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12 janvier 2011 3 12 /01 /janvier /2011 23:49

Tarek Ben Hiba, 56 ans, président de la Fédération des Tunisienspour une Citoyenneté des deux Rives

«La situation est extrêmement grave. Nous avons reçu des témoignages d'avocats présents sur place. Ils font état de miliciens venus en bus depuis Tunis jusqu'à Kasserine... des gens cagoulés «du gouvernement», des casseurs qui se font passer pour des manifestants. Je viens d'apprendre aussi que le porte-parole du Parti communiste des ouvriers tunisiens (PCOT), Hamma Hammami, aurait été emmené par la police politique ce matin. Tout ça au moment même où le Premier ministre Mohamed Ghannouchi annonce la libération de toutes les personnes arrêtées, et qu'il vire par ailleurs le ministre de l'Intérieur...

Je milite depuis dix-huit ans, je n'ai jamais vu ça. Je suis ce qui se passe là-bas sur des sites comme Nawaat, qui fait un boulot formidable pour la liberté d'expression… Le roi est nu, le peuple a bravé le système répressif et tortionnaire. Ben Ali a fait deux discours, appelle au calme et ça ne change rien. Les gens revendiquent des choses simples: davantage de travail, plus de libertés et de justice. Je pense au malheureux Bouazizi qui s'est immolé parce qu'on lui refusait de vendre quelques carottes… Le peuple pose maintenant des limites à la soumission. Il faut un changement radical!

Et avec ça, alors que le dictionnaire de la démocratie est inépuisable, tout ce que trouve à dire Michèle Alliot-Marie c'est qu'elle veut exporter le savoir-faire de la police en Tunisie! C'est honteux, avec tous ces morts! La France continue à donner un brevet de démocratie au régime tunisien… C'est lamentable.»

Sarah, 25 ans, étudiante franco-tunisienne à Strasbourg

«Je suis très inquiète! J'ai appris par Facebook, que plusieurs de mes amis et cousins doivent participer aujourd'hui à des manifestations dans l'est du pays. Je suis tout ça sur Internet et je les soutiens à fond. Mais je ne communique pas avec eux, ni avec ma famille par téléphone. J'ai peur et eux aussi qu'ils soient sur écoute. Hier soir, j'ai regardé par curiosité la télévision tunisienne, Tunisie 7. C'était une conférence de presse du ministre de la Communication et des Libertés. Bien sûr ce n'était pas en direct, c'était dingue, on n'entendait même pas les questions des journalistes!

Je m'arrange pour aller voir ma famille à Tunis deux fois par an. Ça fait des années que j'entendais les jeunes de là-bas me dire que j'avais de la chance d'être en France, que eux, malgré tous leurs diplômes désespéraient de trouver du travail. Moi, je relativisais en leur disant que la situation de l'emploi en France n'était pas mieux. Je ne me rendais pas compte à ce moment-là qu'ils souffrent d'un vrai manque de libertés. Coincés chez eux, sans boulot, ils sont condamnés à reproduire le schéma de leurs parents: travailler aux champs, élever du bétail...

Quant à déloger Ben Ali, pour cela, il faudrait que les pays occidentaux prennent une position forte, assumée. Sans Ben Ali, on risque aussi une autre menace: que les islamistes arrivent au pouvoir.»

M. Khalifa, 56 ans, artisan tunisien arrivé en France en 1997

«Ben Ali a toujours opprimé son peuple, ce n'est pas nouveau, ça fait vingt-trois ans. Moi j'y suis retourné il y a un mois j'ai vu des chirurgiens, des médecins désemparés, dans l'incapacité de trouver du boulot…

Les jeunes Tunisiens sont une génération sacrifiée, nous on avait une chance à l'époque de trouver du travail. Après mes études, j'ai tout de suite travaillé dans une société de tourisme. Mais aujourd'hui, même les diplômés en médecine ou en droit n'ont pas d'avenir. Avec le tourisme des régions côtières, on a cru un temps au miracle économique, mais on s'est rendu compte que les côtes ne pouvaient pas absorber le flux des migrations de gens venus de l'intérieur des terres... des gens qui crèvent la fin aujourd'hui.

Il y a un ras-le-bol généralisé et c'est bien normal, la police est corrompue, tout est censuré, Internet, la presse, la télévision... Les médias sont bâillonnés et c'est la loi du silence: même avec des proches quand je suis là-bas je n'ose pas toujours discuter de politique, peur d'être entendu, écouté, vous imaginez...

