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1 mai 2011 7 01 /05 /mai /2011 06:08
par Michel Chossudovsky

Il ne s’agit pas d’un mouvement de protestation non violent comme ceux de l’Egypte et de la Tunisie. Les conditions en Libye sont fondamentalement différentes. L’insurrection armée dans l’est de la Libye est directement soutenue par des puissances étrangères. Les insurgés à Benghazi ont immédiatement hissé la bannière rouge, noire et verte avec le croissant et l’étoile: le drapeau de la monarchie du roi Idris, symbolisant le règne des anciennes puissances coloniales.1Les conseillers militaires et les Forces spéciales des Etats-Unis et de l’OTAN sont déjà sur le terrain. L’opération a été planifiée pour coïncider avec les manifestations dans les pays arabes voisins. On a fait croire à l’opinion publique que le mouvement de protestation s’est étendu spontanément de la Tunisie à l’Egypte et ensuite à la Libye.L’administration Obama en consultation avec ses alliés assiste une rébellion armée, à savoir, une tentative de coup d’Etat:«L’administration Obama reste prête à offrir ‹tout type d’assistance› au Libyens cherchant à déloger Mouammar Kadhafi», a affirmé la secrétaire d’Etat Hillary ­Clinton [le 27 février]. «Nous avons contacté de nombreux Libyens de différents horizons qui tentent de s’organiser à l’est et à l’ouest, à mesure que la révolution avance également dans cette direction. Je crois qu’il est trop tôt pour dire comment cela va se dérouler, mais les Etats-Unis seront prêts et préparés à offrir tout type d’assistance souhaitée.» Dans la partie Est du pays, là où la rébellion a débuté au milieu du mois, les efforts visant à former un gouvernement provisoire sont en branle.» Clinton a affirmé que les Etats-Unis menacent de prendre d’autres mesures contre le gouvernement de Kadhafi, mais n’a pas mentionné leur nature ou quand elles seraient annoncées.Les Etats-Unis devraient «reconnaître le gouvernement provisoire que l’on est en train de mettre sur pied [...]» [John McCain]Le sénateur Joseph Lieberman s’est exprimé en des termes similaires, préconisant «un appui tangible, [une] zone d’exclusion aérienne, la reconnaissance d’un gouvernement révolutionnaire, le gouvernement des citoyens, ainsi qu’un appui sous forme d’aide humanitaire et d’armes».2

L’invasion planifiée

 

