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21 juin 2011 2 21 /06 /juin /2011 19:11

Depuis bientôt trois semaines, le Yémen vit sans la férule du maréchal Ali Abdallah Saleh. L'homme qui préside aux destinées de l'ancienne "Arabie heureuse" depuis l'unification de 1990, après avoir dirigé la République arabe du Yémen (le Yémen du Nord) à partir de 1978, est hospitalisé en Arabie saoudite. Grièvement blessé le 3 juin dans une mystérieuse explosion, alors qu'il se trouvait dans la mosquée de son palais présidentiel, il est resté silencieux depuis son arrivée à Riyad, une situation qui alimente les rumeurs sur son état de santé.

Pour le mouvement de contestation inspiré par les printemps tunisien et égyptien qui fait de son départ immédiat un préalable, cet empêchement a tout de l'aubaine. Avant son départ précipité, cet homme que la majorité des Yéménites a toujours connu au pouvoir ne comptait pas abdiquer. Le 22 mai, pour la troisième fois, il avait d'ailleurs repoussé un plan de sortie de crise concocté par le Conseil de coopération du Golfe (CCG) et qui scénarisait son retrait, trente jours après la signature dudit document, en échange d'une amnistie pour lui et les membres de sa famille, nombreux dans les organes de sécurité du pays.

Le système de pouvoir mis en place par le président Saleh était-il le pire à l'exclusion de tous les autres ? C'est la thèse que lui-même et ses proches développaient ces dernières semaines pour tuer dans l'oeuf toute idée de transition, en mettant l'accent sur un particularisme yéménite justifiant un mode de gouvernement parfois baroque, comme l'ont montré les câbles diplomatiques américains révélés par WikiLeaks. En dépit de leurs réserves sur le personnage, de nombreux responsables occidentaux ont longtemps semblé convaincus de la nécessité de soutenir leur allié yéménite pour éviter une "somalisation" du pays. Car les similitudes sont grandes de part et d'autre du golfe d'Aden.

Si la dissolution de l'Etat n'a pas atteint au Yémen la sorte de perfection funeste produite à Mogadiscio par vingt ans de guerres en tous genres, de puissantes forces centrifuges y sont déjà en marche, avec tout d'abord la poussée du sentiment sécessionniste au Sud, quinze ans après une première guerre civile. Ce sentiment sécessionniste s'appuie sur la dénonciation d'une "occupation du Nord", plus peuplé que l'ex-République démocratique populaire du Yémen (Yémen du Sud). Seule une forte mais complexe réponse institutionnelle semble capable d'enrayer ce mécanisme.

Dans les provinces du nord-ouest du pays, frontalières de l'Arabie saoudite, les sept années de guerre entre les forces yéménites et la guérilla conduite par Abdel Malek Al-Houthi ont laissé également des plaies béantes. S'ajoute enfin le poids du djihadisme, qu'il soit incarné par Al-Qaida pour la péninsule arabique (AQPA) ou par des groupes dont les liens avec "la Base" restent difficiles à décrypter.

Ces mouvements qui poussent au délitement du pays reposent sur un terreau social favorable. La population (25 millions d'habitants) du Yémen, pays qui compte parmi les plus pauvres du monde, va doubler dans les quinze ans à venir. Cette croissance incontrôlée rendra encore plus critique une situation économique déjà inquiétante, des classes toujours plus nombreuses accédant à un marché de l'emploi saturé, et accentuera une crise de l'eau déjà latente.

Dans ce contexte très tourmenté, quel a été le rôle du président Saleh, au cours de ses dernières années de pouvoir ? Dans la crise sudiste, la manière forte privilégiée contre les protestataires a attisé les flammes du séparatisme. Le président a aussi sa part de responsabilité dans l'échec des cessez-le-feu avec la rébellion houthiste.

Quant à son instrumentalisation des groupes armés islamistes, elle est récurrente : avérée lors de la guerre contre la tentative de sécession sudiste de 1994, suspectée dans les retraits des forces armées régulières constatés ces dernières semaines dans le sud de pays, comme à Zinjibar, dans la province d'Abyan. Ainsi, loin d'être un bouclier contre une "somalisation" de son pays, le président Saleh semble au contraire l'avoir accélérée par des choix tactiques de très court terme.

Mais en dépit d'un pluralisme politique qui fait du Yémen une exception régionale, les alternatives manquent alors qu'un empêchement durable du président n'est plus à exclure. Une bonne partie de ses adversaires d'aujourd'hui ont gravité dans son orbite avant de rejoindre les contestataires, épousant ses travers, ce qui explique la profonde défiance qui existe entre ces ralliés, pour certains puissants comme le général Ali Mohsen ou le clan tribal des Al-Ahmar, et le noyau dur des "indignés" yéménites, ce creuset de la place du "Changement", à Sanaa, dans lequel se fondent les appartenances, qu'elles soient tribales ou autres.

Ces "indignés" auraient grand besoin de soutiens extérieurs, mais ces derniers ne peuvent venir que d'acteurs perclus de contradictions, qu'il s'agisse des Occidentaux, concentrés sur la guerre contre le terrorisme, ou des riches membres du CCG, fondamentalement peu disposés à favoriser l'éclosion d'une société civile dont ils ne voudraient à aucun prix chez eux.


paris@lemonde.fr

 

Gilles Paris (Service International)

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