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2 juin 2011 4 02 /06 /juin /2011 17:50
par asdhom
  

La vidéo postée sur Youtube depuis Casablanca a fait le tour des rédactions. Elle continue à être visionnée. Elle se passe de tout commentaire.

 

Les faits remontent au 29 mai dernier quand les jeunes du mouvement 20 février à Casablanca sont allés à la rencontre des habitants du quartier populaire Sbata. Cette manifestation était pacifique et ne présentait aucun danger qui puisse porter atteinte à l’ordre public. Les autorités marocaines en ont jugé autrement. Elles ont décidé de casser du manifestant. A elles seules, les images de la vidéo montrent la violence de l’intervention policière qui n’a épargné personne. La femme qu’on voit avec son petit garçon, âgé à peine de quelques années, a eu sa part de cette violence inouïe.

 

D’autres rassemblements et manifestations, organisés le même jour par le mouvement 20 février à travers plusieurs villes marocaines, ont eu droit au même traitement.

 

Cette répression n’a rien d’exceptionnelle. Elle s’inscrit dans la démarche du pouvoir à vouloir anéantir la contestation populaire qui s’enracine et se développe sous la houlette du mouvement du 20 février. Après s’être rendu compte que l’agitation médiatique qui a suivi les quelques mesures annoncées (commission chargée de réformer la Constitution, CNDH, etc.) n’a pas pu mettre un terme à la volonté des jeunes de ne pas baisser les bras, mais au contraire, elle a amplifié leur mouvement et affiné leurs exigences d’en finir avec le despotisme, la corruption et tous les maux qui gangrènent la société marocaine.

 

L’Association de Défense des Droits de l’Homme au Maroc (ASDHOM) est très préoccupée par cette escalade dans la répression opérée par les forces de l’ordre marocaines. L’usage de la violence contre les manifestants pacifiques du mouvement du 20 février, le 15 mai à Témara et Rabat, les 22 et 29 mai dans plusieurs villes du pays, est inadmissible. Il en est de même de l’intervention violente, les 16 et 17 mai, à la prison de Salé pour réprimer les détenus dits de Salafia Jihadia, qui protestaient contre le non respect des promesses reçues quant à l’amélioration de leurs conditions de détention, voire de leur libération imminente. Depuis cette intervention qui a fait des blessés graves, la situation s’est dégradée.

 

C’est cette même violence condamnable qui a conduit à la mort, le 20 février à Séfrou, du jeune Karim Chaeïb et de cinq autres à Al Hoceima dans des circonstances non encore élucidées. L’ASDHOM dénonce et condamne avec force toutes les arrestations qui ont touché les manifestants du mouvement 20 février ainsi que leurs soutiens parmi les militants des forces vives et démocratiques du Pays. Elle rappelle aux autorités marocaines que cette répression est contraire au discours officiel, tenu au plus haut niveau de l’Etat, en termes de respect des libertés individuelles et collectives et la garantie de leur exercice.

 

Les engagements internationaux du Maroc en la matière ne sont pas honorés.

L’acharnement des forces de l’ordre sur les manifestants du mouvement 20 février montre bien que les autorités marocaines n’ont toujours pas encore choisi en réalité la voie de l’Etat de droit. C’est bien ce dernier, basé sur la liberté, la dignité, la justice sociale et la démocratie, que réclame pacifiquement avec insistance, courage et maturité le mouvement du 20 février.

 

Les images que nous renvoie le Maroc officiel en guise de réponse aux aspirations légitimes des manifestants font mal. Elles sont inacceptables.

La femme, violentée devant son petit enfant, aurait souhaité qu’on lui dise « bonne fête », étant donné que ce dimanche 29 mai était jour de fête des mères. Les forces de l’ordre, elles, ont choisi de lui faire « sa fête ».

 

C’est dans ce climat général de terreur que veulent instaurer les autorités que des militants et responsables d’associations ont été la cible privilégiée des forces de police. L’arrestation à Bouarfa (Province de Figuig) de plusieurs citoyens dont Seddik Kabouri, militant de l’AMDH et animateur de la coordination contre la cherté de la vie, après l’importante marche du 18 mai qu’a connu la ville pour exprimer le mécontentement et les craintes suite à la tentative de quelques jeunes diplômés chômeurs de s’immoler par le feu, illustre bien cet état d’esprit.

