L’opposition syrienne continue à manifester contre le régime en dépit d'une répression féroce qui ne faiblit pas. Voici une présentation des principaux acteurs des deux camps.
Qui sont les Maher al-Assad, Rami Makhlouf ou encore Ali Mamlouk, les fidèles qui entourent Bachar al-Assad? Quels sont leurs rôles dans la répression? Sont-ils unis ou, sont-ils, comme les services de sécurités, dominéspar les membres du clan Assad, parfois rivaux, se contrôlantet s’espionnant?
Les particularités du régime syrien impliquent un pouvoir réel (en fonction du cercle dans lequel chacun se trouve) bien distinct du pouvoir apparent (fonction occupée). A cela s’ajoute le critère ethnique déterminant.
Hafez al-Assad, aujourd’hui décédé, puis son fils Bachar al-Assad qui s'accroche aujourd'hui par tous les moyens au pouvoir, se sont appuyés presque exclusivement sur la population alaouite, une branche minoritaire de l’islam chiite, (ils représentent environ 10 %de la population, les sunnitesétant largement majoritaires). Ils sont évidemment omniprésents dans les services de sécurité, la hiérarchie du parti Baas et celle de l'armée.
Il existe par ailleurs une opposition, respectée par la population, réprimée, qui existe depuis longtemps mais commence tout juste à apparaître. La plupart des leaders qui ont dénoncé la corruption et l’autoritarisme du régime ont été arrêtés, torturés et emprisonnés.
Les fidèles de Bachar
Leur survie et leurs privilèges dépendent du maintien au pouvoir de Bachar al-Assad.
Ne sont présents sur cet arbre généalogique que les personnes mentionnées dans l'article.
La famille proche
Maher al-Assad (1967-) C’est le frère cadet de Bachar l’un de ses plus proches conseillers. Il est chef de la garde républicaine.
Asef Shawqat (beau-frère du président), Maher al-Assad (au centre), Bachar al-Assad (à droite) lors des funérailles d'Hafez al-Assad, le 13 juin 2000. Khaled al-Hariri/REUTERS
A la différence de Bachar qui est ophtalmologiste, lui est militaire de carrière. Il est entré dans l’armée après avoir fait ses études à l’université de Damas, où il a étudié la mécanique. Il a ensuite fait ses classes pour devenir officier de la «4e division», une des unités les plus dévouées au régime. C’était le bras droit de Bassel, son frère décédéen 1994 dans un accident de voiture. Trop jeune à la mort de son père, Hafez al-Assad, en 2000, c’est son frère aîné Bachar qui a pris le pouvoir.
En 2000 Maher devient membre du comité central du parti Baas.
En 2005, il est cité avec son beau-frère, Asef Shawkat, dans un rapport de l’ONU les rendant responsables de l’assassinat de Rafic Hariri, l’ancien Premier Ministre libanais.
Depuis 1996, c’est lui qui de fait a la haute main sur l’armée . Il commande la garde républicaine (force qui protège le régime contre les menaces internes) et de fait la 4e division, même s’il ne dirige officiellement qu’un régiment. En pratique, il a plus de poids que l’officier principal dans la prise de décision (car il est frère du président!). Il s’est construit un réseau de relations au sein de l'armée et d'obligés comprenant des officiers présents (dans toutes les armes) influant dans tous les services.
On le considère souvent comme le véritable chefde la répression, l’UE a pris des sanctions contre lui en 2011 le considérant comme «le principal organisateur de la violence contre les manifestants».
Pour réprimer l'insurrection, les unités de l'armée qu'il dirige sont appuyées par la milice Shabiha (dirigée par Fawaz El-Assad et Mounzer El-Assad, des cousins de Bachar El-Assad), une milice dotée d’armes lourdes qui prend part aux violences dans les villes côtières. Cette milice donne dans le trafic d’armes et de drogue, le vol à main armée et la prostitution.
Maher est aussi réputé pour sa violence et son instabilité émotionnelle, on le surnomme «le boucher de Deraa». Beaucoup ne voient en lui que l’incarnation du frère d’Hafez al-Assad, Rifaat al-Assad qui avait massacré les frères musulmans en1982, à Hama. Il fait aussi du kick-boxing et a tiréavec un pistolet dans le ventre de son beau-frère, Asef Shawkat (marié à sa soeur Bouchra) en novembre 1999, un jour où ils se sont disputés.
Les «utiles», ou ceux dont on ne peut pas se séparer
Ali Mamlouk (1946-) Il est chef de la sécurité générale de l’Etat [sa photo est ici].
Ce sunnitea peut-être été porté au pouvoir pour apaiser les tensions avec la population (à majorité sunnite). C’est Bachar al-Assad qui l’a fait monter alors qu’il n’avait aucun lien avec la tribu, la famille ou le clan au pouvoir. Il n’est donc devenu important que par la volonté de l’actuel président.