Une intervention militaire est maintenant envisagée par les forces des Etats-Unis et de l’OTAN en vertu d’un «mandat humanitaire».«Les Etats-Unis sont en train de repositionner leurs forces navales et aériennes dans la région» pour préparer «leur gamme complète d’options» à l’égard de la Libye: c’est ce qu’annonce hier (mardi 1er mars) le porte-parole du Pentagone, colonel de marines Dave Lapan. Il a ainsi dit que «c’est le président Obama qui a demandé aux militaires de préparer ces options», car la situation en Libye empire.3 Le véritable objectif de l’«Opération Libye» n’est pas d’instaurer la démocratie mais de prendre possession des réserves de pétrole du pays, de déstabiliser la Compagnie pétrolière nationale de Libye (CPN ou NOC en anglais) et de privatiser tôt ou tard l’industrie pétrolière du pays, c’est-à-dire transférer le contrôle et la propriété de la richesse pétrolière libyenne dans des mains étran­gères. La CPN est au 25e rang des 100 compagnies pétrolières les plus importantes.4 La Libye est l’une des plus impor­tantes économies pétrolières au monde, avec approximativement 3,5% des réserves mondiales de pétrole, plus du double de celles des Etats-Unis. L’invasion planifiée de la Libye, laquelle est déjà en cours, fait partie de la plus vaste «bataille du pétrole». Près de 80% des ré­serves pétrolières de la Libye se situent dans le bassin du golfe de Syrte dans l’est du pays. Les hypothèses stratégiques derrière l’«Opération Libye» évoquent les engagements militaires des Etats-Unis et de l’OTAN en Yougoslavie et en Irak.En Yougoslavie, les forces des Etats-Unis et de l’OTAN ont déclenché une guerre civile. Le but était de créer des divisions ethniques et politiques, lesquelles ont finalement mené à l’éclatement d’un pays entier. Cet objectif a été atteint par la formation et le financement clandestin d’organisations paramilitaires armées, d’abord en Bosnie (Armée bosniaque, 1991–95) puis au Kosovo (Armée de Libération du Kosovo (ALK), 1998–1999). La désinformation médiatique (incluant des mensonges purs et simples et des fabrications) a été utilisée à la fois au Kosovo et en Bosnie pour appuyer les affirmations des Etats-Unis et de l’Union européenne voulant que le gouvernement de Belgrade ait commis des atrocités, justifiant ainsi une intervention militaire pour des raisons humanitaires.Ironiquement, l’«Opération Yougoslavie» est maintenant sur les lèvres des responsables de la politique étrangère des Etats-Unis: le sénateur Lieberman a «comparé la situation en Libye aux événements dans les Balkans dans les années 1990 lorsqu’il a dit: les Etats-Unis «sont intervenus pour arrêter un génocide à l’endroit des bosniaques. Et ce que nous avons fait en premier lieu a été de leur fournir des armes pour qu’ils se défendent. Je crois que c’est ce que nous devrions faire en Libye».5 Le scénario stratégique consisterait à faire des pressions en faveur de la formation et de la reconnaissance d’un gouvernement intérimaire dans la province sécessionniste dans le but de faire éclater le pays tôt ou tard.Cette option est déjà en cours. L’invasion de la Libye a déjà débuté.«Des centaines de conseillers militaires étasuniens, britanniques et français sont arrivés en Cyrénaïque, la province séparatiste de l’est de la Libye [...] Les conseillers, incluant des agents du renseignement, sont débarqués des navires de guerre et des bateaux lance-missiles dans les villes côtières de Benghazi et Tobrouk.»6 Les Etats-Unis et les Forces spé­ciales alliées sont sur le terrain dans l’est de la Libye et fournissent un appui clandestin aux re­belles. Cela a été admis lorsque des commandos des Forces spéciales SAS britanniques ont été arrêtés dans la région de Benghazi. Ils agissaient à titre de conseillers militaires pour les forces de l’opposition:«Le Sunday Times révèle aujourd’hui qu’alors qu’ils étaient en mission secrète pour mettre des diplomates britanniques en contact avec des opposants majeurs du colonel Mouammar Kadhafi en Libye, huit commandos des Forces spéciales britanniques ont été humiliés après avoir été détenus par des forces rebelles dans l’est de la Libye.Les hommes, armés, mais en tenue civile, ont affirmé qu’ils étaient là pour vérifier les besoins de l’opposition et offrir de l’aide.»7 Les forces SAS ont été arrêtées alors ­qu’elles escortaient une «mission diplomatique» britannique entrée au pays illégalement (sans aucun doute à bord d’un navire de guerre britannique) pour discuter avec les chefs de la rébellion. Le Foreign Office britannique a admis qu’«une petite équipe diplomatique britannique [avait été] envoyée dans l’est de la Libye pour prendre contact avec l’opposition soutenue par des rebelles».8 Ironiquement, les reportages confirment non seulement une intervention militaire occidentale (comprenant des centaines de forces spéciales), ils reconnaissent également que la rébellion était fermement opposée à la présence illégale de troupes étrangères en sol libyen:«L’intervention des SAS a irrité les opposants libyens qui ont ordonné que les soldats soient enfermés sur une base militaire. Les opposants de Kadhafi craignent qu’il utilise toute preuve d’interférence militaire occidentale pour former un appui patriotique en faveur de son régime.»9 Le «diplomate» britannique capturé avec sept soldats des Forces spéciales était un membre du service de renseignement britannique, un agent du MI6, en «mission secrète».10 Des armes sont fournies aux forces de l’opposition et cela est confirmé par des déclarations des Etats-Unis et de l’OTAN. Malgré l’absence de preuves établies à ce jour, des signes indiquent que des armes ont été livrées aux insurgés avant l’attaque contre la rébellion. Selon toute probabilité, des conseillers militaires et du renseignement des Etats-Unis et de l’OTAN étaient également sur le terrain avant l’insurrection. C’est le modèle appliqué autrefois au Kosovo: des forces spéciales ont entraîné et soutenu l’Armée de libération du Kosovo (ALK) dans les mois précédant la campagne de bombardement et l’invasion de la Yougoslavie en 1999.Toutefois, alors que les événements se déroulent, les forces du gouvernement libyen ont repris le contrôle des lieux détenus par les rebelles:«L’importante offensive lancée par les forces pro-Kadhafi [le 4 mars] pour arracher des mains des rebelles le contrôle des villes et des centres pétroliers les plus importants de la Libye leur a permis de reprendre la ville clé de Zawiya [le 5 mars] et la plupart des villes pétrolières autour du golfe de Syrte. A Londres et Washington, des pourparlers d’intervention militaire aux côtés de l’opposition libyenne ont été mis en sourdine lorsque l’on a réalisé que le renseignement sur le terrain, des deux côtés du conflit, était trop sommaire pour servir de base à la prise de décision.»11 Le mouvement d’opposition est fortement divisé sur la question d’une intervention étrangère.Il y a division entre le mouvement populaire et les «chefs» de l’insurrection armée appuyée par les Etats-Unis et favorisant une intervention militaire étrangère «pour des raisons humanitaires».La majorité des Libyens, à la fois les opposants et les partisans du régime, sont fermement opposés à toute forme d’intervention extérieure.

