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19 février 2012 7 19 /02 /février /2012 08:38
Dhât et la censure des jupes : entre démocratie et démagogie
 

Affiche du feuilleton "Dhât"

Il y a quelques jours, l’industrie égyptienne des dramas a connu un petit drame lorsque l’équipe venue tourner un épisode de Dhât, un feuilleton télévisé tiré de l’œuvre du romancier égyptien Sonallah Ibrahim, a été priée de quitter le campus de la faculté de génie de l’Université de Ayns Shams, au nord du Caire.


La production avait pourtant négocié toutes les autorisations nécessaires avec les responsables, mais ceux-ci ont déclaré ne pas pouvoir garantir la sécurité des techniciens et des comédiennes.Celles-ci portaient en effet des jupes relativement courtes, comme celles qui étaient à la mode au début des années 1970 pour les étudiantes dont elles jouaient le rôle. Mais aux yeux des étudiants d’aujourd’hui, et même de quelques enseignants, pour peu qu’ils soient proches des Frères musulmans, une telle tenue était tout bonnement inacceptable !…


Comme l’explique la scénariste (article en arabequi a travaillé sur le roman de Sonallah Ibrahim, leur réaction est d’autant plus désolante que la localisation du tournage correspond à un épisode historique bien précis, celui des mouvements estudiantins de cette époque avec notamment, en 1972, la marche vers la désormais mondialement célèbre place Tahrir des étudiants de la faculté de génie de ladite Université de Ayn Shams !!!…


L’affaire n’est pas dramatique pour ce feuilleton qui a de toute manière déjà une bonne année de retard. Il faut dire que le scénario a dû être repris en bonne partie : prévu au printemps dernier, la séquence d’ouverture devait montrer (comme dans le livre) l’héroïne, Dhât, en train de « craquer » : furieuse de s’être fait refiler une boîte de conserve périmée, elle descendait dans la rue pour protester contre le pouvoir, désormais incarné par Gamal Moubarak qui venait de succéder à son père !


Bien entendu, la production trouvera un autre lieu pour le tournage, et « la censure des jupes », selon le nom donné par la presse à cette affaire, a soulevé l’indignation du « front de la création égyptienne » (حبهة الإبداع المصري), un rassemblement d’artistes et d’intellectuels créé il y a quelques semaines, précisément pour s’opposer à toute forme de « terrorisme intellectuel ».


Dans le même temps ou presque, l’institution religieuse avait d’ailleurs rappelé de son côté, dans ce qu’on appelle désormais « le document d’Al-Azhar » (وثيقة الأزهر), son engagement pour « la liberté de croyance, la liberté d’opinion et d’expression, la liberté de la recherche scientifique, la liberté de l’art et de la création littéraire, fondamentales pour la Constitution en préparation ». Des réactions jugées nécessaires, et un peu rassurantes, après la visite du président du Syndicat des comédiens auprès du Guide suprême des Frères musulmans, juste après leur victoire aux élections. Dans les milieux concernés (article en arabe), beaucoup ont pris cela comme une manière d’annoncer à l’avance la soumission des acteurs aux dictats des promoteurs d’une nouvelle forme “d’art engagé”, au service du rétablissement des vraies valeurs musulmanes…


"Les années de Zeth", un roman à lire absolument, même si la couverture n'est pas très engageante...

Il n’est pas impossible qu’on y revienne dans ces chroniques car on peut parier que ce type d’affaire va se multiplier dans les mois ou même les semaines à venir. D’ailleurs, d’autres « scandales » ont déjà éclaté, avec la condamnation par exemple du comédien Adel Imam (article en anglais) pour «insulte à la religion » en raison des rôles qu’il a incarnés dans diverses charges contre l’islam politique. (L’acteur, pourtant considéré comme un suppôt du régime Moubarak, qu’il aura défendu jusqu’au dernier moment, n’en a pas moins reçu le soutien de toute la profession.)

A un moment où l’Egypte et bien d’autres pays dans la région traversent une zone de tempêtes, on sait bien que la question de l’art servira de point de fixation – ou de révélateur – à d’autres conflits. Tout comme la question de la place de la femme dans la société, il s’agit en effet d’une scène facilement mobilisable par ceux qui ont l’oreille dudémos, le « peuple », comme dans démocratie mais aussi comme dans… démagogie. hypotheses

 

 

 

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L'oeil égyptien

 

Un Festival international du film de Berlin, des expositions, dont „Reporting... A revolution“ accompagnant le film du même nom. Le film suit six journalistes du journal quotidien égyptien Al-Masri Al-Youm durant la révolution. L’expo, qui a eu lieu au Freies Museum Berlin durant la Berlinale, présente les travaux de 16 photographes du même journal. Ceux-ci racontent la révolution égyptienne de façon chronologique, du 25 janvier 2011 – où tout a commencé, à aujourd’hui. La série „Visages de la révolution“ d’Ahmed Hayman, 25 ans, sort du lot. En noir et blanc, ses photos ne documentent pas les manifestations.

expo2.jpg

Ahmed_Hayman2.jpg

Le photographe égyptien Ahmed Hayman

 

Ahmed Hayman : J’ai travaillé sur cette série de portraits parce que j’ai été absent d’un grand nombre de manifestations : j’ai quitté l’Égypte le 23 janvier 2011 pour une bourse d’études d’un an au Danemark. La révolution a débuté deux jours plus tard. J’étais au courant de la manifestation prévue en ce „Jour de la police“. Mais du temps de Moubarak, il y avait souvent des manifs, et ni moi ni personne ne pensions que celle-ci aboutirait à sa chute. Quand j’ai compris que cette manif était différente des autres, je n’arrivais plus ni à penser, ni à dormir. Alors j’ai demandé à mon école danoise la permission de rentrer en Égypte. Le 3 février, nous étions 7 dans l’avion en direction du Caire. Je suis arrivé après les altercations entre la police et les protestataires. C’est seulement à mon retour au Danemark qu’elles ont repris. Lorsque je suis rentré en Égypte une deuxième fois, le pays était calme à nouveau, mais la violence était gravée dans les visages des gens, soit par la perte d’un oeil, soit celle d’un être cher. C’est cette violence que j’ai tenté de capturer dans mes photos.

