La Tunisie et l'Algérie sont en proie à de violentes et rares manifestations, les jeunes protestant contre la précarité de l'emploi, dans le premier cas, et contre le coût de la vie dans le second.
Marie Desnos - Parismatch.com
Des situations différentes, mais les mêmes désillusions, le même sentiment d’injustice de la jeunesse en colère. Alors que la Tunisie est secouée depuis trois semaines par des manifestations sur fond de climat social instable, alors que le taux de chômage est officiellement à 14% (mais officieusement à plus de 20%), l’Algérie est gagnée à son tour par des mouvements de protestation, en raison de l’augmentation des prix des produits de première nécessité. Au pays de Zine el-Abidine Ben Ali, qu’il dirige d’une main de fer depuis 23 ans, tout a commencé le 17 décembre, après l’immolation par le feu à Sidi Bouzid (Centre-Ouest) d’un jeune primeur de 26 ans à qui la police avait confisqué sa marchandise.
Grièvement brûlé, il est décédé dans la nuit de mardi à mercredi derniers. Cet acte de désespoir absolu de Mohamed Bouazizi, jeune diplômé réduit à vendre des légumes et à qui on venait même d’enlever ça, est devenu le symbole de cette jeunesse frustrée et angoissée de l’avenir.
Une vague de manifestations sans précédent depuis l’avènement du successeur d’Habib Bourguiba s’en est suivie, non seulement à Sidi Bouzid, mais aussi à Bouziane, dans le centre-sud du pays, où deux civils ont été abattus par des policiers qui plaident la «légitime défense», et même jusqu’à Tunis, tout au Nord du pays, ou encore à Sousse, une station balnéaire située à 150 kilomètres de la capitale. Une vague de suicides a également suivi. Le 22 décembre, un diplômé sans emploi du nom de Houcine Néji s'est donné la mort en s'accrochant à une ligne électrique à haute tension pour protester contre «la misère et le chômage».
Et dernièrement, un homme 52 ans, père de quatre enfants au chômage et qui s’était vu refuser des aides sociales pour financer ses dialyses, a été retrouvé pendu à un arbre aux abords de la ville de Chebba, dans le centre-est du pays.
Mercredi soir, les manifestations ont repris de plus belle à Thala, au sud-ouest de Tunis, alors que Mohamed Bouazizi était inhumé. A la suite de ses obsèques, une femme et ses trois enfants ont escaladé un pylône électrique mercredi à Sidi Bouzid pour tenter de mettre fin à leurs jours, avant d'en être dissuadés par des officiels, rapportent des témoins. A Thala, «des lycéens ont incendié les locaux du RCD (parti au pouvoir) (…). On n’avait jamais vu cela», commente Souhayr Belhassen, présidente de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), sur Afrik.com.
Les policiers ont fait usage de canons à eau et de gaz lacrymogènes pour disperser les jeunes en colère, qui leur jetait des projectiles en feu. Un représentant local du syndicat des enseignants a précisé que les autorités ont, par la suite, fermé les écoles et les collèges de Thala jusqu'à nouvel ordre.
Jeudi, plusieurs milliers d'avocats tunisiens se sont par ailleurs mis en grève pour protester contre «le passage à tabac d'avocats au cours des derniers jours» par la police, a déclaré à Reuters Me Abderrazek Kilani, le bâtonnier de l'ordre des avocats tunisiens. Selon Kilani, des avocats ont en effet été violentés par les forces de l’ordre lors de sit-in organisés la semaine dernière à Tunis et dans les villes de Monastir et Grombalia en signe de solidarité avec les manifestants de Sidi Bouzid. D’après ses chiffres, 95% de ses 8000 confrères avaient pris part jeudi à la grève.
La face cachéede la Tunisie
Un tel mouvement généralisé de contestation est rarissime, dans ce pays souvent présenté comme modèle par l’Occident et la France en particulier. Mais pour l'éditorialiste du «Monde», les manifestations ne sont «pas surprenantes dans un pays où le parti du président Ben Ali contrôle tout et ne laisse absolument aucune soupape à l'expression du moindre mécontentement, hormis la rue, justement».
