16 janvier 2011
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Le calme n'est toujours pas revenu en Tunisie. Les hélicoptères de l'armée tournent dans le ciel de Tunis pour protéger la ville. Les habitants s'enferment chez eux face aux milices, souvent les anciens hommes de Ben Ali, qui sèment la terreur.
Un, deux, trois, quatre hélicoptères bourdonnent dans le ciel de Tunis. L’armée veut protéger la ville. Il est 23 heures, ce 15 janvier, seconde nuit après la révolution. Elle devrait être traversée d’euphorie et résonner de chants : elle est hantée par la peur. Les milices sillonnent les banlieues de la capitale dans des voitures et des fourgonnettes pour semer la terreur. Ils cassent, ils pillent, ils veulent tuer. Ce sont les vaincus, les hommes de Ben Ali sans Ben Ali, prêts à tout pour que le rêve accouche d’un cauchemar et la liberté du chaos.
Toute la journée, dans les faubourgs, les Tunisiens se sont préparés à défendre leurs vies, leurs familles et leurs biens. On barricade les rues, on clôture les issues. La consigne donnée aux comités de quartier est d’éclairer les jardins pour qu’en cas d’agression, la police et l’armée arrivent immédiatement à la rescousse. La télévision diffuse les numéros à appeler d’urgence.
« C’est la mobilisation générale, résume un habitant du quartier de l’Ariana au téléphone – car on ne peut plus sortir depuis six heures du soir- les citoyens comprennent qu’ils doivent se protéger, protéger ce qu’ils ont gagné dans le sang, la nouvelle Tunisie que les ennemis, eux, veulent étouffer dans le sang !» La population est d’autant plus inquiète que des rumeurs d’attaques de prison avec libération de criminels dangereux ont couru. Il y a eu des mutineries effectivement, un terrible incendie à Monastir qui a fait 42 morts, des évasions de la prison de Bizerte et de Mornaguia. C’est la logique de la terre brûlée. Semer le poison du désordre pour que tout s’écroule, pour que le despote et son clan réfugiés dans les sables d’Arabie Saoudite pavoisent au cœur du naufrage : après nous, le déluge ! Ces tireurs ont reçu leur lot d’armes, de balles, de couteaux distribués par les chefs des services de sécurité de Ben Ali, avant de prendre la fuite. Certains de ces caïds- dont un général- ont été arrêtés à la frontière libyenne, à Ben Gardane.
Les désordres grondent en banlieue de Tunis mais aussi dans d’autres régions du pays. Orchestrés, synchronisés. A Médenine, dans le sud, un médecin a vu, la veille, des groupes de pilleurs, des Bédouins très pauvres, amenés par des flics en civil dans plusieurs véhicules pour saccager maisons et commerces. Autour de la capitale des affrontements ont eu lieu entre des éléments de la police, complices, et l’armée. Cette nuit, avenue Bourguiba, c’est le vide et les hélicos. L’espace qui s’étire entre « Big Ben », la curieuse horloge à l’anglaise qui ouvre l’avenue , et l’ambassade de France à l’autre bout, est complètement fermé. Mais on se demande ce qui se passe dans le lointain, vers le nord et l’ouest. On attend le matin comme tous les Tunisiens en se jetant sur les sites qu’avait interdit « Ammar », la figure de la censure Ben Ali, et qui ont été immédiatement accessibles au soir du 13 janvier. Et on essaie de s’endormir sans se faire peur, en évitant de compter toutes les défaites qui cernent dans l’ombre l’extraordinaire victoire du jasmin.