L’avant-projet de Constitution « prépare les conditions d’un blocage »
Depuis le 16 janvier, l’Assemblée constituante débat de l’avant-projet de Constitution élaboré par les différentes commissions. Le texte qui doit institutionnaliser les acquis démocratiques de l’après 14 janvier inclut de nombreuses garanties pour pour les libertés, mais soulève pourtant de nombreuses critiques.
Les limites à la liberté d’expression n’ont finalement pas été retenues et la notion très controversée de complémentarité entre hommes et femmes ne figure plus dans le texte.
Mais plusieurs points font encore polémique. Entre autres :
- L’article 15 qui accorde aux traités internationaux, une valeur inférieure à la Constitution, et pourrait remettre en question le respect par la Tunisie des traités qu’elle a ratifiés.
- L’article 16 qui laisse la possibilité à la peine de mort
- L’article 95 qui ouvre la possibilité à l’Etat d’autoriser des groupes armés privés (le projet d’article a été révisé le 21 janvier).
Par ailleurs, les contours du futur régime sont encore incertains. Zied Laadhari (Ennadha), vice-président de la Commission des pouvoirs exécutifs et législatifs reconnaît :
« Je n’hésite pas à parler d’échec. La méthode choisie ne nous a pas permis d’avoir un débat général sur le type de régime que nous voulions. Faute d’avoir eu ce débat avant, nous avons dû le recommencer pour chaque article, et aboutir à des compromis en fonction de majorités variables.
Le résultat est un texte inabouti et incohérent sur la question du régime politique. »
En un an, c’était infaisable
La procédure elle-même semble s’éterniser. L’Assemblée constituante vient de commencer son premier débat en plénière sur la Constitution, mais ils s’agit d’une discussion sur chaque partie, sans vote. Il faudra encore intégrer les contributions de la consultation nationale tenue depuis mi-décembre auprès de la population, avant d’élaborer en commissions une nouvelle mouture du projet qui sera ensuite discutée article par article en séance plénière.
Selon Amira Yahyaoui, l’une des fondatrices de l’association Al Bawsala qui anime un observatoire de la Constituante (Marsad), le délai d’un an n’était pas réaliste :
« C’était une erreur de faire croire aux Tunisiens que l’on pouvait rédiger la Constitution dans un délai aussi court dès lors qu’il s’agit d’une assemblée élue. Elle est à l’image de la société, elle n’a pas de base juridique, pas de culture politique. Or, elle doit voter des choses aussi technique le budget de l’Etat. C’est normal que tout cela prenne du temps.
Mais plus on prend du temps pour rédiger le texte, plus la société civile bouge, et plus le contenu s’améliore. »
L’esprit comptera plus que le texte
Kais Saied, professeur de Droit constitutionnel, l’une des références dans la débat tunisien, émet un avis très mitigé sur cette première du version du texte. Entretien.
Kais Saied, professeur de Droit constitutionnel (Thierry Brésillon)
Rue89 : Comment évaluer le texte dans son ensemble ?
Kais Saied : Les constituants ont voulu traiter de trop de sujets, comme si la Constitution était la solution à tous les problèmes, et ce n’est pas très réussi. Une Constitution devrait s’en tenir aux grands principes et laisser au législateur le soin de les appliquer.
Mais dans le contexte politique très polarisé du moment, chaque camp veut sécuriser ses positions. Malgré tout, certains problèmes de fond demeurent, comme sur le droit à la vie et la peine de mort, ou la liberté religieuse… Et les compromis plus ou moins clairs élaborés en commission vont être à nouveau débattus en plénière. Nous sommes encore à la case départ.
Quels sont les contours du futur régime politique ?
Le principe retenu, c’est un régime parlementaire avec un chef de l’Etat élu au suffrage universel, doté de prérogatives fortes.
Mais à ce stade, le texte n’a pas tranché sur le rôle du président de la République (arbitre, co-décideur avec le Premier ministre ou détenteur de pouvoirs propres). L’avant-projet contient plusieurs versions du même article et certains compromis sont intenables. Il est prévu, par exemple, que ce soit le chef de l’Etat ou le Premier ministre qui préside le conseil des ministres selon que l’ordre du jour porte sur les sujets de compétence de l’un ou de l’autre (article 78). Que fera-t-on quand l’ordre de jour portera sur des sujets qui sont de la compétence de deux ?
Le chef de l’Etat est le chef suprême des forces de police. C’est une innovation. Pourquoi ne pas dire qu’il dispose de l’administration ?
En fait, les constituants ont fait du sur-mesure comme si les dirigeants en place allaient rester pour toujours. La répartition des pouvoirs a été déterminée par des enjeux de circonstance. Ce texte crée les conditions d’un blocage.