Il commence sa carrière comme chef adjoint de la force aérienne de renseignements.
Depuis 2005 Ali Mamlouk est chef de la sécurité générale de l’Etat. En pratique il a beaucoup moins d’influencequ’Hafez Makhlouf, même s'il est son supérieur.
En 2007, il a fait l’objet de sanctions de la part des Etats-Unis pour ses «activités répréhensibles concernant le Liban, et sa suppression de la société syrienne civile et l'opposition interne». Selon un câble diplomatique américain rendu publicpar Wikileaks, il aurait participé à un programme de lutte contre le terrorisme avec les Etats-Unis en 2010.
Les dévoués qui n’ont (presque) pas d’influence
Bouthaina Shaaban (1953-) Cette alaouite est la conseillère politique et médiatique de Bachar al-Assad.
Bouthaina Shaaban, la conseillère du président Bachar al-Assad, lors d'une conférence à Damas, le 24 mars 2011. Khaled al-Hariri/REUTERS
Bouthaina Shaaban a suivi des études de littérature anglaiseau Royaume-Uni et à Damas. Elle a ensuite été la traductrice des discours d’Hafez el-Assad puis de Bachar. Elle est nommée ministre pour les expatriés de 2003 à 2008. En 2005, elle aurait fait partie des nominations possibles pour le prix Nobel de la paix (les listes restent en principe secrètes)
Elle devient ensuite conseillère politique du président dès juillet 2008. Mais elle est décrite par l’opposition syrienne comme un «perroquet de Bachar». Comme elle a traduit les discours de Bachar el-Assad pendant des années, elle s’est peu à peu imprégnée des valeurs qu’il voulait promouvoir, elle a donc acquis la confiance de Bachar.
Des discordes existent néanmoins entre Bouthaina Shaaban et Bachar el-Assad. Elle a déjà contredit plusieurs fois le président et a annoncé des projets qu’il n’avait nullement l’intention de mettre en place. Elle entretient aussi la rumeur qui veut que Bachar el-Assad ne soit pas le réel détenteur du pouvoir en Syrie. Les véritables raisons de son maintien demeurent inconnues, mais selon Ignace Leverrier, les Syriens pensent que son rôle est «d'apaiser et rassurer l'opinion publique internationale sur les bonnes dispositions du chef de l'Etat».
Elle a aussi écrit de nombreux livres et articles (sur le féminisme, la littérature...).
Une opposition qui tente d'exister
L'opposition interne
Riad Seif (1946-) Ancien député, il est réputé pour sa lutte contre la corruption.
Riad Seif, membre du parlement et leader de l'opposition syrienne, dans son bureau lors d'une interview pour Reuters à Damas, le 6 mai 2005. Khaled al-Hariri/REUTERS
Certains membres de l’opposition sont alaouites, parmi eux, Riad Seif. Cet homme d’affaires syrien a créé un atelier de confection de chemises en 1963 puis obtient la franchise Adidas en Syrie en 1993, fabriquant ainsi la production exportée vers les pays européens. Réputé pour être profondément social, cet alaouitea en effet créé une garderie pour les enfants des employés, une cantine, des transports en commun entre l'entreprise et le domicile de ses employés.
Il est devenu députéindépendanten 1994 (il sera réeluensuite pour un second mandat). Il est très vite connu pour dénoncer la corruption.
Lors de son second mandat, il sème la paniquedans l’assemblée en dénonçant l’attribution des contrats de téléphonie mobile à Rami Makhlouf (article payant), le cousin de Bachar al-Assad. Pour lui, cela constituait un cadeau à la famille royale car la Syrie connaissait un déficit en téléphonie fixe, la téléphonie mobile allait donc rapporter des milliards... qui se retrouveraient dans les poches d’un membre de la famille présidentielle!
Il perd son fils de 21 ans, Lyad, dans des circonstances mystérieuses, le 2 août 1996.
En 2000, il crée le«forum du dialogue national» (rassemblement d’intellectuels et de personnalités syriennes de la société civile qui débattent du système politique syrien). Il est arrêtépendant le «printemps de Damas» pour avoir voulu «changer la constitution de façon illégale». Il avait alors organisé un séminaire de plus de 400 personnes sous l’égide du «forum du dialogue national», sans autorisation du pouvoir. Le pouvoir avait alors signé une «autorisation spéciale» pour lever son immunité parlementaire et engager des poursuites. Il restera cinq ans en prison.
Il a fait partie des 300 opposantsà signer la «Déclaration de Damas pour le Changement National Démocratique Pacifique en Syrie», le 16 octobre 2005. Ce texte, signé par les partis de l’opposition laïque et les Frères musulmans, appelait à un changement démocratique en Syrie.
