Depuis la veille, un communiqué a été rendu public par l’Union des syndicats au sein de la sécurité nationale, créée au lendemain de la révolution. Un acte qui, dès le départ, ne plaisait pas au gouvernement de Caïd Essebsi. Mais ce dernier a, jusque-là, toujours défendu les forces de l’ordre dont il a besoin pour stabiliser le pays.
Environ 2000 protestataires – selon les sources syndicales –, tous (ou presque) en tenue civile, se sont donné rendez-vous le matin devant le ministère de l’Intérieur avant de se rendre à la Kasbah de Tunis (la Bastille tunisienne). Ils se sont bien mis en évidence. Autour d’eux, dans des coins discrets, plein de bus jaunes, ceux de la police. Une autre unité qui, pour une fois, a été très passive, très compréhensive, très docile... Presque complice.
Devant l’hôpital Aziza Othmana, des passants assistent à la scène et regardent ce monde à l’envers. La chaussée grouille d’agents de police en uniforme. Un peu plus bas, la place du gouvernement est hautement gardée par des fils barbelés et, bien-sûr, par des militaires.
Les manifestants brandissent leurs banderoles estampillées de petits mots et de messages forts. Messages ou menaces, c’est tout comme... Puis, c’est le mot d’ordre. Et lorsque l’ordre est donné surtout à la police, on ne badine pas. Mais, on s’exécute.
Que réclament nos policiers? A les croire – et il est dur de les croire –, ils veulent le bien de la patrie. «Nous voulons assainir l’appareil sécuritaire miné par les symboles de Ben Ali», a dit à Kapitalis l’un des policiers manifestants. On ne peut que le croire, quoique…
Un autre enchérit : «Nous voulons la démission de ceux qui sont aux commandes du ministère»... De qui parle-t-il ? Un autre agent dresse la liste : «Le ministre de l’Intérieur Habib Essid et tous ses potes, comme Taoufik Dimassi, Nabil Abid, Moncef Lâajimi, Habib Belkamela, Yassine Thabet, Ali Jelassi». Un autre s’indigne: «Pourquoi on a kidnappé Samir Feriani ? Que tout le monde assume ce qu’il a fait ! Qu’on soit de la police ou de l’armée». Son collègue n’est pas d’accord: «Non, Feriani, c’est une autre histoire. Il a commis un délit. Il doit payer», a-t-il dit à Kapitalis, tout en insistant pour que nous n’évoquions pas le cas de leur collègue Feriani. «C’est une affaire très délicate», explique-t-il.
«Nous voulons de l’équité. Ceux qui ont tué nos collègues doivent aussi payer», précise un autre manifestant. Un autre ajoute : «Si c’est la police qui avait tué la jeune fille à Sbeïtla, tout le monde aurait voulu se venger, mais puisque c’est l’armée qui a commis cet acte, alors tout le monde se tait. Nous voulons aussi que ceux qui ont saccagé ou incendié les postes de police soient présentés à la justice».
Dehors, la tension monte d’un cran. Il y a de plus en plus de protestataires. Midi, le discours de M. Caïd Essebsi est terminé. Et c’est le début d’une colère sans fin. «On va voir c’est quoi ‘‘kamcha qrouda’’ (une poignée de singes)», expression que le Premier ministre venait d’utiliser pour qualifier les agents de l’ordre protestataires, dit un policier à son camarade. «Il dit qu’il va suspendre notre syndicat, on va voir qui va être suspendu !», ajoute un autre. Puis des cris fusent «Essebsi, dégage !»
En quelques secondes, la foule avance vers la place du gouvernement, se débarrasse des fils de barbelés et prend d’assaut l’entrée du siège du Premier ministère au vu et au su des militaires qui ne savent pas comment se comporter. Ils ont laissé faire. La porte colossale du Premier ministère a été fermée à double tour. Du coup, une femme d’un certain âge a crié de toutes ses forces, puis une fille à la fleur de l’âge. Les deux femmes pleurent, pour l’une, l’enfant et pour l’autre, le frère de 23 ans, tués par balles. On cherche de l’eau pour rafraîchir les femmes. Les protestataires crient à la vengeance des martyrs. Confusion des genres et des postures. La révolution a-t-elle changé de camp?
