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14 mars 2011 1 14 /03 /mars /2011 07:39

TUNIS

 

Après le week-end sanglant du 8 au 10 janvier qu’a connu l’intérieur du pays, les mouvements  de protestation, marqués par des incendies de bâtiments publics, des actes de pillage et des heurts entre les forces de sécurité et les manifestants, ont gagné la capitale. Plusieurs dizaines de personnes ont été tuées et beaucoup d’autres blessées.

 

Le 17 janvier, le directeur de l’hôpital Charles-Nicolle à Tunis a déclaré à Amnesty International que, depuis le début des manifestations dans la capitale et son agglomération, l’hôpital avait admis les corps de 28 manifestants, tués par balle, et plus de 100 personnes blessées durant les troubles, dont 30 par balle. Il a indiqué qu’il s’agissait de la seule structure hospitalière dotée d’un service de médecine légale à Tunis. Selon le médecin de service, une liste répertoriant les noms des 17 personnes mortes les 15 et 16 janvier a été affichée à l’extérieur de la morgue = de l’hôpital, où étaient disposés les cercueils. Amnesty International pense que le nombre total de victimes lors des manifestations à Tunis est supérieur à 28, car des familles que l’organisation a rencontrées ont dit ne pas avoir transporté les corps de leurs proches à l’hôpital Charles-Nicolle.

 

À la connaissance d’Amnesty International, dans l’agglomération de Tunis, les victimes ont été dans leur grande majorité tuées entre le 12 et le 16 janvier, dans des quartiers ouvriers comme Tadhamoun, Sijoumi et Mallassine. Les habitants de ces quartiers ont évoqué les conditions difficiles dans lesquelles ils vivaient ainsi que leur lutte quotidienne pour survivre dans un contexte de chômage, de précarité des logements, de pauvreté, d’absence de perspectives d’études et de hausse du coût de la vie.

 

Dans le quartier de Tadhamoun, l’un des plus vastes et des plus défavorisés de Tunis, Amnesty International s’est entretenue avec quatre familles qui avaient perdu des proches durant les troubles. Selon des témoins, les mouvements de protestation se sont intensifiés dans le quartier le 12 janvier, et de nouvelles violences ont éclaté le lendemain, en particulier après la dernière allocution au peuple de Zine El Abidine Ben Ali. Plusieurs milliers de personnes sont descendues dans la rue, réclamant la fin de son régime et scandant des slogans tels que « Du pain, de l’eau, mais pas Ben Ali ». Les forces de sécurité, y compris la police antiémeutes, ont envoyé des gaz lacrymogènes et tiré à balles réelles en direction des manifestants, dont certains jetaient des pierres sur les forces de sécurité.

 

Malek Habbachi - 24 ans -, qui s’était récemment fiancé avant de se marier, a été abattu d’une seule balle dans le cou, le 12 janvier dans la soirée. En compagnie de son frère aîné Youssri, il avait pris part aux manifestations pour réclamer une vie meilleure. « Mes fils ont fait leur devoir. Le peuple tunisien ne veut pas accepter ses conditions de vie. Malek se battait contre la corruption », a déclaré leur père.

Selon des témoins, Malek a été abattu par un tireur isolé en tenue antiémeutes alors qu’il manifestait rue Bia, à proximité de la municipalité, avec d’autres jeunes du quartier. Trois autres hommes de Tadhamoun auraient été tués et d’autres blessés ce soir-là. Lorsque Malek a été blessé, son frère Youssri a tenté de le porter à la maison mais a été attaqué par des policiers antiémeutes qui l’ont frappé à la tête, dans le dos et sur les jambes à coups de matraque. Lorsque les délégués d’Amnesty International l’ont rencontré le 17 janvier, Youssri était encore alité et incapable de parler, hochant à peine de la tête pour communiquer. La famille Habbachi s’est montrée déterminée à obtenir justice. La soeur de Malek, qui suit des études de droit, a dit : « Nous voulons que justice soit faite. Ils ont pris sa vie prématurément. Certains vivent dans des palais pendant que d’autres luttent pour survivre. Finissons-en avec la peur ! ».