 

L’ASDHOM demande aux autorités marocaines de respecter le droit de manifester, garanti par tous les textes internationaux auxquels adhère le Maroc et de procéder immédiatement à la libération de tous les détenus du mouvement du 20 février.

 

L’ASDHOM soutient le mouvement du 20 février dans ses revendications légitimes et exige de l’Etat marocain leur satisfaction.

 

L’ASDHOM met en garde les autorités marocaines contre toute escalade dans la violence à l’égard des manifestants.

Paris, le 1er juin 2011

Bureau exécutif de l’ASDHOM

 

Source : http://asdhom.org/?p=445

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2 juin 2011 4 02 /06 /juin /2011 16:46

Discussion sur une mondialisation qui profiterait, cette fois-ci , non pas aux élites politico-économiques mais aux Peuples.

 

 Les pays arabes en révolte, ça a fait le tour du monde. Pris dans la tourmente de la dictature, ces peuples ont osé se soulever. Ca a commencé en Tunisie, puis en Egypte, puis cela se propage encore dans d'autres pays comme la Libye ou la Syrie, tel un effet de domino. Certes, ces soulèvements laissent de grandes espérances mais ces mouvements sont loin d'aboutir à une révolution de liberté. En revanche, l'effet Internet a permis de développer et de propager ce sentiment de révolte. Internet pourrait bien servir, également, de moyen de communication "révolutionnaire" à l'Europe.

 

Sur notre continent, l'Espagne est peut-être ce pays qui initiera un mouvement de révolte dans les pays occidentalisés. Et comment ne pas faire le lien entre ce qui se passe dans les pays arabes et l'Europe ? Certes, l'Espagne n'est pas une dictature qui prive les individus de libertés. Mais le peuple espagnol subit de plein fouet la mondialisation économique et marchande. Et comment ne pas penser également à ce que subissent les Grecs qui reçoivent de plein fouet un plan de rigueur et d'austérité ? Une politique qui a été imposée par l'Europe et le FMI pour sortir de la faillite. Des Etats européens qui explosent à petit feu dont les causes sont multiples : L'euro trop cher qui ralentit les exportations de nos entreprises, la concurrence féroce avec les Etats-Unis et la Chine, etc. Les Etats-Unis et la Chine, justement, que l'Europe prend, à tort, pour modèle, etc. L'idéal serait ainsi de casser les barrières étatiques pour se baser sur les lois du marché. L'Europe veut progressivement casser les frontières et briser les politiques nationales tels que le SMIC et les missions sociales. D'ailleurs, le Directeur de la BCE, Jean-Claude Trichet s'est déjà montré hostile aux augmentations de salaire faites par l'Etat. Des hausses qui devaient répondre aux difficultés liées à la crise financière dont les premières victimes restent les populations défavorisées. Même François Baroin était monté au créneau pour condamner les propos de J-C. Trichet... Et même Nicolas Sarkozy en 2007 s'était étonné que la BCE mette à disposition de grosses sommes d'argent aux banques plutôt que de favoriser nos entreprises.

 

Ainsi, pour les institutions européennes, il est vrai que la population chinoise gagne en moyenne 278 euros par mois alors pourquoi pas les salariés européens ? Jacques Séguéla, co-fondateur d'Havas, avait d'ailleurs fait cette petite phrase sympathique et révélatrice des distances qui éloignent les élites économiques du peuple : "Le salaire moyen d'un chinois, c'est 10% du SMIC, et ils sont heureux et ils se battent et y croient" (le 3 janvier 2011 sur BFM TV).

 

Mais dans quelle réalité vivent ces élites qui donnent des leçons au peuple ? Un peuple qui vit déjà avec la précarité et la progression lente vers la libéralisation du travail. Et ce sont les jeunes, les oubliés du XXIe siècle, qui paient aujourd'hui les politiques économiques désastreuses de leurs ainés. Le collectif "génération précaire" dénonce d'ailleurs régulièrement des abus qui sont aujourd'hui devenus des routines dans le milieu du travail. Le CDI est un rêve voire une illusion, le CDD une ambition et le stage est devenu un contrat à part entière. Avec un stage, l'entreprise ne paie qu'un tiers du smic, voire aucune rémunération (dans le cas où le stage dure moins de 2 mois). Certaines grandes entreprises ont, de fait, compris leur intérêt dans ce type de contrat. « Nous recrutons un stagiaire pour travailler sur le recrutement des stagiaires. » C’était l'une des offres proposées en avril 2010 par le site de Danone, rubrique « Carrières »... (source www.actuchomage.org). Il faut non seulement être compétent pour le stage mais aussi faire plus que le simple salarié dans l'espérance d'avoir un débouché... ce n'est bien souvent qu'une vaine illusion.