Il est 14 h30. Les esprits ont continué de chauffer. 15 heures, le coordinateur de l’Union des syndicats au sein de la police négocie encore avec des responsables du Premier ministère. La foule attend impatiemment le résultat des négociations. Un peu plus tard, à l’aide d’un haut parleur, l’ordre est donné. On s’exécute. Les militaires reprennent leur place et font un mur. Un barrage d’hommes en vert.
Interrogé en fin d’après-midi au téléphone, Moez Sinaoui, chargé de la communication au Premier ministère, a déclaré à Kapitalis que le Premier ministre a pu quitter le ministère vers 16 heures. «Il a voulu leur parler et il n’avait pas peur de leur parler. Nous savons que 97% des policiers, comme vient de le dire M. Caïd Essebsi, sont des gens propres. Seule une minorité, qui s’est sentie ciblée, a voulu perturber. Nous savons aussi que certaines de leurs demandes sont légitimes», a-t-il précisé sur une note de réconciliation. Réconciliation ? Le mot est fort. On n’en est visiblement pas encore là. Il y aura encore du chemin à faire…
TUNIS (AP) — Le Premier ministre tunisien Béji Caïd Essebsi a annoncé mardi que la loi sur l'état d'urgence en vigueur dans le pays serait appliquée avec fermeté après les violences qui ont secoué ces derniers jours plusieurs régions du pays.
Il a fait part de la ferme volonté du gouvernement de veiller à ce que les élections prévues le 23 octobre pour la mise en place d'une assemblée constituante aient lieu à la date prévue.
"Je proclame l'engagement du gouvernement de réaliser l'échéance électorale et faire en sorte que le scrutin soit la première consultation libre, honnête et transparente dans l'histoire de la Tunisie", a-t-il dit.
Il a déploré qu'au moment où "les choses allaient pour le mieux, que la sécurité se rétablissait, que le tourisme reprenait et que l'on s'approchait de l'échéance électorale, les problèmes se multiplient et la suspicion se propage".
"Pour que les élections aient lieu dans des conditions normales, il faut que la situation se stabilise et que la violence cesse", a-t-il averti.
M. Caïd Essebsi s'exprimait dans une adresse à la nation radio-télévisée retransmise en direct sur la situation dans le pays, après des violences survenues dans plusieurs villes du centre et du sud-ouest du pays à moins de deux mois de l'échéance électorale cruciale du 23 octobre.
A la suite de ces violences inter-communautaires qui ont fait deux morts et de nombreux blessés, le couvre-feu a été décrété dans trois villes Sbeitla, Douz et Metlaoui qui comptent parmi les plus pauvres de Tunisie.
Admettant que le pays traversait "une crise", le chef du gouvernement a précisé que des instructions avaient été données aux gouverneurs (préfets) pour l'application stricte des dispositions prévues dans la loi sur l'état d'urgence. En vigueur depuis le début du soulèvement populaire qui a conduit à la chute du régime de l'ancien président Zine El Abidine Ben Ali en janvier, cette loi n'était pas cependant appliquée avec fermeté.
Désormais les préfets auront la possibilité d'interdire toute grève et sit-in ainsi que les réunions susceptibles de troubler l'ordre public.
Le ministre de l'Intérieur pourra de son côté assigner à résidence toute personne présentant un danger pour la sécurité publique.
"Chacun devra respecter la loi, sinon la loi sera appliquée à son encontre", a mis en garde le Premier ministre.
Enumérant avec forces détails les troubles enregistrés dans plusieurs villes du pays, il a dénoncé ce qu'il a appelé des "pratiques nouvelles étrangères à la Tunisie".
"Si à chaque différend on s'entre-tue, ce n'est plus la Tunisie, c'est autre chose", a-t-il dit en qualifiant la situation de "grave". "Cela ne peut plus durer, sinon il n'y a plus d'Etat", a-t-il déclaré.
Considérant "plus grave encore" le mouvement revendicatif déclenché par la police et la garde nationale qui ont organisé mardi une manifestation devant le palais du gouvernement à la Kasbah, M. Caïd Essebsi a annoncé la dissolution des syndicats des forces de sécurité. "J'ai décidé à partir de ce jour de mettre fin à toute activité syndicale (dans le corps de la sécurité) et de traduire devant la justice tout contrevenant", a-t-il déclaré.
Affirmant que "97% du corps de la sécurité était sain", il a pointé du doigt "un groupuscule" qui veut selon lui entraver le processus de transition démocratique. AP
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