 

Amnesty International a également rencontré la famille de Majdi Monstri, qui a été abattu alors qu’il se trouvait sur l’avenue Taib Mhiri, dans le quartier de Tadhamoun, le 13 janvier vers 19 h 30. Des témoins ont raconté à Amnesty International qu’il n’avait pas pris part aux manifestations et qu’il rentrait simplement à son domicile, situé à quelques mètres de là où il avait été tué. L’un d’entre eux a expliqué qu’un membre de la Garde nationale, reconnu par des habitants du quartier, avait sommé Majdi de s’arrêter en criant. Majdi avait obtempéré, mettant les mains en l’air pour montrer qu’il n’était pas armé. Il a pourtant reçu une balle dans la poitrine. Son père a déclaré à Amnesty International : « Je demande justice. Je veux que l’auteur du tir, le donneur d’ordre et toute autre personne impliquée dans ce crime aient à rendre des comptes. »

 

Amnesty International a rencontré une autre famille dont le fils a reçu une balle dans la poitrine le 13 janvier, dans le secteur de Jomhuriya (quartier de Tadhamoun). Une sœur d’Hisham Moumni - 36 ans - a dit à l’organisation qu’il avait appelé à la maison vers 14 h 30 pour dire qu’il serait bientôt là, mais il n’est jamais arrivé. Sa famille a par la suite dû accomplir la tâche sinistre d’aller chercher son corps à la morgue de l’hôpital Charles-Nicolle.

Elle souhaite qu’une enquête transparente soit ouverte sur les circonstances de la mort d’Hisham et que les responsables soient déférés à la justice.

 

Amnesty International a aussi parlé avec Mansour Iyari, dont le fils Thabet Iyari (21 ans) a été abattu dans l’après-midi du 13 janvier, dans le secteur de Jomhuriya (quartier de Tadhamoun). À ce moment-là, la police antiémeutes tentait de disperser les manifestants au moyen de gaz lacrymogènes et de balles réelles. Selon des témoins, Thabet a été abattu par  un tireur embusqué sur le toit du poste de police local. Son père a déclaré à Amnesty International : « Rien ne me rendra mon fils. Il faut néanmoins qu’une enquête soit menée pour qu’on sache qui l’a tué et qui a donné l’ordre de le faire. »

 

La police a aussi fait usage d’une force meurtrière lors des manifestations qui se sont déroulées à Sijoumi, un autre quartier ouvrier de la banlieue de Tunis. Dans la soirée du 13 janvier, au moins deux jeunes hommes, Walid Hafid Gamai - 24 ans - et Mahdi Laouni - 22 ans - ont été tués par balle. La mère de Walid Hafid, qui est veuve, a expliqué à Amnesty International qu’elle ne savait pas comment elle allait s’en sortir sans son fils aîné, qui prenait en charge la famille. Des témoins ont dit à l’organisation que le jeune homme, qui ne participait pas aux manifestations, avait été abattu par un tireur embusqué à une centaine de mètres de lui, sur le toit d’un bâtiment de l’autre côté de la route. Ils ont affirmé savoir que le tireur appartenait aux forces de sécurité et travaillait au poste de police local de Sidi Houssein.

Plusieurs d’entre eux ont confirmé que Walid Hafid avait reçu une balle dans le dos, ce qui tend fortement à indiquer qu’il ne constituait pas un danger pour la vie des forces de sécurité. Selon d’autres témoins, Mahdi Laouni, qui était sans emploi, a également été abattu par derrière, une balle l’atteignant au niveau d’un rein. Les proches du jeune homme qui ont lavé son corps pour l’enterrement ont dit à Amnesty International qu’il était couvert d’ecchymoses sur les bras et sur le flanc, ce qui donne à penser qu’il avait été frappé avant d’être tué par balle.

 

Le 14 janvier, Lucas Mebrouk Dolega, un ressortissant franco-allemand âgé de 32 ans qui travaillait comme photographe pour l’Agence européenne de photographie de presse (EPA) à Paris, faisait un reportage sur les manifestations organisées devant le ministère de l’Intérieur, dans le centre de Tunis. Selon les informations reçues, vers 14 heures, il a été touché au visage par une grenade lacrymogène tirée à bout portant par un policier. Il a immédiatement été transporté à l’hôpital et opéré, mais est décédé le 17 janvier. Horacio Villalobos, directeur

du bureau parisien de l’EPA, a déclaré : « Si un policier tire, comme ça a été le cas, une grenade lacrymogène à cinq mètres de distance en visant la tête, c’est dans l’objectif délibéré de blesser et même de tuer 18. » On ignore si une enquête a été ouverte sur sa mort.

