Depuis le début de la crise en Libye les médias ont de toute évidence un parti pris pour le camp des rebelles. On semble se fier davantage à ce que dit la rébellion et mettre en doute les affirmations du gouvernement libyen.
Vérifier la véracité de déclarations n’a rien de répréhensible, au contraire : cette vérification devrait être systématique. Y compris dans le cas des gouvernements occidentaux et des rebelles de tout acabit. Pourtant les médias ne font preuve de pratiquement aucun scepticisme quant aux prétentions des rebelles libyens et des gouvernements « bienveillants » qui se portent à leur défense.
La scène de l'Hôtel Rixos
L'exemple le plus frappant est celui de la scène de l'Hôtel Rixos à Tripoli. Le 26 mars dernier, Eman al-Obeidi s'est présentée à cet hôtel où logent les journalistes étrangers pour accuser des soldats du régime libyen de l'avoir violée et torturée.
Dit-elle la vérité? Peut-être. Toutefois, dans les premiers reportages cette question n'était pas soulevée par les journalistes. Ces derniers ont pour la plupart vu dans cet incident une preuve de la cruauté du régime libyen. Dans les exemples ci-dessous, le choix des mots donne une aura de crédibilité au témoignage de la femme inconnue tout en démontrant de la méfiance à l’égard des autorités libyennes.
Mais les journalistes n'avaient qu'un seul souci: quel sort sera réservé à la jeune femme? Esquivant les questions sur ce « cas », il a affirmé qu'il n'avait pas d'assez éléments sur l'« incident », assurant que la femme allait être « traitée conformément à la loi ». (Une jeune femme violée tente de témoigner devant les journalistes à Tripoli, AFP/Le Monde, 26 mars 2011. C’est l’auteure qui souligne.)
Une femme a fait irruption samedi dans l’hôtel de Tripoli où logent les journalistes étrangers. Avant d’être expulsée sans ménagement, elle a pu raconter des bribes de sa terrible histoire […] Dans l’hôtel, le terrible témoignage provoque une bousculade. Un employé de l’établissement menace Eman d’un couteau et lui lance: «Traîtresse!» Bientôt, les sbires du régimes (sic) interviennent pour tenter de faire taire l’opposante. Eman est évacuée sans ménagements, tandis que les hommes de Kadhafi affirment que la jeune femme est une «malade mentale». (Adrien Gaboulaud, Libye: Eman al-Obeidi, celle qui brise le silence, Paris Match, 29 mars 2011. C’est l’auteure qui souligne.)
Dimanche 27 mars, le gouvernement affirme avoir libéré la femme. Si les médias rendent compte de leur difficulté à enquêter sur le cas, ils estiment aussi que le témoignage est crédible. “CNN n’a pas pu vérifier de façon indépendante le témoignage d’Eman Al-Obeydi, mais ses blessures semblaient cohérentes avec ce qu’elle disait”, explique la télévision états-unienne sur son site. Le New York Times renchérit : “Son expérience correspond aux rapports de longue date sur les abus des droits de l’homme en Libye sous le gouvernement Kadhafi.” (Jerome Delay, Libye - Confusion autour d’un viol collectif, Le Monde, 28 mars 2011. C’est l’auteure qui souligne.)
Même Al-Jazira a choisi son camp. Dans cette vidéo, la journaliste ne démontre aucun signe d’impartialité :
L’histoire retentissante de viol et d’abus d’Eman al-Obeidi aux mains des milices de Kadhafi a choqué les journalistes présents, mais la réaction des gardiens de sécurité du gouvernement libyen et du personnel de l’hôtel a accentué le désarroi. Une serveuse a brandi un couteau de table vers elle et l’a accusée d’être une « traitresse ».
Alors que des représentants du gouvernement essayaient de la faire taire et de l’emmener, elle a crié : « Ils disent qu’ils m’emmènent à l’hôpital, mais en réalité ils m’emmènent en prison ». Ensuite la manipulation du gouvernement a commencé. Le porte-parole [du gouvernement] a dit qu’elle était saoule et souffrait de maladie mentale et qu’elle n’était pas avocate, tel qu’elle l’affirmait, mais une prostituée, et, dernière fausse déclaration, qu’elle était à la maison, en sécurité avec sa famille. En fait, elle était à nouveau sous la garde des forces de Kadhafi, mais, déjà sa famille se battait pour elle. (Anita McNaught, Anger over detention of Libyan woman, Al Jazeera English, 28 mars 2011. C’est l’auteure qui souligne.)
Malgré la horde de photographes et de caméramans, il ne semble pas y avoir d’image disponible du couteau de table, brandi tantôt par un homme, tantôt par une femme selon les reportages, ni des blessures sanglantes de la présumée victime évoquées par de nombreux médias.
On dit par ailleurs qu’elle est emmenée « sans ménagement », mais on le voit bien dans la vidéo, un homme tient son bras, elle n’est ni menottée, ni cagoulée, ni traînée de quelque façon. Les manifestants pacifiques aux réunions du G20 sont d’ordinaire traités bien plus brutalement dans les pays dits « démocratiques », comme cela fut le cas à Toronto au Canada lors de la plus récente réunion.
