C'est l'un des éléments nouveaux et importants de ce début de semaine: la distance prise par une partie de l'armée vis-à-vis du régime. Ce lundi, une petite dizaine de soldats montaient la garde devant le tribunal de Kasserine, autant pour prévenir d'éventuels troubles en son sein que pour protéger les avocats, comme le rapportent plusieurs témoins.
En clair, si les forces de police demeurent fidèles au régime de Ben Ali, une partie de l'armée semble désormais plus distante: dimanche, le général des forces armées terrestres a été limogé ainsi que son état-major, par le président de la République, après que le général eut appelé les forces de l'ordre tunisiennes à ne “pas tirer contre la population”.
De leur côté, les avocats tunisiens, parmi les premiers à se mobiliser et à subir intimidations et enlèvements, travaillent actuellement à réunir un dossier suffisamment solide pour porter plainte devant la Cour pénale internationale, comme l'ont confié à Mediapart trois avocats de Tunis, Kasserine et Sfax.
Pour la première fois également, l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), considérée comme acquise au régime, (...) ferait appel à une grève générale sur l'ensemble du pays, une éventualité retenue par la direction du syndicat.
Autre fait inédit, les prises de position dissonantes, dimanche, de deux partis de la coalition gouvernementale. L'Union démocratique unioniste (UDU, opposition légale, huit sièges au Parlement) a ainsi appelé à une action “urgente” du président tunisien Zine El Abidine Ben Ali et exigé l' “arrêt immédiat” de tirs à balles réelles contre les civils. Ce parti (...) demande au président Ben Ali d'intervenir “d'urgence pour assainir le climat, rétablir la confiance et restaurer le calme”, exigeant le jugement de “toute personne ayant ordonné l'usage des armes afin d'éviter au pays le risque d'interventions étrangères dans ses affaires nationales”. (...)
Le mouvement Ettajdid (un siège) s'est, lui, dit “choqué” par une “escalade dangereuse” et a appelé lui aussi le président Ben Ali à des “mesures urgentes pour l'arrêter”.
Deux prises de position très fortes dans le contexte étriqué du cénacle politique tunisien, qui n'autorise guère de contradiction en son sein.
Absence de perspective politique
“Notre gros problème, c'est l'absence de perspective politique”, indique toutefois Nizar Amami, l'un des responsables de la branche des PTT de l'UGTT, joint par Mediapart lundi midi à Tunis. “Aucun parti n'émerge, le parti démocrate progressiste (PDP, opposition légale) est trop faible. L'UGTT vient se substituer à l'opposition pour lancer des mots d'ordre, des actions de solidarité, mais pour le projet... Reste que le régime est vraiment déstabilisé, et que l'on n'a jamais vu ça.”
“Depuis le début, les slogans des manifestants sont dirigés contre Ben Ali et sa famille (en l'occurrence, le clan de sa femme, Leila Trabelsi), dont les gens ne veulent plus. C'est pour ça que la police tue, parce que les dirigeants ont peur.”
Nizar Amami, responsable à l'UGTT.
“Les signaux envoyés par l'armée, dans ce contexte, c'est très important. À nous maintenant de faire notre boulot pour compenser la faiblesse de l'opposition politique” ajoute le syndicaliste.
En l'absence d'un consensus sur un éventuel appel à la grève générale ce lundi soir, la branche PTT de l'UGTT a déjà prévu depuis le milieu de la semaine passée de lancer un appel à cesser le travail le mercredi 12. Les branches de l'enseignement et des médecins devraient suivre à la fin de la semaine.