 

À l’image de ce qui s’est produit à Thala et à Kasserine, les cortèges funèbres organisés à Tunis en hommage aux personnes tuées lors des troubles se sont transformés en manifestations antigouvernementales et ont été violemment dispersés par les forces de sécurité. Walid Sabai, qui a été légèrement blessé le 14 janvier lors des funérailles de Mahdi Laouni, a raconté à Amnesty International que les forces de sécurité avaient envoyé des gaz lacrymogènes en direction des personnes présentes et en avaient frappé plusieurs au moyen de matraques. Il a ajouté qu’il avait entendu plusieurs coups de feu mais qu’il ne savait pas s’il y avait eu des morts.

 

Amnesty International a recueilli des informations sur les cas de plusieurs personnes blessées par balle alors qu’elles n’avaient pas pris part aux manifestations. Regueb Hamchi, par exemple, a indiqué à Amnesty International que, le 14 janvier, il se trouvait avec sa femme sur le porche de leur maison lorsqu’ils ont été touchés par une balle tirée par des membres de la BOP à la poursuite de jeunes. La balle a effleuré sa cuisse droite avant de se loger dans celle de sa femme, la blessant gravement. Elle était encore hospitalisée lorsqu’Amnesty

International s’est entretenue avec Regueb le 17 janvier. Regueb a précisé que les membres de la BOP avaient tiré sans aucun avertissement préalable alors qu’ils pénétraient dans une zone résidentielle.

 

Après le départ de Zine El Abidine Ben Ali, Tunis et sa banlieue ont connu de nouvelles violences et d’autres coups de feu, dans des circonstances encore floues. Les habitants des quartiers touchés, y compris de Khadra et de Mallassine, ont déclaré que les actes de violence étaient le fait de certains éléments des forces de sécurité qui étaient restés fidèles au président renversé, dans le but d’instiller la peur et un sentiment d’insécurité. Ces affirmations n’ont pas pu être confirmées.

 

À Mallassine, Marwa Amina, une étudiante en droit de 23 ans, aurait été tuée par une balle perdue le 15 janvier vers 20 h 30. Elle était chez elle lorsqu’une balle a traversé sa fenêtre, au deuxième étage, la touchant à l’œil droit. D’après un médecin de l’hôpital Charles-Nicolle, elle a eu le crâne fracturé à l’impact de la balle et est morte sur le coup.

 

Quelques heures plus tard, le 16 janvier vers 1 h 25 du matin, Elyas Krir - 32 ans - a reçu une balle à l’arrière du crâne tirée par un individu non identifié. Il a été tué alors qu’il effectuait une ronde de surveillance avec 50 autres hommes dans le quartier de Khadra pour arrêter les actes de vandalisme et de pillage, devenus monnaie courante autour de cette date. Selon des témoins, une automobile noire est passée devant le groupe, un homme en est sorti et a tiré plusieurs coups de feu sans sommation. Elyas a été transporté au centre de santé situé de l’autre côté de la rue mais est mort en chemin. Des habitants du quartier de Khadra, qui s’étaient rassemblés chez lui pour présenter leurs condoléances, ont raconté à Amnesty International que l’automobile noire suivait deux autres véhicules, qui ont par la suite été aperçus devant les locaux des services de sécurité de la cité de Khadra, ce qui a renforcé leurs soupçons sur le lien existant entre les agresseurs et les forces de sécurité.

 

La même nuit, un autre jeune homme, Kamel Razak, a été atteint d’une balle à l’épaule dans le quartier de Khadra. Sa mère a raconté à Amnesty International que, ayant entendu des coups de feu, elle était sortie chercher son fils et avait elle-même été blessée au poignet droit par une balle. Elle a montré le pansement à l’organisation, se désolant d’avoir reçu 16 points de suture à l’hôpital. Il faut mener des enquêtes exhaustives, impartiales et indépendantes pour faire la lumière sur tous les coups de feu dont les auteurs ne sont pas identifiés.

 

Source : http://www.amnesty.org/fr/library/asset/MDE30/011/2011/fr/7a340bd8-f6ab-4286-8d35-0dc44e25162d/mde300112011fra.pdf

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