 

Les jeunes sont devenus trop nombreux, trop compétents. Aujourd'hui il faut un Master (bac +5) pour espérer décrocher un petit job dans leur secteur et encore. Il y a quarante ans, sans bac, un individu pouvait grimper les échelons sociales de son entreprise et devenir pourquoi pas, cadre ou entrepreneur. Aujourd'hui, cela parait fantaisiste, irréaliste. Les jeunes sont devenus une menace pour les élites de la génération "mai 68" qui détient le pouvoir financier, économique et politique. Et cette dernière n'hésite pas à dénigrer le jeune considéré comme insouciant, voulant le confort à tout prix, désintéressé par la politique, mais lorsqu'il l'est, est toujours situé à l'extrême gauche voire chez les "anars"... En même temps, comment le jeune ne peut pas être révolutionnaire aujourd'hui (sans pour autant être extrémiste) ?

 

 

Lire la suite :  http://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/les-indignes-de-l-espagne-a-la-95245

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2 juin 2011 4 02 /06 /juin /2011 08:29

 par  Pierre Obolensky

 

Le « Printemps arabe » qui a balayé des dictateurs que l'on pensait inamovibles en Tunisie et en Egypte et qui a attisé des feux de révolte depuis le début de l'année 2011 à travers l'Afrique du Nord et le Proche-Orient se serait-il arrêté aux frontières du Royaume chérifien ?

 

  

En effet, si on se fie à l'attention médiatique qui lui est consacrée depuis la Belgique, où vit depuis près de 45 ans une importante minorité de belges d'origine marocaine, le Maroc semble relativement épargné par les mobilisations de masse et à l'abri de tout risque de déstabilisation. 


 

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Le Roi des pauvres ?

 

Il est vrai que Mohamed VI, présenté comme le « Roi des pauvres » et comme un despote éclairé à la tête d'une monarchie acceptable et légitime, sert fort bien les intérêts occidentaux. Le Maroc est très proche de Washington (il collabore avec entrain à sa croisade contre le terrorisme) et entretient également une relation privilégiée avec l'Union Européenne qui lui a accordé le statut de partenaire le plus avancé aux côtés d'Israël. S'y est développé une bourgeoisie compradore1 qui a prospéré en vendant son pays et ses ressources aux multinationales occidentales. 

Mohamed VI, jeune et présentant une image d'entrepreneur moderne, a l'avantage de succéder à son père2 dont il fait tout pour se démarquer dans les formes. Maître dans l'art du protocole, il a su orchestrer un semblant de démocratie (pluralité politique et dans la presse)pour soigner les apparences à destination du reste du monde. En tant que « commandeur des croyants », sa popularité reste très importante dans le pays.

 

Pourtant, il exerce avec son clan une concentration extrême des richesses alors que la majorité de la population vit dans la pauvreté et que beaucoup de jeunes choisissent l'exil pour survivre.

Il concentre également tous les pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire, économique et religieux). Le gouvernement, le parlement ainsi que les partis politiques (mis à part quelques exceptions) sont soumis au bon vouloir du palais royal. Et certains thèmes sont absolument tabous, comme la légitimité sacrée de la monarchie alaouite, intouchable jusqu'à ses choix de gouvernance, ou la souveraineté nationale sur le Sahara Occidental3.


La clé de voûte du pouvoir est le tout-puissant appareil sécuritaire du Makhzen4, dont la simple évocation suscite la crainte au Maroc. La répression y est dure (arrestations, cas de disparitions forcées, tortures) particulièrement contre les activistes progressistes, les étudiants et syndicalistes contestataires, les islamistes et les sahraouis.