Désinformation médiatique

 

Les objectifs stratégiques plus vastes sous-jacents à l’invasion proposée de la Lybie ne sont pas mentionnés par les médias. A la suite d’une campagne médiatique trompeuse, où les nouvelles ont littéralement été fabriquées sans que l’on rapporte ce qui se passait sur le terrain, un large secteur de l’opinion publique internationale a accordé son appui inflexible à une intervention pour des raisons humanitaires.L’invasion est sur la planche à dessin du Pentagone. On prévoit la mettre en œuvre sans tenir compte des demandes de la population libyenne, y compris les opposants du régime qui ont exprimé leur aversion pour une intervention militaire étrangère dérogeant à la souveraineté de la nation.

Déploiement de forces navales et aériennes

 

Si l’intervention militaire était mise à exécution, elle entraînerait une guerre totale, une blitzkrieg, impliquant le bombardement de cibles militaires et civiles.A cet égard, le commandant du Commandement central étasunien (USCENTCOM), le général James Mattis, a suggéré que l’implantation d’une «zone d’exclusion aérienne» impliquerait de facto une campagne de bombardement extrême ciblant entre autres le système de défense antiaérienne libyen:«Il s’agirait d’une opération militaire. Il ne suffirait pas de dire aux gens de ne pas piloter d’avion. Il faudrait éliminer la capacité de défense antiaérienne afin d’établir une zone d’exclusion aérienne, donc il ne faut se faire d’illusions.»12 Une puissance navale massive des Etats-Unis et des alliés a été déployée le long de la ligne de côte libyenne.Le Pentagone envoie ses navires de guerre vers la Méditerranée. Le porte-avions USS Enterprise avait pour sa part transité par le canal de Suez dans les jours qui ont suivi l’insurrection. (www.enterprise.navy.mil) Les navires d’assaut amphibies des Etats-Unis, l’USS Ponce et l’USS Kearsarge, ont également été déployés en Méditerranée.Quatre cents Marines étasuniens ont été envoyés sur l’île de Crète en Grèce «avant d’être déployés sur des navires de guerre partant pour la Libye.13 Pendant ce temps, l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, le Canada et l’Italie sont en train de déployer des navires de guerre le long de la côte libyenne.L’Allemagne a déployé trois navires de combat en prétextant aider à l’évacuation de réfugiés à la frontière entre la Libye et la Tunisie. «La France a décidé d’envoyer le Mistral, son porte-hélicoptères, lequel, selon le ministère de la Défense, contribuera à évacuer des milliers d’Egyptiens.»14 Le Canada a envoyé la frégate de la Marine NCSM Charlottetown. Entre-temps, la 17e Force aérienne étasunienne dénommée US Air Force Africa, située sur la base aérienne de Ramstein en Allemagne, aide à l’évacuation de réfugiés. Les ­forces aériennes des Etats-Unis et de l’OTAN en Grande-Bretagne, en Italie, en France et au Moyen-Orient sont en attente. •

Article original en anglais: Insurrection and Military Intervention: The US-NATO Attempted Coup d’Etat in Libya?, publié le 7 mars 2011. globalresearch.ca/PrintArticle.php (Traduit par Julie Lévesque pour Mondialisation.ca)

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1 Voir Manlio Dinucci, La Libye dans le grand jeu du nouveau partage de l’Afrique, 25/2/11

2 Clinton: US ready to aid to Libyan opposition - Associated, Press, 27/2/11

3 Manlio Dinucci, Opération Libye en préparation, Le Pentagone «repositionne» les forces navales et terrestres, Mondialisation.ca, 2/3/11

4 The Energy Intelligence ranks NOC 25 among the world’s Top 100 companies. - Libyaonline.com

5 Clinton: US ready to aid to Libyan opposition - Associated, Press, 27/2/11

6 DEBKAfile, US military advisers in Cyrenaica, 25/2/11

7 Top UK commandos captured by rebel forces in Libya: Report, Indian Express, 6/3/11

8 U.K. diplomatic team leaves Libya - World - CBC News, 6/3/11.

9 Reuters, 6/3/11

10 The Sun, 7/3/11

11 Debkafile, Qaddafi pushes rebels back. Obama names Libya intel panel, 5/3/11

12 U.S. general warns no-fly zone could lead to all-out war in Libya, Mail Online, 5/3/11

13 «Operation Libya»: US Marines on Crete for Libyan deployment, Times of Malta, 3/3/11