La journaliste poursuit :
En entrevue avec la chaîne arabe d’Al-Jazira, ses parents montrent une photo d’elle avec son diplôme en droit lors de sa graduation. (Ibid. C’est l’auteure qui souligne.)
Pourtant, on nous montre sa mère avec une simple photo d’elle sans diplôme.
La révélation suivante du Washington Post aurait dû semer le doute dans les médias quant au témoignage d’Eman al-Obeidi :
Selon le Washington Post, « Hasan Modeer, un rebelle activiste qui était avec la mère de Mme Obaidi à Tobruk a déclaré qu’un représentant du gouvernement avait appelé Ahmed à 3 heure du matin dimanche pour demander à la mère de persuader sa fille de changer sa version des faits ». (Tara Bahrampour et Liz Sly, Libyan government offered money to appease Iman al-Obaidi, woman in rape-claim case, mother says, Washington Post, 27 mars 2011. C’est l’auteure qui souligne.)
Si cette femme a des liens avec les rebelles, il se peut que cette histoire soit un événement fabriqué, une opération psychologique destinée à galvaniser l'opinion publique mondiale en faveur de l’intervention de l’OTAN et à diaboliser le régime libyen, à l'instar de Nayirah al-Sabah, durant la guerre du Golfe.
Cette Koweïtienne avait fait un témoignage émouvant devant le Congressional Human Rights Caucus des États-Unis sur des atrocités apparemment commises par le régime irakien. Il s'est avéré par la suite que cette jeune femme était la fille de l'ambassadeur du Koweït aux États-Unis et que son témoignage n'était que pure fantaisie.
Pourquoi donc les médias prennent-ils parti pour la rébellion en Libye? Est-ce volontaire ou non? Ce qu’il y a de plus dérangeant dans ce favoritisme, c’est qu’on ne cesse de nous parler des rebelles, mais on ne nous a jamais dit qui sont ces rebelles libyens!
Les rébellions armées et les « interventions humanitaires »
Alors, qui sont-ils ces rebelles? Qui les arme? Qui les finance? Quels sont leurs intérêts? Ont-ils des liens avec des pays étrangers? Bref, on semble n’avoir qu’une vague idée de la nature de cette rébellion armée, et, pourtant, on la défend dans la presse occidentale, au même titre que les soulèvements populaires non armés en Tunisie et en Égypte.
Si l’on regarde un tant soit peu en arrière, on peut se poser les questions suivantes : s’agit-il du même genre de rebelles que ceux qui ont été armés et financés par la CIA en Haïti et qui ont contribué au renversement en 2004 de Jean-Bertrand Aristide, président élu avec une majorité d’environ 70 % et aux tendances socialistes et anti-impérialistes? (Voir Julie Lévesque, L’ingérence étrangère en Haïti : quelle démocratie?, Mondialisation.ca, 19 novembre 2010)
Ou peut-être sont-ils du même type que les Contras du Nicaragua, ces « combattants de la liberté », défendus par le gouvernement Reagan dans les années 1980, armés et financés par la CIA, et qui tentèrent de mettre fin à la révolution sandiniste, elle aussi socialiste et anti-impérialiste? (Voir Philip Agee, How United States Intervention Against Venezuela Works, Global Research, 15 septembre 2005)
Ces exemples ne semblent pas faire partie de la mémoire médiatique, dont on peut sérieusement douter de l’existence. La seule comparaison que l’on nous sert est celle avec le Kosovo. Pourtant, là aussi, l’histoire se répète : l’Armée de libération du Kosovo a été armée et financée entre autres par la CIA. (Voir Michel Chossudovsky, La déstabilisation de la Bolivie et l’option Kosovo, Mondialisation.ca, 7 octobre 2008)
Mais comme la vérité peine à faire son chemin dans les têtes bien pensantes de la presse occidentale, l’intervention des États-Unis et de l’OTAN au Kosovo est un exemple de « guerre humanitaire » à suivre pour éviter des « massacres ».
Or, quiconque a étudié au minimum l’éclatement de la Yougoslavie, sait que le but ultime de cette intervention était de diviser pour régner, d’éliminer une économie socialiste fonctionnelle, aujourd’hui scindée en petites entités capitalistes criblées de dettes, faisant ainsi le bonheur des grandes institutions financières de ce monde. Les Serbes ont été accusés d’avoir commis des massacres alors que la violence dont ils ont été victimes a été et demeure largement ignorée. (Voir Srebrenica Historical Project)
Il y a eu le « boucher de Bagdad », le « boucher de Belgrade » et aujourd’hui c’est le « boucher de Tripoli ». Toujours la même tactique. Toujours les mêmes sauveurs. Toujours, on n’y voit que du feu.
La version officielle de ce genre d’intervention a hérité du nom de « guerre » ou « intervention humanitaire », que d’autres qualifient à juste titre d’« impérialisme humanitaire ». Rappelons-nous : les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts.