Bien que des espaces de liberté et d'expression pour la contestation existent (balisés et sous contrôle), il s'agit d'un système mafieux et autoritaire incapable d'apporter des solutions face aux urgences de la situation socio-économique du pays. Le Maroc connaît un chômage de masse, y compris chez les doctorants. Beaucoup de paysans émigrent dans les villes et le secteur informel représente une part importante de l'économie nationale.

La population marocaine paye le prix de plans d'ajustements structurels imposés par les institutions financières internationales début des années 80, qui ont privatisé des pans entiers de la société, enseignement et santé entre autre. La globalisation néo-libérale qui a suivi un siècle de colonialisme et de néo-colonialisme a enfoncé le Maroc dans le sous-développement. A cela, s'ajoutent de plus en plus de problèmes internes (corruption, affairisme, clientélisme, scandales de détournements de fonds publics) qui expliquent pourquoi les marocains suivent d'un œil attentif les révoltes populaires dans le Monde Arabe, et les ont, contrairement à ce que l'on entend, relayées dans leur pays. Depuis le 20 février, il y a eu 3 journées nationales de mobilisations historiques au Maroc, et d'innombrables actions, manifestations ou sit-in dans plus d'une centaine de localités !

 

Le Mouvement du 20 février

 

A l'avant-garde se trouve cette fameuse génération Facebook, une « nouvelle race de marocains mutants »5, très jeunes (de 15 à 25 ans), qui n'ont pas connu les années de plomb, et osent s'exprimer haut et fort . « On n'a plus peur désormais, c'est fini. Mamfakinch !6 »

Tahani et Montasser à Rabat, Nabil à Casablanca, Youssef à Oujda...

Ils sont parmi des centaines de milliers d'autres, acteurs et porte-paroles du Mouvement du 20 Février. Leurs revendications sont politiques et sociales. 

Ils veulent un changement de Constitution dirigé par le peuple et la mise en place d'une monarchie parlementaire où le Roi règne mais ne gouverne pas.

La liberté des prisonniers politiques et la condamnation des tortionnaires, ainsi que des responsables de la situation économique désastreuse.

Ils se battent pour un accès pour tous aux soins de santé, à l'enseignement, à un emploi, à un logement abordable. Et pour lutter contre la cherté de la vie, ils revendiquent la hausse du salaire minimum et la baisse des prix pour les denrées alimentaires.

Tous parlent de la place de la femme, exploitée à tous les niveaux dans la société marocaine, et de la lutte pour la parité. Ils veulent la reconnaissance officielle de la langue berbère, l'Amazigh.

Enfin, ils osent demander la séparation de l'État et de la religion.

Leurs slogans parlent de pain, d'emploi et de logement, de dignité, d'égalité et de liberté, on a beau chercher on ne trouve aucun mot d'ordre religieux. On est loin de la caricature (imposée par la théorie du choc des civilisations) que l'on se fait en Occident des peuples arabo-musulmans.

 

Antécédents et Printemps Arabe

 

Ils expliquent que le Mouvement du 20 Février n'est pas arrivé comme par miracle, que bien des luttes existaient au niveau local dans de nombreuses villes. Des mouvements spontanés, des luttes dispersées mais bien réelles. Comme celle des chômeurs diplômés qui ont fondé l'association nationale des diplômés chômeurs (ANDCM), ou celle de Bouarfa contre la vie chère.

Là-bas, cela fait plus de 3 ans que les habitants boycottent les compagnies de gaz et électricité qui pratiquent des prix exorbitants. Ils refusent tout simplement de les payer. Les étudiants ont joué un grand rôle, qui au sein de l'UNEM (Union Nationale des Étudiants Marocains) ont mené des mouvements de contestations dans plusieurs universités du pays (Fès, Casablanca, Oujda, Rabat).

En l'absence d'un véritable parti de gauche crédible et légitime7, l'Association marocaine des Droits de l'Homme (AMDH) fait office de refuge et de garde-fou8. Elle effectue un travail de masse dans une centaine de localités du pays, et regroupe près de 10 000 membres ! Elle a joué un rôle essentiel dans l'organisation du mouvement.

 

Comme en Tunisie ou en Egypte, la révolte est bien l'aboutissement d'une lutte de classes intense.

Mais il fallait une étincelle. Et elle porte le nom de Mohamed Bouazizi.