14 Towards the Coasts of Libya: US, French and British Warships Enter the Mediterranean, Agenzia Giornalistica Italia, 3/3/

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Voir cette vidéo (arabe) remettant également en cause la spontanéité de la révolution libyenne : http://www.facebook.com/video/video.php?v=1962217736183&oid=187117224643451&comments

 

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Point de vue : Le terroriste libyen ami de Washington

 

par Manlio Dinucci

Les plus de 700 documents classifiés sur les détenus de Guantanamo rendus publics par Wikileaks confirment ce qu’en général nous savions déjà. Parmi les 600 prisonniers transférés dans d’autres pays et les 172 qui restent encore dans le centre de détention, il y a soit des militants de la Jihad et d’autres opposants, soit des personnes absolument extérieures à la lutte ; soit des vieillards, comme l’Afghan Haji Faiz Mohammed, interné à l’âge de 70 ans alors qu’il était atteint de démence sénile ; soit des enfants, comme le Pakistanais Naqib Ullah interné à Guantanamo à l’âge de 14 ans et, de plus, atteint de tuberculose, ou le Canadien Omar Khadr, interné à l’âge de 15 ans, accusé d’avoir tué dans un combat un soldat des forces spéciales étasuniennes en Afghanistan, et détenu depuis 9 ans.

Mais d’autres personnages de divers genres sont aussi passés dans les cellules de Guantanamo. Emblématique est ainsi l’histoire du Libyen Abu Sufian Ahmed Hamuda Ben Qumu. Né à Derna en 1959, il s’enrôla dans l’armée comme conducteur de char, mais fut ensuite condamné à 10 ans de prison pour assassinat et trafic de drogue. Enfui en 1993, il partit en Egypte puis en Afghanistan. Après avoir été entraîné dans le camp de Torkham d’Ossama Ben Laden, il participa à l’organisation de la milice taliban. Il fut ensuite transféré au Soudan, où il entra dans la Wadi al-Aqiq, une des compagnies de Ben Laden. Obligé de quitter le Soudan, il partit à Peshawar, au Pakistan, puis à Kaboul en 2001, toujours avec un rôle de dirigeant de la milice taliban. Capturé, on l’emmena à Guantanamo en 2002.



Sufian Ahmed Hamuda Ben Qumu, le 24 mars 2010.
Source de la photo :
http://gatewaypundit.rightnetwork.com/2011/04/terrific-former-gitmo-detainee-afghan-jihadists-lead-libyan-rebels/

Dans le document classifié de la Joint Task Force Guantanamo du Département d’Etat étasunien de la défense, daté du 22 avril 2005, il est écrit que « le gouvernement libyen indique Qumu, détenu à Guantanamo, comme un des chefs extrémistes des Arabes Afghans (les moudjahiddines restés en Afghanistan et au Pakistan après la Jihad anti-soviétique), en lien avec les talibans et Al Qaeda ». Tripoli le considère donc comme « un élément dangereux, sans scrupules pour commettre des actes terroristes ». En syntonie avec ce jugement, le Département d’Etat étasunien de la défense conclut que « le détenu Qumu constitue un élément de risque moyen-élevé, une menace probable pour les USA, pour leurs intérêts et leurs alliés ».

Deux ans après seulement, en 2007, Qumu est transféré de Guantanamo en Libye, où l’année suivante il est amnistié et libéré. Aujourd’hui, rapporte le New York Times, il demeure « une figure de pointe dans la lutte des rebelles libyens pour renverser Kadhafi », à la tête d’ « une bande de combattants connue comme Brigade Derna », du nom de la ville natale de Qumu où est né le Groupe combattant islamique libyen (dont Qumu lui-même a fait partie). « L’ennemi et prisonnier des Etats-Unis est à présent un allié », commente le New York Times. Rien d’étonnant : le cas Qumu est emblématique de la façon dont, sous couvert de lutte contre le terrorisme, Washington recrute et manœuvre des groupes terroristes selon ses intérêts du moment.

En oubliant cependant le vieux diton : qui sème le vent récolte la tempête.

Edition de mardi 26 avril 2011 de il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/area-abbonati/in-edicola/manip2n1/20110426/manip2pg/09/manip2pz/302089/

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

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