20] Des portraits de Ben Ali côtoient des slogans (plus rares) caricaturant le slogan de candidature du président comme « Ben Ali pour 2999 ».

[21] Un schéma qui opposerait cadres de l’UGTT et cadres du RCD serait réducteur car il existe des individus et des groupes mutipositionnés entre UGTT et RCD. Notamment, le puissant secrétaire Régional de l’UGTT de Gafsa qui est également député RCD. La configuration locale du pouvoir est aussi caractérisée par l’importance de différents groupes tribaux.

[22] De manière générale, le décalage entre la direction de l’UGTT et sa base s’explique par un contrôle de plus en plus serré de la centrale syndicale et au sein de celle-ci. Depuis une quinzaine d’années au moins, les cadres les plus revendicatifs de la centrale sont marginalisés sous l’effet d’une politique de clientélisation et de censure. Pour des analyses des relations entre champ politique et syndicalisme en Tunisie, voir: S. Khiari « Reclassements et recompositions au sein de la bureaucratie syndicale depuis l’Indépendance. La place de l’UGTT dans le système politique tunisien », consultable sur www.ceri-sciences-po.org/kiosque/archives/déc.2000, voir aussi : S. Hamzaoui, « Champ politique et syndicalisme en Tunisie », Annuaire de l’Afrique du Nord, 1999, p.369-381.

 

par Amin Allal

 

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