Face au Conseil suprême des forces armées (CSFA) qui prépare pour le 25 janvier, promu "journée de la révolution", des célébrations en grande pompe avec feux d'artifice et défilés, les mouvements de jeunes qui ont lancé la révolte prévoient manifestations et appels au départ des généraux.
"La fête de la révolution n'aura lieu que quand le pouvoir aura été totalement transféré à des instances civiles élues", affirme le groupe "Nous sommes tous Khaled Saïd", du nom d'un jeune d'Alexandrie dont la mort lors d'une arrestation policière avait contribué à mobiliser contre le régime.
"Si nous devons célébrer quelque chose, ce sera la poursuite de notre révolution", estime le groupe créé notamment par le cyber-militant Waël Ghonim en 2010.
"Est-il normal de faire la fête, quand dans une course de 5 km on s'arrête au bout de trois km seulement?", s'interroge encore le groupe.
"Ne vous laissez pas distraire par les commémorations officielles tant que le drapeau de la vérité ne flottera pas", affirme un autre groupe très actif sur internet, le Mouvement des Jeunes du 6-Avril.
Une cinquantaine de groupes de militants ont décidé d'appeler à des manifestations de rue autour de la date du 25 janvier, une opération intitulée "Semaine de colère et de deuil", allusion aux dizaines de personnes tuées à la fin de l'année dernière dans des manifestations contre le pouvoir militaire.
Le 25 janvier 2011, dans la foulée de l'insurrection tunisienne, les militants pro-démocratie égyptiens avaient créé la surprise en mobilisant, via internet et leurs téléphones mobiles, des foules jamais vues contre le régime de Hosni Moubarak.
Dix-huit jours plus tard, l'autocrate réputé indéboulonnable, au pouvoir depuis trois décennies, remettait le pouvoir à un collège de généraux, sous les hourras de la place Tahrir, épicentre de la contestation au Caire.
Mais un an plus tard les militaires sont toujours là, même s'ils assurent vouloir partir une fois un président élu en juin.
Et les récentes élections législatives ont fait un triomphe aux islamistes, face au camp des "révolutionnaires" en déroute.
Hosni Moubarak est en jugement, mais le Premier ministre, Kamal al-Ganzouri, est un de ses anciens chefs de gouvernement, et le chef d'Etat de fait, le maréchal Hussein Tantaoui, fut son ministre de la Défense pendant 20 ans.
"Il nous faut encore mettre fin au pouvoir d'hommes puissants issus de l'ère Moubarak, et en terminer avec l'influence de l'armée sur la vie politique et économique", affirme à l'AFP l'un de ces militants, Ahmed Zahrane.
"Nous devons mettre la pression sur le conseil militaire pour qu'il parte immédiatement", ajoute-t-il.
L'ancien chef de l'agence atomique de l'ONU et prix Nobel de la Paix 2005 Mohamed ElBaradei, proche de ces militants, vient de jeter l'éponge dans la course à la présidence, en affirmant lui aussi que "l'ancien régime n'est pas tombé".
Malgré le constat que la révolution est encore largement inachevée, certains soulignent que les progrès faits grâce à la révolte sont encore porteurs de changements pour l'avenir.
"La plus grande réalisation jusqu'à présent, c'est le réveil de l'opinion publique égyptienne", souligne le musicien Omar Karim, un autre militant pro-démocratie.
La révolution "n'est pas une réalisation, c'est un projet en cours", estime-t-il.
Le groupe "Khaled Saïd" en convient lui aussi. "Nous avons vu se réaliser en un an seulement des choses qui vont au delà de ce que nous imaginions", estime le mouvement, même si "nous ne sommes encore que dans une phase de transition".
source liberation
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Al-Azhar : "Nous souhaitons que la Constitution se fonde sur la citoyenneté"
La plus haute autorité de l'islam sunnite a appelé l'ensemble des partis politiques religieux et laïcs à réfléchir au futur de l'Égypte. Interview
Le pope Shenouda III, chef de l'Église copte (à droite), et le Premier ministre Kamal al-Ganzouri entourent le grand imam d'al-Azhar, Ahmed al-Tayeb. © Mohamed hossam / AFP
Absente du débat public depuis l'éviction de Hosni Moubarak en février 2011, al-Azhar sort de l'ombre en diffusant un document et un manifeste sur le devenir de la nouvelle Égypte. Cette initiative, fruit d'une réflexion menée aux côtés des partis politiques et des différents groupes religieux, est la première tentative de rassemblement dans un climat électoral sous tension. Conseiller auprès du Cheikh Ahmed al-Tayeb, l'imam d'al-Azhar, le Dr Mahmoud Hazab a répondu aux questions du Point.fr.
Quelle est la mission d'al-Azhar ?
Al-Azhar est née le même jour que la ville du Caire, il y a 1 050 ans. C'est une institution qui enseigne les prières et les cultes, mais aussi la science, la langue arabe et la civilisation islamique et comparée. Elle s'est toujours située au coeur des préoccupations de la nation égyptienne, et s'est rangée aux côtés du peuple en organisant la résistance, que ce soit durant la révolte du Caire à l'époque de Napoléon Bonaparte (1798) ou durant la crise du canal de Suez (1956), lorsqu'elle a servi de tribune à Nasser.
