Pour son troisième discours depuis le début de la révolte syrienne, le président Bachar Al-Assad avait choisi l'université de Damas. Un discours très attendu, après un silence de deux mois depuis le dernier discours du 16 avril. Le ton a changé, notent les cybermilitants. L'Egyptien Issandr Al-Amrani, auteur du blog The Arabist, le trouve même "mal à l'aise et nerveux, plus de blagues et de fanfaronnades".
Qu'est-ce qui a motivé le président syrien à sortir de son silence ?, s'interroge la Toile. Leif Eriksson, auteur du blog Other Suns, estimait, avant le discours, que son calendrier et son contenu pourraient bien être déterminés par la pression internationale. D'une part, "la condamnation par [le premier ministre turc Reccip Tayep] Erdogan et les discussions 'franches et transparentes' avec l'émissaire syrien Hassan Turkmani".
Et d'autre part, la réunion des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne au Luxembourg le même jour pour discuter de nouvelles sanctions contre le régime syrien. L'éventualité de ces sanctions, qui a déjà motivé l'homme d'affaires Rami Makhlouf à se retirer des affaires, pourrait avoir de fortes répercussions sur l'économie syrienne, déjà plongée dans le chaos, estime-t-il.
Le discours du président Bachar Al-Assad, le 20 juin 2011 (en arabe).
"RIEN DE NOUVEAU"
"Le discours du président est intervenu après un long laps de temps, pendant lequel aucun responsable syrien ne s'est adressé au peuple, et il constitue seulement une redite des discours précédents - y compris des promesses qui ne se sont pas matérialisées, des accusations et menaces voilées", ont immédiatement réagi lesComités de coordination locale en Syrie, principal organe de coordination de la révolte en Syrie (voir communiqué en arabe ici).
Sur le blog Syria News Wire, on estime également que "de nombreux espoirs ont été douchés pendant ce long discours"."Il a promis une réforme électorale (on a déjà entendu ça avant), de nouvelles campagnes anti-corruption (on a déjà entendu ça) et un dialogue national (on a déjà entendu ça). Rien de nouveau ici", commente l'auteur du billet.
Un constat partagé par Issandr Al-Amrani, pour qui ce n'était "ni un discours technocratique, ni celui d'un chef ou d'un politicien. Il est apparu décousu et même faible. Son contenu était vague et n'a simplement pas répondu à la sérieuse crise entre le peuple syrien et son Etat".
UN PRÉSIDENT "AVEUGLE"
Ce discours était "si éloigné de ce que les manifestants voulaient entendre", s'étonne le blog Syrian News Wire. Effectivement, pour les Comités de coordination locale en Syrie, "[le président Al-Assad] est resté aveugle [...] à la volonté et au désir des Syriens d'une transition vers un pays pluraliste, libre et démocratique". Ils voient dans ce discours "une consécration de la crise par le régime, qui oscille entre le déni et l'aveuglement face à la nouvelle réalité imposée par la révolte ininterrompue des Syriens et qui se poursuivra jusqu'à ce qu'ils aient obtenu leurs droits".
Notamment, note Issandr Al-Amrani, "il n'y a pas eu de geste marquant, comme rappeler les forces de sécurité ou prendre en compte la situation des réfugiés en Turquie. [...] Assad a fait un geste de conciliation sans grand enthousiasme qui n'a simplement pas convaincu". Les comités de coordination locale ont ainsi dénoncé"l'indifférence" du président syrien face aux crimes perpétrés par les services de sécurité.
L'appel au dialogue national n'a pas plus convaincu le camp des contestataires. Le président syrien a appelé à la mise en place d'une commission de dialogue national pour préparer les réformes, constituée de 100 personnalités issues de tout l'éventail politique. "Nous ne savons pas qui est censé prendre part à ce dialogue national (bien que j'ai entendu que le dissident historique Michel Kilo pourrait y prendre part)", commente Issandr Al-Amrani.
Pour les comités de coordination locale en Syrie, cet appel au dialogue national est"une façon de gagner plus de temps au détriment des sacrifices et du sang des Syriens". Ils ont réitéré leur "refus de tout dialogue à la lumière de la poursuite des meurtres, de l'intimidation, du siège des villes et des arrestations arbitraires".
DES MANIFESTATIONS EN RÉPONSE
"La véritable réponse à ce discours est venue du peuple, juste après le discours, en quelques minutes, quand les manifestations ont commencé dans différentes villes et provinces", saluent les Comités de coordination locale en Syrie, qui tiennent à jourune carte de la contestation.
Ainsi, selon le directeur de l'Observatoire syrien pour les droits de l'homme, Rami Abdel Rahman, des manifestations ont aussitôt eu lieu à l'université d'Alep, dans la province d'Idlib et à Homs. Des manifestants sont descendus par milliers dans les rues de Hama, selon des militants locaux, puis à Lattaquié. Les militants de l'opposition affirment ainsi être plus que jamais mobilisés pour obtenir la chute du régime, l'organisation d'élections libres et la fin de la domination du parti au pouvoir, le Baas.
Manifestation dans la ville de Hama, le 20 juin 2011.
Un appel a été lancé, sur la page Facebook The Syrian Revolution 2011, à manifester mardi 21 juin en soutien aux réfugiés syriens en Turquie (voir affiche ci-dessus). Par ailleurs, les cybermilitants ont lancé, sur la page Facebook du groupe Blogging Day for #Syria, un appel pour que la journée du 24 juin soit dédiée à la Syrie sur tous les réseaux sociaux.