« Les révoltes arabes nous ont montré que c'était possible dans des pays très opprimés comme la Tunisie et l'Égypte. Elles nous ont donné un cadre global pour avancer nos revendications. On était déjà en révolte mais là, on se dit c'est le moment ! » nous explique Tahani.

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Nabil : « Les révoltes tunisiennes et égyptiennes ont joué un grand rôle pour notre mouvement au Maroc. Bouazizi a été le détonateur ! Pour tous, il était temps de s'exprimer et de réagir, de sortir et de lever la voix pour dire non aux injustices, à la corruption. On veut une nation nouvelle, un pays qui respecte tous ses citoyens. Comme ailleurs, nos slogans principaux parlent de pain, de liberté et de dignité ! »

 

 

Historique du mouvement

 

Montasser raconte comment les jeunes se sont organisés en utilisant les nouvelles technologies et réseaux sociaux sur le net pour mobiliser et coordonner le mouvement :

« Nous avons crée un groupe sur Facebook fin janvier appelant à une première marche qui a finalement eu lieu le 20 février. Puis des réunions concrètes nous ont permis de nous connaître et de nous organiser en sections locales. Des assemblées générales ont lieu chaque semaine. La réaction du Makhzen ne s'est pas fait attendre, notamment via Internet pour salir le mouvement et ses porte-paroles, et même acheter l'un d'eux. L'un des jeunes les plus en vue a retourné sa veste, il est passé le 19 février, la veille de la première mobilisation, à la télévision et à la radio pour annoncer que tout était annulé ! Et pourtant nous avons marché le lendemain. Malgré le mauvais temps et le blocage des moyens de transports, trains et taxis collectifs. Au début de la manif, des flics en civils se sont mis devant et ont même été jusqu'à lancer des slogans acceptables par le Makhzen, mais ils se sont vite fait submerger. A la fin, des jeunes agitateurs et des casseurs ont commis des actes de vandalisme pour nous discréditer mais ça n'a pas pris non plus  ». 

Résultat : près de 400 000 personnes dans une soixantaine de villes du Maroc9. Le mouvement est lancé, la génération Facebook fait trembler les puissants ! « Nous mêmes avons été surpris de la participation massive des citoyens, c'était du jamais vu ! » ajoute Tahani.

 

Le 9 Mars, Mohamed VI réagit dans une allocution télévisée étonnante.

Il propose une réforme constitutionnelle et plus largement un nouveau pacte entre le Roi et son peuple. Mais la commission nommée pour réécrire la Constitution est illégitime de par sa composition puisque ses membres sont nommés par le Roi seul et sont des hommes de l'appareil décrié par la population. Les quelques mesures annoncées (augmentation du salaire minimum, du salaire des fonctionnaires, ainsi que des petites retraites) sont trop tardives et limitées et ne sont pas suffisantes pour arrêter le mouvement. 

Le fait que Mohamed VI ai du réagir montre le poids du mouvement social. Toutefois il ne semble pas avoir pris l'ampleur du mécontentement profond exprimé par sa population.

Les actions continuent de plus belle (manifs, sit-in, flash-mobs) et pour la première fois à cette échelle, la répression policière s'abat sur les participants, le 13 Mars.

Et elle ne fait que décupler la volonté des contestataires. Youssef s'enthousiasme : « A partir de là, le mouvement va s'adresser à tous les secteurs exploités du pays et connaîtra une progression constante tant qualitative que quantitative en développant sa capacité d'organisation et sa faculté de mobilisation. J'ajoute que le Mouvement du 20 Février a toujours été pacifique  ».

 

Les jeunes se répartissent les tâches entre différents comités (communication, organisation des manifs, sécurité, coordination...)

 

Nabil : « Les médias dominants ne font pas leur travail pour informer la population de ce qui se passe. Ils ne diffusent pas l'information telle qu'elle est. C'est pourquoi nous avons une commission médiatique au sein du Mouvement qui livre une véritable guérilla médiatique »

 

Les dimanche 20 Mars et 24 Avril, nouvelles mobilisations monstres. À chaque fois, près de 600 000 personnes marchent dans une centaine de localités. Alors que les contre-manifestations organisées par le pouvoir ne rassemblent que quelques dizaines de manifestants monarchistes.

Entre temps, le 14 avril Mohamed VI avait libéré 190 détenus politiques, sahraouis et islamistes, la plupart en fin de peine.