La relation entre l’Etat et la religion est-elle claire ?
Ennahdha a renoncé à mentionner la charia et conservé la formulation de l’article 1er de la Constitution de 1959, qui stipule que la religion de la Tunisie est l’islam. C’est une formulation volontairement ambivalente entre le constat identitaire et la proclamation de l’islam comme religion d’Etat.
En revanche, l’article 148 prévoit que la révision ne peut pas remettre en question l’islam comme religion de l’Etat. Or, dans l’esprit des députés islamistes, « Religion de l’Etat » signifie bien que le droit positif ne peut pas aller à l’encontre de la charia.
La Tunisie a vécu avec l’ambivalence de l’article 1er depuis plus de 50 ans. La pression est forte pour en sortir. Mais ce débat risque de mener le processus constitutionnel dans l’impasse. Il serait plus sage de trouver un terrain d’entente et de laisser les législateurs et les juges régler ces questions au cas par cas.
Dans le contexte politique actuel, nous n’avons pas la possibilité de trancher cette question. Les deux camps doivent faire cette concession d’admettre qu’il est préférable de maintenir l’ambigüité.
Par ailleurs, Il est précisé dans l’article 4 que les campagnes partisanes sont interdites dans les mosquées et les lieux de culte. Mais quelle est la frontière entre le politique et le partisan ? Les religions ont toutes des exigences de justice et de dignité, il est difficile de ne pas évoquer des sujets d’intérêt général dans les prêches. Mais avec un parti religieux au pouvoir, c’est problématique.
L’essentiel est que l’Etat garde le contrôle des mosquées pour veiller à leur neutralité et éviter leur récupération par les franges radicales. C’est vrai que cela peut créer des tensions, mais la société civile à un rôle à jouer.
Enfin, la proposition d’un conseil islamique chargé de vérifier la conformité de la loi avec la religion a été retirée. Mais il est certain qu’elle va revenir au débat en plénière. Si la proposition devait être retenue, il faudrait voir quelles seraient ses attributions.
La ligne rouge, c’est le contrôle de la loi, a priori ou a posteriori. Cela remettrait en cause le principe fondamental de la souveraineté du peuple. Au maximum, un tel conseil pourrait émettre un avis consultatif. Mais les relations entre les institutions entre les textes ne sont pas déterminées que par les textes.
Le champ des libertés va-t-il progresser grâce à ce texte ?
C’est difficile à dire. L’avant-projet inclus désormais les droits économiques et sociaux, en ce sens il y a un progrès. Mais un texte c’est d’abord un esprit. Or l’esprit général est marqué par l’ambigüité.
Pour l’instant, le débat semble dominé par le désaccord central entre universalité des droits de l’Homme et particularisme culturel avec le respect de l’identité, défendue notamment par Ennahdha. Même s’il existe certainement des positions divergentes au sein du parti, les structures du parti ont décidé d’adopter cette position.
Les débats actuels sont les mêmes que la Tunisie a connu entre 1956 et 1959, mais avec plus d’acuité et, à l’époque, Bourguiba a pesé dans le sens d’un dépassement de la tradition. Les droits et libertés étaient déjà dans la Constitution de 1959.
Le paradoxe, c’est qu’avec lecture moderne des droits de l’homme, le régime a instauré une dictature dans lesquels ils n’étaient pas respectés. A l’inverse, il possible qu’un Etat moins fort, même avec une lecture plus ambiguë, soit plus protecteur pour les droits et libertés. L’interprétation du texte, et notamment la lecture de l’article 1er dans l’application du droit, sera plus déterminante que la lettre de la Constitution.
La nature démocratique du régime sera-t-elle durablement établie grâce à ce texte ?
Le véritable caractère démocratique d’un régime ne réside pas dans la Constitution, mais l’acceptation de chacun de cohabiter avec l’autre et dans l’intériorisation des valeurs. On ne bâtit pas un régime démocratique sans en accepter profondément les valeurs.
Le problème est qu’aujourd’hui les principales forces ont le sentiment d’être engagées dans une bataille existentielle. La démocratie est en danger si chacun pense qu’une échéance électorale décide de sa vie ou de sa mort politique. On peut craindre que cela ouvre la porte à des comportements extrêmes, de part et d’autre.