A la suite de ce texte, le Conseil national de la déclaration de Damas pour le changement national et démocratique (CNDD) a été créé, il regroupait plus de 160 activistes politiques, défenseurs des droits de l’homme, intellectuels et artistes syriens. Riad Seif en a été nommé président du secrétariat général. Le conseil s’est réuni une première foisle 1er décembre 2007, mais le pouvoir a aussitôt arrêté une douzaine de ses principaux dirigeants.
Pour cette raison, ils ont tous été condamnés à deux ans et demi de prison par la Cour pénale de Damas pour avoir «porté atteinte à l’image de l’Etat» et «propagé des informations mensongères». Alors qu'il est atteint d’un cancer de la prostate, les autorités avaient refusé de lui permettre de suivre son traitement médicamenteuxen prison.
Il a été arrêté une autre fois en 2011 lors des manifestations contre le régime, puis relâché.
Riad Seif est donc connu pour son rôle politique, mais aussi pour son rôle social. Il constitue une des personnalités d’avenir pour la Syrie en cas de chute du régime de Bachar al-Assad.
L'opposition interne
Riad al-Turk (1930-) C’est un symbole du communisme syrien, poids fort de l’opposition interne.
Le leader de l'opposition Riad al-Turk lors d'une interview, le 2 mai 2007. Khaled al-Hariri/REUTERS
Riad al-Turk a adhéré au Parti communiste en 1944. Il devient ensuite secrétaire général lorsque le Parti communiste opère une scission avec le Front national progressiste (ce front avait été créé pour intégrer tous les partis du pays avec le Baas et donner une impression de pluralisme politique) dans les années 1970. Il crée alors le PC-bureau politique (aujourd’hui rebaptisé Parti démocratique du peuple).
En 1979 il a créé, avec le Dr Jamal al-Atassi, le Rassemblement national démocratique pour les politiques qui refusaient d’adhérer au Front national progressiste.
Surnommé le «Mandela syrien», ce militant est allé en prison dans les années 1980 et y est resté 17 ans, dans une cellule individuelle, car il avait dénoncé la répression contre les Frères musulmans à Hama en 1982. Il a été ensuite remis en prison lors du «printemps de Damas» pour «atteinte à la constitution» car il incarnait la résistance du régime.
Lors de son procès, il avait refusé de parler. Après ses incarcérations, il avait déclaré à Mohammad Ali Al-Atassi, un réalisateur qui tournait un documentaire sur lui, vouloir faire un «document pour tous ceux qui prendront à leur tour le chemin de la prison», épisode que la majorité des opposants.
En 2005, il avait participé à la rédaction de la Déclaration de Damas du 16 octobre, qui réclamait un «changement démocratique et radical» du pouvoir de façon «pacifique et graduelle».
L'opposition interne
Haytham al-Maleh (1931-) Cet avocat islamiste modéré est un symbole des droits de l’homme en Syrie.
L'opposant Haithan al-Maleh lors d'une interview pour Reuters à son bureau à Damas, le 14 avril 2006. Khaled al-Hariri/REUTERS
Haytham al-Maleh est devenu avocat en 1957 après avoir suivi des études de droit international. Il a rejoint l’institution judiciaire en 1958 mais une loi spécialedécidée en 1966 [PDF] a mis fin à ses fonctions (il put quelques années plus tard exercer à nouveau, jusqu’à son arrestation en octobre 2009).
De tendance conservatrice sociale et islamiste, ce sunnitea été arrêté et emprisonné de 1980 à 1986 car il plaidait en faveur de réformes constitutionnelles. Durant sa détention, il a effectué plusieurs grèves de la faim.
Il a toujours défendu les droits des gens conformément à la loi face aux services de sécurité. Il est souvent décrit comme quelqu’un «qui n’a peur de rien», ce qui lui a valu d’être emprisonné plusieurs fois.
Lors du «Printemps de Damas», il se montrait avecRyad al-Turk, en dépit de leurs tendances politiques différentes, pour montrer l’accord qu’ils avaient dans la contestation du pouvoir.
En 2002, il a créé une association de défense des droits de l’homme en Syrie et en est devenu président.
Il a été interdit de voyager [PDF] hors de territoire syrien ces six dernières années. Et a finalement comparu devant le tribunal en 2009puis en juillet 2010. Il avait alors été condamné à trois ans de prison ferme pour «diffusion de fausses nouvelles susceptibles de porter atteinte au moral de la nation», en vertu des articles 285 et 286 du Code pénal syrien. Il avait notamment critiqué, lors de plusieurs interviews, le maintien de l’état d’urgence en Syrie ainsi que le contrôle permanent exercé par les autorités syriennes sur le pouvoir judiciaire. Il a été remis en liberté le 8 mars 2011à la suite de l’amnistie pour les plus de 70ans, décidée par Bachar el-Assad.