Depuis une trentaine d'années, al-Azhar n'est plus un repère pour le peuple égyptien, qui la considère comme étant l'instrument de l'État.
Al-Azhar, comme l'Égypte, a été en effet affaiblie au cours des trente dernières années du fait d'un régime dictatorial qui ne connaissait pas les vraies valeurs de son pays. Le Cheik Tayeb, à la tête de l'université depuis avril 2010, a lancé plusieurs réformes en faveur de l'ouverture en tentant de s'écarter d'un discours islamique sectaire, souvent encouragé par le pouvoir en place.
Sous l'impulsion d'al-Azhar, un document signé par les partis politiques et les groupes religieux a été diffusé récemment. De quoi s'agit-il ?
Dans un élan d'ouverture, l'imam a invité les Frères musulmans, les salafistes et les laïcs, mais aussi des écrivains et des penseurs à se réunir pour répondre à la question suivante : quel État souhaitez-vous pour la nouvelle Égypte ? Six rencontres ont été organisées, et ont abouti à l'élaboration d'une charte de onze articles. Le premier article est primordial et témoigne de la volonté de construire un État-nation pour l'Égypte : national, constitutionnel, démocratique et moderne. Ce document souligne que l'Égypte n'a pas connu d'État religieux théologique comme beaucoup ont tendance à le dire. Nous ne sommes ni un État religieux ni un État militaire. Nous souhaitons que la Constitution se fonde sur la citoyenneté.
Ce document aborde également l'épineuse question de la charia, la loi islamique.
Oui. Il y a beaucoup de malentendus sur la question et al-Azhar entend les dissiper. Il faut savoir que, dans la Constitution actuelle, la charia n'est appliquée que dans la sphère de la vie personnelle : mariage, divorce et héritage. Nous n'avons pas une Constitution islamique comme en Iran ou en Arabie saoudite. En Égypte, nous avons un droit et des tribunaux civils. On ne coupe pas la main des voleurs et on ne lapide pas les femmes. Il faut également garder à l'esprit que la charia ne concerne que les musulmans. Les chrétiens appliquent leurs propres coutumes. Pour la première fois dans l'histoire moderne de l'Égypte, tous les courants - les candidats à la présidence, les chefs de partis musulmans et chrétiens, les nassériens et les salafistes - ont signé le document.
Un manifeste sur les libertés a également été diffusé la semaine dernière.
En effet, les mêmes acteurs ont élaboré un manifeste intitulé "Les quatre libertés fondamentales : liberté de la croyance, liberté de l'opinion et de l'expression, liberté de la recherche scientifique, liberté de la création". La semaine prochaine, nous nous réunirons pour aborder la question du rôle de la femme dans la nouvelle Égypte.
Le Cheikh Tayeb a proposé un changement de statut pour l'imam d'al-Azhar, jusqu'alors nommé par le président de la République. Quand interviendra-t-il ?
Nous allons remettre sur pied ce qui existait avant la révolution de 1952, "l'organisation des grands oulémas d'al-Azhar". Ce sont ces oulémas qui seront chargés d'élire le grand imam. Pour la première fois dans l'histoire d'al-Azhar, l'âge de la retraite est également remis en question. Il n'est pas question que l'imam siège à vie. L'Académie de recherches islamiques a opté pour un départ à la retraite à l'âge de 80 ans.
Depuis 1952, c'est l'État qui finance al-Azhar. Allez-vous également vous affranchir de cette dépendance financière ?
À l'époque de Nasser, les biens d'al-Azhar ont été nationalisés, c'est ce qu'on appelle les "wagfs", c'est-à-dire les dons qui étaient faits par les citoyens chrétiens et musulmans les plus aisés pour aider à faire fonctionner l'université. Ils s'agit de 1 045 hectares de terres que nous souhaiterions récupérer pour retrouver notre indépendance financière. Mais seront-ils suffisants ? Al-Azhar aujourd'hui, c'est 70 facultés, des étudiants provenant de 106 pays du monde. La question du financement de l'institution n'est pas encore tranchée...
Al-Azhar aura-t-elle un rôle à jouer dans la rédaction de la Constitution après les résultats des législatives ?
Oui, al-Azhar jouera un rôle dans la rédaction de la future Constitution. Nous ne sommes pas un ministère, nous n'avons pas de pouvoir exécutif, mais la rue est avec nous.
Des appels à manifester le 25 janvier sont lancés dans le pays, tandis que l'armée appelle, elle, à la célébration en ce jour anniversaire. Quelle est la position d'al-Azhar ?
Nous sommes d'accord pour des manifestations, à condition qu'elles soient pacifiques. Nous appelons à remplir les objectifs de la révolution. L'armée n'était pas présente lors de notre grande réunion qui a abouti à l'élaboration de la charte de onze points. Parmi ceux-ci figurent, entre autres, l'arrêt des jugements devant les tribunaux, la libération des prisonniers politiques, le dédommagement des familles des martyrs et la mise en place d'une administration qui leur sera dédiée, ainsi que le retour rapide de l'armée dans ses casernes. C'est le souhait d'al-Azhar et des signataires.
source point.fr/monde