Après une traque qui aura duré plus d'une semaine (menée notamment par Andy Carvin, journaliste à la radio américaine NPR, Liz Henry sur son blog Composite et Ali Abunimah du blog Electronic Intifada), Amina A. a fait son "coming out". Derrière la blogueuse lesbienne syro-américaine se cachait en fait un personnage créé de toutes pièces, en 2007, par Tom MacMaster, un Américain de 40 ans vivant en Ecosse.
Dans sa dernière note sur le blog Gay Girl in Damascus, Tom MacMaster raconte comment Amina A. "a pris vie" en lui, au point qu'il "pouvait entendre sa voix". De simples interventions sur des blogs et sites de rencontre à la création du blog d'Amina A. en février, le personnage fictionnel qu'il a créé a donné naissance à un monstre pour la blogosphère.
Dans une seconde lettre d'excuses publiée sur le blog, désormais renommé "Hoax. Une imposture qui a échappé à tout contrôle", le quadragénaire reconnaît ses torts (son interview avec le Guardian sur Skype) :
"J'ai trahi la confiance de tant de gens exceptionnels, l'amitié qui m'avait été honnêtement et ouvertement donnée, et injustement joué avec les émotions des autres. J'ai détourné l'attention du monde des graves problèmes de personnes réelles vivant dans des lieux réels. J'ai potentiellement compromis la sécurité de ces personnes réelles. J'ai contribué à donner du crédit aux mensonges du régime. Je suis désolé".
UNE VOIX USURPÉE
"En créant cet 'avatar', MacMaster est devenu le porte-voix d'une classe entière de Syriens, tout en refusant aux Syriens le droit de faire entendre leur voix dans des médias internationaux déjà partiaux. MacMaster a nui aux histoires de VRAIS syriens qui risquent leur vie au quotidien en s'opposant à la dictature du régime Al-Assad", s'indignent Ali Abbas et Assia Boundaoui sur le blog Kabobfest.
Au sein de la communauté lesbienne, gay, bisexuelle et transgenre - LGBT, l'imposture de Tom MacMaster a suscité de vives réactions. Sami Hamwi et Daniel Nassar, deux Syriens qui animent le site Internet Gay Middle East l'interpellent :
"M. MacMaster, honte à vous ! Il y a des blogueurs en Syrie qui essaient de relater du mieux qu'ils peuvent les informations et les histoires du pays. Nous avons des difficultés à gérer que vous n'imaginez même pas. Ce que vous avez fait a causé du tort à tant de gens, nous a tous mis en danger et nous a rempli d'inquiétude dans la défense de notre cause LGBT. Ajoutez à cela, les doutes qui ont pu être générés sur l'authenticité de nos blogs, de nos histoires et sur nous" (Sami Hamwi).
"Vous avez confisqué ma voix, M. MacMaster, et la voix de nombreuses personnes que je connais" (Daniel Nassar).
Sur la page Facebook du groupe Free Amina Abdalla, les administrateurs avaient publié une note pour dénoncer "ce hoax stupide et cruel, qui a détourné les gens du vrai sujet en Syrie - que les Syriens sacrifient leur vie pour demander la chute du régime qui musèle, enlève, torture et tue son peuple. [...] Le monde doit être informé du courage et de la souffrance de ces Syriens innocents et les soutenir".
Car, redoutent Ali Abbas et Assia Boundaoui, cette imposture accrédite la thèse du régime syrien, selon laquelle "les soulèvements sont juste un stratagème de l'Occident. [...] Il a donné la preuve que certains récits de la révolution sont des fabrications de l'Ouest. Parce que cette révolution se joue aussi sur le terrain de la désinformation et de la vérité, chaque contribution est une bataille décisive dans laquelle le sort de tout un peuple est en jeu".
La question de la crédibilité de la Toile se pose ainsi plus que jamais après "l'affaire Amina A.", tant du côté de ceux qui l'alimentent que de ceux qui relaient leurs voix. Ethan Zuckerman, l'un des fondateurs du site Global voices qui publie des revue de blogs et de réseaux sociaux, écrit sur son blog My Heart's in Accra que "MacMaster a juste rendu la tâche plus difficile pour les gens qui ont besoin de travailler sous pseudonyme de voir leurs points de vue pris au sérieux".
Mitchell Plitnick dit ainsi, sur son blog The Third Way : Finding balance in Mideast analysis, "Sami Hamwi utilise un pseudonyme pour écrire sur son site web GayMiddleEast.com. Je suis certain que plus d'un disent aujourd'hui 'Comment pouvons-nous êtres certains que Hamwi est une personne réelle ? Si Amina était une imposture, pourquoi Hamwi n'en serait-il pas une également ?".
Or, ajoute-t-il, "les gens utilisent tout le temps des pseudonymes pour écrire. Et, grâce à MacMaster, ils ont désormais une raison supplémentaire de se demander si il devrait le faire -après tout, pourquoi risquer sa vie pour informer les gens de ce qui se passe dans des gouvernements strictement répressifs si les gens ne vont pas prendre vos propos au sérieux de toute manière ?"
"Le projet de MacMaster va compliquer le travail de quiconque essaie de faire participer au débat des voix marginales dans les médias citoyens", ajoute Ethan Zuckerman. Dans son travail, comme dans celui des journalistes et cybermilitants, une question s'est toujours posée, ajoute-t-il : "Comment savoir que ces personnes qui bloguent et twittent sont de vrais personnes ?" La célèbre blogueuse Jillian C. York, qui s'est, comme beaucoup, laissée prendre au piège d'Amina A. tente de s'expliquer comment cela a été rendu possible.
"J'ai parlé avec elle à de maintes reprises. Sa connaissance de la Syrie a resisté à tout examen. Sa personnalité en conversation privée coïncidait avec la personnalité décrite sur son blog. Des amis disaient la connaître. Nous voulions croire en elle. Nous avons vu la beauté et la tragédie dans ses histoires et nous l'avons mise sur un piédestal"
lien : http://printempsarabe.blog.lemonde.fr/2011/06/14/limposture-amina-a-decredibilise-la-blogosphere/