Ceux qui interviennent à l’étranger ne le font pas pour sauver des peuples, mais leurs intérêts économiques et la presse se garde bien de nous expliquer la lutte de pouvoir entre les États occidentaux au pays de Kadhafi, la plus grande richesse pétrolière africaine. (Voir Michel Chossudovsky, L’« Opération Libye » et la bataille du pétrole : Redessiner la carte de l’Afrique, Mondialisation.ca, 22 mars 2011)
En 2001, peu après l’intervention de l’OTAN en Yougoslavie, le concept orwellien de « responsabilité de protéger » a été développé sous l'égide de la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États, une initiative du gouvernement canadien.
Après avoir diabolisé à outrance le chef libyen, les médias se sont empressés de promouvoir la fameuse doctrine du « devoir de protéger » pour venir en aide au peuple libyen, doctrine prônée aussi par les dirigeants en faveur d'une intervention armée aux côtés des rebelles, dont on ne nous révèle toujours pas l'identité.
La ligue arabe, qui s’est prononcé le 13 mars en faveur d’une zone d’exclusion aérienne pour « protéger les civils », compte de nombreux alliés des États-Unis, dont le Yémen, Bahreïn et l’Arabie Saoudite, qui sont loin d’être des exemples de démocratie. L’Union africaine s’est pour sa part opposée à une intervention de l’extérieur.
Plutôt que de remettre en question les raisons de cette intervention et les intérêts de ses partisans, les grands médias ont préconisé l'ingérence, sans savoir qui est à l'origine de la rébellion armée.
La plupart des tyrans trouvent des prétextes nobles pour massacrer ceux qui les contestent. Kadhafi, lui, affirme sans la moindre gêne son intention de déclencher un carnage illimité. À ses yeux, aucun prix n'est trop élevé pour se maintenir au pouvoir.
Au moins, c'est clair. Il n'est plus possible de prétendre que la menace qui plane sur le peuple libyen est le fruit d'une oeuvre de propagande. Plus possible, non plus, de faire semblant que l'on ne sait pas ce qui nous attend, comme on l'a fait pour le Rwanda ou la Bosnie.
Avec son massacre annoncé, le sinistre colonel crée un précédent. Et place la communauté internationale devant un dilemme délicat: jusqu'où faut-il aller pour empêcher le bain de sang? […]
[L]e cas de la Libye s'apparente plutôt à celui du Kosovo, où l'OTAN avait déclenché une offensive militaire, en 1999, pour protéger la population contre le pouvoir serbe. […]
C'est d'ailleurs dans la foulée de cette opération que l'ONU avait commencé à explorer un nouveau concept: celui de la « responsabilité de protéger ».
Mais si le tyran de Tripoli continue à massacrer son peuple, tôt ou tard, le monde aura l'occasion de tester le beau principe de la « responsabilité de protéger ». Car si on ne le fait pas dans ce cas-ci, c'est qu'on ne le fera jamais. (Agnès Gruda, Le devoir de protéger, Cyberpresse, 5 mars 2011. C’est l’auteure qui souligne.)
Cette doctrine de la « liberté de protéger » existe. Elle a été promue par le gouvernement canadien, à l’ONU, il y a quelques années. Pourtant, aujourd’hui, ni le gouvernement Harper, ni le chef du parti qui a conçu cette doctrine, Michael Ignatieff du PLC, ne proposent de l’utiliser pour protéger le peuple libyen contre le tyran qui promet « des rivières de sang ».
Heureusement, il s’est produit ce samedi un événement étonnant. Une organisation internationale à laquelle le Canada ne participe pas a eu la décence “d’assurer un soutien immédiat et continu au peuple libyen (…) face aux dangereuses violations et aux crimes des autorités libyennes, lui faisant perdre leur légitimité”. Cette organisation de démocrates conséquents a réclamé, sans la nommer, l’application du principe de “responsabilité de protéger” en réclamant du Conseil de sécurité de l’ONU l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne sur la Libye […] (Jean-François Lisée, Mais où est donc la « responsabilité de protéger », L’actualité, 13 mars 2011. C’est l’auteure qui souligne.)
Ici les deux auteurs font erreur. En réalité, c’est le fils de Kadhafi, Seïf Al-Islam, qui a parlé de « rivières de sang » et cette image choc, prise hors contexte, sert bien la propagande interventionniste. Il a dit auparavant : « Nous envisageons comme dernière solution […] de nous en remettre tous aux armes, nous allons armer 5 millions de Libyens, la Libye n’est ni la Tunisie ni l’Égypte […] Des rivières de sang couleront […] »
N’est-il pas insensé qu’un gouvernement contesté par un soi-disant soulèvement populaire se propose d’armer 5 millions de citoyens alors que son pays en compte 6,5 millions? Les médias n’ont fait que souligner la « promesse » de « faire couler des rivières de sang », ce qui donne l’impression que les forces militaires du régime se lanceront dans une folie meurtrière contre une population sans défense.
C’est l’auteure qui souligne.)
C’est l’auteure qui souligne.)
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