Un sentiment partagé par les jeunes interrogés par le quotidien alors qu’ils participaient à un rassemblent de soutien au peuple tunisien, jeudi à Paris. «Ce n'est pas normal que Ben Ali soit réélu tous les cinq ans avec 99,9 % des voix», estime une jeune femme qui accuse le président de dérives dictatoriales. «Il y a du progrès maintenant, le dernier scrutin lui donnait 96 %... Notre soutien ici en Europe va beaucoup les aider.
En général, les mouvements sociaux sont trop vite réprimés.» «C'est triste, mais les grands changements se passent comme ça. C'est comme la Révolution française», renchérit un étudiant ayant soif de changements. Un avocat a, lui, considéré, que le premier objectif de ces manifestations était «de briser le mur de la peur». «L'opposition est fragmentée, affaiblie mais on assiste peut-être à une fin de règne. Le résultat sera sans doute une scission au sein du parti au pouvoir. Un clan s'est accaparé toutes les richesses du pays, ça ne peut plus durer», a-t-il ajouté. La Tunisie est-elle à un tournant ?
Souhayr Belhassen en doute. «Nous sommes dans l’inconnu. (…) Mais je doute que ces manifestations soient le début de la fin du régime de Ben Ali. Tant que les alliés de la Tunisie, la France en premier lieu et les pays Européens, ne bougent pas, ils donnent du temps de survie au régime». Paris et l’UE sont en effet critiqués pour leur silence «complice» selon «Le Monde».
Selon la présidente de la FIDH, cette passivité s’explique par la position stratégique de la Tunisie, que l’Occident ne voudrait pas froisser. Le pays est en effet «un filtre en ce qui concerne l’immigration», et ses «dirigeants sont plus commodes que les Algériens et moins imprévisibles que Kadhafi». Le gouvernement tunisien, qui accuse l'opposition d’être à l’origine de ce chaos, a annoncé le déblocage de 6,5 milliards de dinars (environ 3,5 milliards d'euros) en faveur de l'emploi des diplômés.
Le spectre de 1988
Pendant ce temps, le pays voisin d'Abdelaziz Bouteflika est confronté à flambée de violence en réaction au coût exorbitant de la vie. Ici, tout est parti d’une rumeur, mardi, comme le raconte «El Watan». «Une descente de police serait prévue pour déloger tous les vendeurs à la sauvette qui squattent les trottoirs» dans le quartier populaire de Bab el-Oued, à Alger.
Le lendemain, «les jeunes du quartier sont décidés à en découdre avec les forces de l’ordre si jamais on leur interdisait l’occupation de leurs endroits habituels. A 19h30, sans raison particulière et sans que les forces de l’ordre aient entrepris la moindre opération, un début d’émeute embrase les quartiers Triolet, Trois Horloges, Carrière, et celui du cinquième arrondissement où se trouve le commissariat du quartier», explique le quotidien algérien.
«On a voulu pousser les jeunes à bout pour les faire sortir dans la rue, dénonce Nacer, président de SOS Bab El Oued. La situation actuelle est propice à l’embrasement avec la dernière augmentation des prix de certains produits. Cela rappelle ce qui s’est passée en octobre 88.»
A l'époque, un mouvement populaire de grande ampleur avait mis fin au parti unique, le FLN. Jeudi, la tension a monté d’un cran à Bab el-Oued et ailleurs. Les émeutes ont dégénéré, des boutiques ont été vandalisées et d’autres brûlées.
Lourdement armée, la police a fait usage de canons à eau et de gaz lacrymogènes pour disperser la foule. Des troubles analogues se sont produits à Oran, sur la côte à l'ouest d'Alger, à Tipaza, à 68 km à l'ouest d'Alger, à Blida, au sud de la capitale, à Djelfa, plus au Sud, mais aussi à Boumerdes (à 45 km à l’Est de la capitale), à Bejaia (à 200 km à l'est) ou encore à Annaba (à l’extrême Nord-Est, à la frontière tunisienne).
Aujourd'hui, comme le souligne Afrik.com , le climat est à ce point tendu que l'ensemble des matches de football prévus ce week-end ont été annulés. Le gouvernement a annoncé son intention d'investir 218 milliards d'euros dans les quatre ans qui viennent pour créer des logements et améliorer la vie quotidienne des Algériens.
Le président Abdelaziz Bouteflika a en outre promis de faire sortir de terre un million de nouveaux logements d'ici à 2014.
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