Oeil.jpg

Le thème de l’oeil perdu est très présent dans la série. Pourquoi celui-ci en particulier?

 

Je faisais des recherches pour un projet photographique et j’ai appris, il y a maintenant 4 ou 5 mois, qu’environ 4000 personnes avaient perdu un oeil, parfois les deux, depuis le 25 janvier 2011. Ce nombre a certainement encore augmenté. J’ai ajouté aux portraits des photos de graffiti sur le même thème – un mode d’expression politique qui a littéralement envahi les rues du Caire. L’un d’eux représente un policier dénommé le „chasseur d’yeux“, surmonté du slogan „Recherché par le peuple égyptien“. Ce pochoir s’inspire d’une vidéo Youtube que tout le monde connaît en Égypte. On y voit comment ce policier tire, touche les yeux d’un protestataire et est félicité par ses collègues. C’est absurde, inconcevable. À côté de la photo du graffiti, j’ai accroché celle d’un garçon que j’ai rencontré sur la place Tahrir. Il a accepté d’enlever son bandage pour mon appareil-photo. La blessure était fraîche de trois jours et suintait du pus. C’était assez horrible mais il a dit „Si j’ai perdu un oeil pour le bien de mon pays, je suis prêt à perdre le deuxième pour la liberté“. Et d’ajouter : „Je n’ai rien à perdre“.

Graffiti.jpg

150220121739.jpg

Les autres personnes que tu as photographiées, partageaient-elles cet opinion?

 

En gros, oui. Je crois que nous n’avons pas vraiment d’autre option que d’être optimistes. Rares sont ceux qui ont les moyens de quitter le pays. Il nous faut regarder de l’avant, penser à demain.

Il semble pourtant qu’une certaine déprime s’est installée dans le pays.

C’est vrai aussi. La SCAF continue à semer la terreur ou plutôt à induire les gens en erreur : comme quoi les problèmes auxquels la population est confrontée aujourd’hui seraient dûs aux révolutionnaires. Du coup, il y a des gens qui commencent à penser que c’était mieux du temps de Moubarak. Alors qu’en fait, il n’est pas complètement parti : la SCAF, c’est le visage interne de l’ancien régime. La corruption est toujours aussi présente. Mais personne ne m’enlèvera jamais ce bonheur que j’ai ressenti lorsque j’ai pu voter pour la première fois de ma vie. Tout comme les protestataires n'oublieront pas ce qu'ils ont réussi à faire bouger.

Dans le film „Reporting... a revolution“, les journalistes présentés parlent d’un certain dilemme entre la volonté de rapporter les faits de façon objective et l’envie de tout lâcher pour rejoindre les protestataires.

Je suis Égyptien et ce qui se passe me touche, évidemment. Parfois, j’en avais marre de garder la distance pour photographier. J’avais envie de plonger au plus près de cette masse de gens, de chanter avec eux. Lorsque le départ de Moubarak a été annoncé, les gens pleuraient, s’évanouissaient, c’était fou! C’était un événement précieux, rare, historique, unique - et mon devoir, de le documenter. En fait, je vois ma position comme un avantage : je connais le pays, la langue. Je suis plus en état de faire la connection entre les Égyptiens et le reste du monde, de les faire parler d’eux, de nous. J’ai vraiment envie de continuer de travailler sur des projets documentaires allant au plus profond des choses. Un jour, je montrerai ces photos à mes enfants.

Quel impact ces images pourront-elles avoir sur le peuple égyptien?

Dans le série, il y a le portrait d’une femme tenant une photo d’elle. On l'y voit avec son frère. Sur cette photo qu’elle tient entre ses mains, elle est pleine de vie, belle, heureuse. Lorsque je l’ai rencontrée, son regard était vide, triste, elle était comme morte intérieurement. Son frère, Mina Danial, a été tué par balle devant le bâtiment de la télévision d'État Maspero. Une amie photographe a vu ce portrait à un moment où elle-même n’en pouvait plus de la situation actuelle, où elle ne croyait plus en la révolution et réfléchissait sérieusement à quitter le pays. Le portrait lui a fait changer d’avis.

Pourquoi?

Elle m’a dit : „Tous ces gens qui sont morts, ils sont morts pour moi, pour mes droits, pour ma liberté. Je n’ai pas le droit de partir“. Nos images ne répareront pas les violences que les gens ont subies. Mais nos appareils-photo, nos caméras, ce sont de véritables armes contre la corruption et l’ignorance. Nous avons une responsabilité.

 

Soeur.jpg

gaestebuch.jpg

Extrait du livre d’or de l’expo - organisée par Katia Hermann en collaboration avec Kismet El Sayed

Plus d'infos : http://freies-museum.com/

source .mediapart

 

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