Mais je pense que tout ça prend de l'ampleur, tout un réseau s'est créé sur Internet et rien ne peut arrêter ce soulèvement. Je dois retourner en Tunisie au mois de mars, j'espère que, d'ici là, le "grand manitou" aura pris ses cliques et ses claques.»

Moncef, 57 ans, technicien de maîtrise tunisien, arrivé en France en 1972

J'étais à Tunis le week-end dernier pour voir ma famille. Il y avait des militaires déployés partout sur les principaux axes routiers et aux aguets dans le centre de la ville, au moment où ça dégénérait de toutes parts à Thala, Kasserine... Là bas, les forces de l'ordre tiraient à balles réelles sur les jeunes qui manifestaient pour le droit au travail. Les Tunisiens sont placides mais lorsqu'ils sont poussés à bout par le pouvoir, ça peut être très violent. Déjà en 1983 j'avais assisté à la «révolte du couscous» qui avait gagné le pays sous Bourguiba (Habib Bourguiba, ancien président tunisien, ndlr).

«Lorsque le coeur est plein, il faut que la bouche s'ouvre», dit le proverbe. Ces actions de soulèvement, c'est le trop plein de tout ceux qui ne trouvent pas de travail, qui sont baillonés par le pouvoir, censurés. Je pense à ces jeunes qui vont jusqu'à se suicider par désespoir.

La dictature a assez duré. Fini l'Etat voyou! Le ministre de l'Intérieur vient d'être limogé, c'est un signe: aucune force peut arrêter ce tsunami de la liberté.

Ce que j'espère juste, c'est que cela puisse être un déclencheur dans les autres pays arabes. Car eux aussi connaissent la même situation.

Lina Ben Mhenn, jeune blogueuse tunisienne

Lina Ben Mhenni suit quotidiennement les émeutes en Tunisie. Pour son blog, A Tunisian girl, elle était à Tunis, avant de gagner Sidi Bouzid, où ont démarré les manifestations contre le chômage le 17 décembre, puis Régueb et Kasserine (lire aussi l'article de Libération du 11 janvier, «Le régime dépassé par la cyberrésistance»). C'est dans cette ville du centre du pays, théâtre de violents affrontements ces trois derniers jours, que nous l'avons jointe mercredi à la mi-journée:

«C'est un peu plus calme aujourd'hui. Il y a eu des tirs de bombes lacrymogènes, mais les gens continuent à manifester aux cris de «A bas Ben Ali» ou «Nous voulons le pain et l'eau et pas Ben Ali». Tout le monde en veut à Ben Ali, bien qu'il ait annoncé le limogeage du ministre de l'Intérieur. Même si les gens sont énervés, je n'ai pas vu de violence. Toutes les couches et classes d'âges sont représentées dans ces défilés.

«Hier, il y a eu des scènes de pillages au Magasin général où les gens ont pris de la nourriture. Des habitants m'ont dit que des milices avaient été envoyées à Kasserine pour participer à ces émeutes. En tout cas, les forces de sécurité ont laissé faire ces pillages. Mais, contrairement à ce que l'on a dit, elles ne se sont jamais retirées de la ville. Des Bops [les CRS tunisiens, ndlr] ont troqué leur habit noir pour des uniformes kakis et se faire passer pour des militaires. L'armée est toujours vue comme une médiatrice, elle tente toujours de calmer le jeu. La police, elle, n'hésite pas à utiliser la violence. On a reconnu ces policiers déguisés à certains écussons, leurs matraques et les bombes lacrymo.

«Des grèves générales ont été organisées aujourd'hui à Sfax et Sousse où des dizaines de citoyens sont sortis dans la rue. Demain, la grève générale est prévue à Kasserine et, vendredi, ce sera au tour de Tunis, la capitale. D'après mes informations, les gens manifestent dans plein de ville du pays. En venant à Kasserine, j'ai vu des gens qui protestaient dans une petite ville à 35 km de Sidi Bouzid. Je pense parfois au risque d'être arrêtée, mais quand je vois ce genre de manifestation, ça me donne de la force et du courage pour continuer à dire ce que je vois.» (Recueilli par Arnaud Vaulerin)

 

sources:Libération

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