 

L'attentat de Marrakech

Le jeudi 28 vers 12h, un attentat frappe le haut-lieu du tourisme au Maroc, la place Jamaâ El Fna à Marrakech. Une bombe éclate à la terrasse du café-restaurant Argana, faisant 17 morts, dont de nombreux touristes français. Le Maroc était épargné par le les attaques terroristes depuis le sanglant précédent des attentats simultanés à Casablanca le 16 mai 2003 qui ont fait 45 morts. La lumière n'a jamais été vraiment faite sur ce qui s'était passé ce jour là. Mais tous les marocains se souviennent de ces conséquences avec la mise en place de lois anti-terroristes très contraignantes pour l'ensemble de la population et pour les défenseurs des libertés.

 

Après avoir pointé du doigt Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) les autorités auraient mis la main sur le coupable : un malade mental qui aurait agi isolé. Depuis, 6 autres suspects ont été arrêtés. Mais l'écrasante majorité des marocains interrogés sont sûrs d'une chose : « c'est le Makhzen derrière ». Pour les jeunes « une chose est claire, cela vise le mouvement ! ». C'est le meilleur moyen pour briser l'élan du 20 Février et pour justifier un retour à l'ordre et au tout-sécuritaire.

La menace terroriste pourrait servir de justificatif pour annuler les réformes, restreindre le champ des libertés et réprimer les mobilisations de masse.

 

Le Makhzen avait tout essayé pour stopper l'élan populaire, même si la répression directe reste encore très modérée, les autorités redoutant une explosion de colère comparable aux tsunamis humains qui ont déferlés dans les rues en Tunisie et en Egypte. « Nous avons ont été systématiquement harcelés et diabolisés dans les médias -accusations d'athéisme, de communisme, d'homosexualité, d'appartenance au Front Polisario, d'influence de l'étranger-, mais, poursuit Tahani, les gens ne sont pas dupes. Aujourd'hui, on tente de récupérer le Mouvement par l'entremise de jeunes, membres de certaines formations politiques, on tente de fomenter des luttes internes entre les forces progressistes et la contre-révolution qui s'infiltre  »

 

Une composante réactionnaire à l'intérieur de la société marocaine, très liée aux intérêts occidentaux, qui se sentirait menacée par la révolution démocratique qui a démarré, aurait-elle commandité l'attentat ? Est-ce une tentative de diviser le Mouvement et de briser l'unité entre la gauche et les islamistes ? Autant de questions laissées pour le moment en suspens.

 

Depuis le 28 avril, les barrages policiers se multiplient dans tout le pays. Quoi qu'il en soit les actions continuent. Ni la répression policière, ni les bombes des terroristes n’ont entamé la mobilisation populaire. Le 01 mai, journée internationale des travailleurs, de nombreux jeunes du Mouvement sont sortis dans la rue pour renforcer les cortèges syndicaux. La prochaine grande manifestation nationale est fixée pour le 22 mai.

 

Unité du Mouvement 


Selon Youssef, « ce qu'il faut désormais, c'est unifier les luttes ». La génération Facebook n'est pas déconnectée des luttes sur le terrain. Au contraire, les jeunes veulent se politiser davantage et renforcer leur lien avec le monde ouvrier. « Nous faisons un travail dans les quartiers, sur les marchés, dans les usines...  » explique Montasser. Au Maroc, les syndicats sont très divisés10 et corrompus, mais la base est combative. Avec le 20 Février, nous avons entrepris à leurs côtés une importante campagne contre la multinationale française Véolia (eau-électricité-assainissement), très impliquée au Maroc  ».

 

Non seulement, le Mouvement du 20 Février a levé l'obstacle de la peur, mais a aussi réussi à unifier divers courants idéologiques. En effet, il est frappant de constater la diversité des composantes du Mouvement. Sympathisants de partis politiques de gauche, les syndicats, l'UNEM, Attac-Maroc, des militants de l'AMDH, du mouvement islamiste réprimé Al Adl Wal Ihsane (Justice et Bienfaisance, du Cheick Yassine), ou du mouvement berbère. Surtout beaucoup de jeunes révoltés « indépendants », qui forment le gros des troupes. L’action les a réunis dans un front commun contre le même ennemi. 

