Campement sur l'esplanade de la Kasbah, devant les bureaux du Premier ministre Mohammed Ghannouchi, le 24 janvier. (Finbarr O'Reilly / Reuters)
Un remaniement ministériel en Tunisie est imminent, «peut-être d'ici demain», a annoncé à l'AFP le porte-parole du gouvernement de transition Taieb Baccouch, sans suggérer que tous les caciques de l'ex-équipe Ben Ali partiraient comme le réclame la rue.
«Il ne faut pas oublier qu'il y a des postes non pourvus», a-t-il déclaré dans un entretien avec des journalistes de l'AFP, rappelant que cinq ministres ont démissionné la semaine dernière: trois syndicalistes, un opposant et un membre de l'ancien parti au pouvoir le Rassemblement constitutionnel tunisien (RCD).
«Peut-être qu'il va y avoir de nouvelles démissions. Donc il y aura un minimum de six, sinon plus, postes à pourvoir, et cela va nécessiter forcément un remaniement ministériel d'ici peut-être demain», a ajouté M. Baccouch, une personnalité indépendante issue du monde syndical, qui est également ministre de l'Education.
«Des contacts sont en cours», a-t-il poursuivi.
«L'armée nationale se porte garante de la Révolution»
Cet après-midi, dans un discours improvisé sur l'esplanade de la Kasbah, devant des centaines de manifestants rassemblés près des bureaux du Premier ministre, le général Rachid Ammar, chef d'état-major de l'armée de terre tunisienne, a promis: «L'armée nationale se porte garante de la Révolution. L'armée a protégé et protège le peuple et le pays».
«Nous sommes fidèles à la Constitution du pays. Nous protégeons la Constitution. Nous ne sortirons pas de ce cadre», a ajouté le général Ammar, qui jouit d'une immense popularité en Tunisie, parce qu'il a refusé de faire tirer sur des manifestants comme le lui demandait Ben Ali.
Le chef d'état-major a appelé les manifestants, dont beaucoup de jeunes issus des provinces déshéritées et rebelles du centre du pays, à lever le siège des bureaux du Premier ministre, qu'ils ont entamé dimanche et poursuivi lundi, défiant le couvre-feu.
«Vos demandes sont légitimes. Mais j'aimerais que cette place se vide, pour que le gouvernement travaille, ce gouvernement ou un autre», a-t-il poursuivi, évitant d'apporter un soutien trop explicite à l'actuel cabinet.
«Vive l'armée!», ont crié à plusieurs reprises les manifestants. Une voix s'est toutefois élevée pour insister: «Le peuple veut un gouvernement civil!».
«Mes enfants»
La foule rassemblée a entonné l'hymne national après le discours du général, qui a usé d'un ton rassurant et affiché sa proximité avec la population en utilisant le dialecte tunisien et en appelant à plusieurs reprises les manifestants «mes enfants».
Ces paroles suffiront-elles à calmer la colère des manifestants? Ce lundi, ils étaient de nouveau des milliers à exiger sans faiblir la démission du gouvernement de transition, notamment devant le siège du Premier ministre où des heurts limités ont eu lieu avec la police, alors que les instituteurs faisaient grève pour soutenir le mouvement.
Rassemblés sur l'esplanade de la Kasbah, les protestataires réclament toujours la démission du gouvernement formé lundi dernier et dominé par les caciques de l'ancien régime du président Ben Ali.
De quelques centaines à l'aube, ils sont devenus à nouveau des milliers -«entre 3 et 5.000» selon un militaire- en début d'après-midi à protester sur l'esplanade de la Kasbah, près du palais où travaille le Premier ministre Mohammed Ghannouchi.
«La Kasbah, c'est la Bastille de la Tunisie»
«La Kasbah, c'est la Bastille de la Tunisie et on va la démonter, comme les sans-culottes français ont fait tomber la Bastille en 1789», promettait un manifestant.
D'autres cortèges, auxquels se sont joints notamment des lycéens, ont défilé avenue Habib Bourguiba, l'artère principale de la capitale.
Tôt, près des bureaux du Premier ministre, à l'endroit où ont campé toute la nuit malgré le couvre-feu de jeunes ruraux arrivés la veille de la région de Sidi Bouzid, foyer de la «révolution du jasmin», des heurts ont opposé la police à des groupes de manifestants.
Un homme, venu avec la «caravane de la libération», lors d'une manifestation à Tunis le 24 janvier. (Finbarr O'Reilly / Reuters)
Des policiers anti-émeute ont tiré des gaz lacrymogènes contre des manifestants qui leur lançaient des pierres alors que d'autres policiers tentaient d'exfiltrer des fonctionnaires du siège du gouvernement.
Plus tard, un groupe a totalement saccagé une voiture de police vide dans une rue voisine, après s'être précipité sur des personnes qu'ils avaient prises pour des membres du gouvernement entrant dans un bâtiment officiel.
A chaque fois, les militaires, très populaires pour avoir refusé de tirer sur la foule avant la chute de Ben Ali, ont fait barrage entre protestataires et policiers.
Après un week-end de mobilisation anti-gouvernementale, lundi devait tester l'évolution du rapport de force entre la rue et le gouvernement, qui table sur un hypothétique essoufflement de la contestation populaire.
Ses efforts pour remettre le pays sur les rails ont d'entrée été plombés par une «grève illimitée» des instituteurs réclamant eux aussi le départ des anciens ministres de M. Ben Ali, en ce jour de reprise officielle des cours dans les maternelles, le primaire et pour les lycéens de classe terminale.
«On prend nos gosses en otages»
«Selon nos informations, le mouvement est suivi à 90-100% dans tout le pays. Il n'y a que quelques rares cas d'enseignants non-grévistes», a assuré à l'AFP le secrétaire général du Syndicat national des enseignants du primaire, Hfayed Hfayed. Le gouvernement n'a pas immédiatement donné d'estimation.
Cette grève a provoqué la grogne de nombreux parents. «Cette grève est irresponsable, on prend nos gosses en otages», s'emportait Lamia Bouassida devant l'école primaire de la rue de Marseille à Tunis.
Dans la banlieue de Tunis, à Mourouj, quelques parents ont insisté pour faire admettre leurs enfants dans les salles de classe, dénonçant «une grève politique».
Une conférence prévue de presse du ministre de la Justice, Lazhar Karoui Chebbi, sur les enquêtes visant le clan Ben Ali et celui de son épouse Leïla Trabelsi a par ailleurs été reportée à une date non précisée.
A l'étranger, le président français Nicolas Sarkozy, très critiqué pour sa réserve lors de la «révolution du jasmin», a reconnu que la France n'avait «pas pris la juste mesure» de la situation.
Nicolas Sarkozy, le 24 janvier. (Philippe Wojazer / Reuters)
«Derrière l'émancipation des femmes, l'effort d'éducation et de formation, le dynamisme économique, l'émergence d'une classe moyenne, il y avait une désespérance, une souffrance, un sentiment d'étouffement dont, il nous faut le reconnaître, nous n'avions pas pris la juste mesure», a-t-il reconnu.
La «révolution du jasmin» a donné une «leçon» à l'Union européenne et aux Etats-Unis sur leurs rapports avec des dictatures, a pour sa part estimé le directeur général de Human Rights Watch, Kenneth Roth.
«Nous avons été particulièrement déçus par la réaction de la France», qui «n'a appuyé les manifestants que quand le président Zine el-Abidine Ben Ali était pratiquement sur le départ», a-t-il critiqué, jugeant que les Etats-Unis, dont le président Barack Obama a pris «clairement le parti de la démocratie» ont «été meilleurs».
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