L'opposition interne
Facebook Son utilisation permet faire connaître ce qui se passe sur le territoire syrien
Capture d'écran de la page Facebook The Syrian Revolution 2011
Ce réseau social interdit de nombreuses fois a été rouvert par les autorités syriennes en février, peu après les premiers appels à manifester. Depuis plusieurs années, Internet a été utilisé par les autorités syriennes pour améliorer la communication politique.
Mais depuis le début des soulèvements, l’opposition et les pro-régime s’affrontent dans une réelle guerre d’image et de communication (comme nous l’indiquions dans une précédente Slate TV, des vidéos d’une extrême violence avaient mystérieusement disparu de Facebook en avril et aussi, la page Facebook du Monde.fr a été piratée par des pro-Bachar en mai). Internet reste donc à double tranchant.
Depuis le début des manifestations, les opposants ont créé de nombreuses pages Facebook comme The Syrian Revolution qui regroupe plus de 200.000 membres ou Syrian Revolution Video (en arabe); des comptes Twitter comme @RevolutionSyria; des sites internet (comme syriarevolution.comou syriarevolution.org dont les propos sont plus pacifiques que le premier), mais aussi des blogs qui se sont fait l'écho de ces manifestations.
Internet a donc permis aux manifestants de communiquer principalement des informations pour les Syriens, mais surtout de faire connaître la situation au niveau international. Cependant le phénomène des réseaux sociaux ne touche pas la majorité de la population, une grande partie croît encore aux discours de Bachar el-Assad (les soulèvements n'auraient qu'un caractère confessionnel et sont le résultat d'un complot intérieur et extérieur).
L’utilisation de Facebook n’est pas encore assez forte pour influencer réellement l'opinion.
L'opposition externe
Abdelhalim Khaddam (1932-) Ce sunnite fut le bras droit d’Hafez el-Assad puis vice-président sous Bachar. Il représente aujourd’hui une opposition syrienne en exil.
L'ancien vice-président syrien en exil lors d'une conférence à Bruxelles, le 7 avril 2011. Thierry Roge/REUTERS
Abdelhalim Khaddam a fait des études de droit et devient avocat à Damasde 1954 à 1964.
Cultivé, sa progression en politique est rapide. Il a adhéré au parti Baas à 17 ans, puis en est devenu responsable. Il est nommé gouverneur
href="http://www.rfi.fr/actufr/articles/066/article_36671.asp">
puis
ministre de l'Économie et des Finances (1969).
Lorsqu’Hafez el-Assad (alors ministre de la Défense) prend le pouvoir en novembre 1970, il est nommé ministre des Affaires étrangères. Il était réputé pour être un «pur et dur» (c’était un proche de Hafez el-Assad au moment du massacre de Hama) et pour affirmer la domination de la Syrie sur le Liban(il s’occupe du dossier libanais de 1975 à 1998). Il accède ensuite à la vice-présidenceen 1984.
A la mort d’Hafez el-Assad, en 2000, il assure l’intérim de la présidence de la République jusqu’à la victoire de Bachar el-Assad aux élections, en juillet. Il aurait dû devenir président si Hafez el-Assad n’avait pas changé la constitution pour permettre à son fils Bachar de se présenter et créer une république héréditaire.
Abdelhalim Khaddam a ensuite démissionnéen décembre 2005, officiellement après avoir critiqué la politique étrangère de Damas. Cependant, ce départ coïncide avec des désaccords avec Bachar el-Assad sur les réformes nécessaires au parti Baas et avec l’assassinat de Rafic Hariri, un de ses amis.
Il s’est exilé à Paris, où il vit toujours dans une propriété de la famille Hariri. Il incarne l’opposition en exil depuis décembre 2005, lorsqu’il a accusé le régime d’être la causede l’assassinat de Rafic Hariri sur la chaîne al-Arabya.
Il fonde en 2006 le Front de salut national syrien (FSN), une coalition d’opposants en exil qui a pour but de renverser le régime de Bachar el-Assad dont la dernière réunion s’est tenue en 2007, à Berlin.
En 2008, il est condamné par contumace par un tribunal militaire syrien pour avoir notamment «organisé un complot en vue de renverser le pouvoir politique».
Il soutient actuellement les manifestants syriens et a déclaré que Damas était «un régime basé sur des institutions sécuritaires et militaires» qui«a fait sienne la corruption». Il encourage un changement pacifique du pouvoir sans l’intervention de puissances étrangères. Il ne constitue cependant plus une alternative, il souhaite simplement participer à la chute du régime.
Fanny Arlandis
Remerciements:
Ignace Leverrier, ancien diplomate, il tient le blog «un oeil sur la Syrie» sur lemonde.fr.
Fahed al-Masry, journaliste syrien en France.
Salah Ayache, maître de conférence à Paris VII.