La plupart des Tunisiens n’ont rien à voir avec ces querelles. Il faut garder à l’esprit que les dynamiques profondes de ce pays ne seront pas remises en question. C’est un pays modéré et ouvert par son passé et sa géographie. Ni un texte, ni des élections ne pourront changer le cours de l’histoire ni changer la place de la Tunisie au cœur de la Méditerranée. rue89
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Les vulnérabilités de la Constitution selon le Parti Pirate
Le Parti Pirate a scanné le dernier brouillon de la Constitution publié par l’Assemblée Nationale Constituante. Et voici qu’il affirme avoir décelé pas moins de 80 articles défectueux sur les 149 qui constituent la Constitution. Il précise dans un communiqué diffusé ce mardi 22 janvier, que «parmi les articles défectueux 25 font référence à la loi commune, ce qui reproduit l’une des failles majeures de l’ancienne constitution». Gare aux chevaux de Troie !
Voici les principales recommandations du Parti Pirate pour éviter que des virus n’infectent la Constitution tunisienne.
Pourquoi la Constitution ne doit pas faire référence à la loi?
- Parce qu’une loi peut changer. Et la loi référencée par la constitution adopte un caractère constitutionnel a priori. En d’autres termes, un tribunal constitutionnel aura du mal a statuer sur ce genre de lois, puisqu’elles sont bénies par la Constitution. La Constitution s’en trouve affaiblie.
- Parce qu’il n’y a pas besoin. Tous les articles de la constitution peuvent être précisés par des lois sans qu’il y ait besoin que la constitution y fasse référence à priori. Le texte de la constitution doit être autonome mais n’a pas besoin de tout préciser.
Autres défauts majeurs :
- Les députés ne représentent plus le peuple. Le terme “représenter” a été évincé de tout le texte. Et du nom même du parlement qui passe de “parlement des représentants” à “parlement du peuple”.
- Certains Articles disent qu’on ne peut pas changer certains autres Articles. Ces articles eux-mêmes peuvent changer
Art. 16 : Le droit a la vie n’est pas absolu, il est limité par la loi
Art. 18 : Le droit à la vie privée peut être retiré sans l’intervention d’un juge
Art. 35 : Les citoyens qui n’ont pas de revenu sont obligés de payer des taxes
Art. 37 : L’Etat garantit l’égalité des chances entre femme et homme uniquement pour les obligations pas pour les droits
Art. 53 : On ne peut pas poursuivre un député pour ce qu’il a fait pendant son mandat même pas après son mandat s’il arrive a justifier qu’il était dans l’exercice de son travail
Art. 56 : Permet au parlement de déléguer son pouvoir au Premier Ministre. Sans préciser dans quel cas
Art. 90 : L’assemblée ne peux pas interroger le gouvernement
Art. 95 : Le militaire ou le policier est protégé qu’il choisisse d’appliquer les ordres (illégitimes) ou de ne pas les appliquer
َArt. 118 : La cour constitutionnelle n’est pas indépendante. Elle est faite de 4 membres proposés par le président, les autres 20 membres sont directement ou indirectement issus de la majorité du parlement
Art. 127 : Commission élections élue par le parlement pour 6 ans alors que le parlement est élu pour 4 ans. Ils veulent s’assurer les prochaines élections?
Art. 132 : Référence à la loi dans les subdivisions du territoire. Un parti peut subdiviser le pays en regions qui lui sont favorables pour garder ses sièges
Art 144 : Il n’ y a pas de possibilité de pétition pour changer la constitution.
Dans ce contexte, le Parti Pirate recommande :
- De supprimer simplement toutes les références à la loi (le texte reste cohérent dans tous les cas)
- De corriger les articles défectueux quand cela est possible
- De supprimer tous les textes qui ne trouvent pas un consensus au sein de la constituante. La constitution s’en trouvera allégée mag14
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La grève des enseignants réussie à plus de 92% selon l’UGTT
La grève des enseignants serait une réussite totale, selon les premières estimations, déclare Lassâad Yaâcoubi, secrétaire général du syndicat de l’enseignement secondaire (UGTT), sur les ondes de Shems Fm, mardi 22 janvier 2013, affirmant qu’il est possible d’atteindre un record historique à cette occasion.
« Le taux de participation a dépassé toutes nos espérances et est même supérieur à celui de la grève précédente qui avait réuni 92% du corps enseignant ». Cette grève était, selon M. Yaâcoubi, un message adressé au ministre de l’Education, répondant ainsi à ses tromperies.
Le ministre de l’Education, Abdellatif Abid, également sur les ondes de Shems Fm, a répliqué aux déclarations de M. Yaâcoubi considérant qu’ « il n’existe pas de grève réussie et qu’une grève est, par définition, une preuve de l’échec d’un consensus ». Selon M. Abid, cette grève aurait pu être évitée si le syndicat, qu’il accuse d’avoir un agenda politique, a compris que les revendications, rejetées par le ministère, sont abusives. businessnews
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