Nabil explicite l'alliance tacite entre progressistes et islamistes : « Le Mouvement du 20 Février est un mouvement de citoyens et les islamistes également manifestent en tant que citoyens. Tous doivent respecter les mots d'ordre. Jusqu'à présent, les islamistes sont très disciplinés et travaillent dans l'unité. Nous autres, en tant que progressistes, prenons en compte leur point de vue. Nous nous réunissons chaque semaine en assemblée ». 

Montasser juge que les islamistes sont « présents dans la rue mais pas tellement dans les réunions durant lesquelles on met en avant, des slogans unitaires et des revendications légitimes pour tous  ». Il insiste sur le « rôle important du noyau organisé du 20 Février. On doit faire attention aux récupérations et au noyautage de l'organisation par des éléments du Makhzen. Il faut s'organiser le plus possible et gagner les masses populaires, devenir encore plus large, mais quoi qu'il en soit le bond en avant de la conscience collective est énorme. On récolte toujours les fruits de se que l'on sème pendant des années de militantisme parfois décourageants  » !

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Soyons réalistes, exigeons l'impossible !

« Ce que j'aimerais dire à la jeunesse européenne, termine Nabil, c'est que la jeunesse c'est l'avenir. L'avenir nous appartient ! Il faut lutter, militer pour obtenir nos droits en tant que citoyens, personne ne va venir et nous les donner ».

« Et puis il faut unir les luttes, que ce soit en Grèce, au Burkina-Faso ou en Tunisie entre autre, car nous affrontons le même système d'oppression et d'exploitation » rajoute Tahani.

Youssef conclut : « Pour affronter son avenir, il faut courage et optimisme ! S'il y a volonté du peuple, alors cette volonté est de fer ! »

Quelles sont leurs perspectives ? Comment voient-ils l'avenir ?

« On a connu tellement de surprises ces dernières semaines, que plus rien n'est impossible !sourit Tahani. Le rapport de force dans la rue a obligé le monde politique a bouger. Il suffit de commencer ! Comme disait le Che, 'Soyons réalistes, exigeons l'impossible' » !

 

Qui a dit qu'il ne se passait rien au Royaume chérifien ?

Selon que les dirigeants des pays concernés soient nos amis ou nos ennemis, la lecture que les médias dominants font des révoltes arabes est très différente. Mais au Maroc ça bouge aussi !

Relayant le Printemps Arabe, le Mouvement du 20 Février est devenu aujourd’hui un acteur incontournable de la réalité marocaine avec lequel la monarchie devra compter et ouvre de nouveaux espaces d’expression, utilisés en masse par les femmes et les jeunes, entres autres.

La rue continue à mettre la pression, et la contestation s'étend dans les campagnes et banlieues. Fini la peur et vive l'unité !

 

Soudain, les jeunes constatent qu'ils peuvent devenir acteurs de leurs vies, prendre leur destin en main. Des jeunes qui sont désormais tellement, qu'ils n'ont plus peur de se faire « makhzenifier » ! Le Mouvement est composé en majorité de jeunes (55% de la population a moins de 25 ans) qui veulent un changement radical maintenant et en ont marre des partis politiques traditionnels et de leurs mensonges. Et, le sentiment qui prédomine chez les gens est qu'un retour en arrière n'est plus possible.



1 Du verbe portugais 'comprar' (acheter). Désigne une partie de la bourgeoisie d'un pays en développement qui s'est enrichie en commerçant avec l'étranger.

 

2 Hassan II a régné en dictateur de 1961 à 1999.

 

3 Depuis 1975, un conflit oppose le Royaume marocain au Front Polisario sur ce territoire décolonisé par l'Espagne cette même année.

 

4 Le mot arabe « makhzen », désigne l'État marocain et ses institutions régaliennes et plus généralement la structure politico-administrative sur laquelle repose le pouvoir.

 

5  cf. Tel Quel n°471, 30/4/2011, p.73.

 

6 « On va pas lâcher ! » cf. www.mamfakinch.com.

 

7 L'USFP (Union Socialiste des Forces Populaires) « benbarkiste » n'a plus rien de socialiste et l'ex-Parti Communiste, le PPS (Parti du Progrès et du Socialisme) est monarchiste ! Le PSU (Parti Socialiste Unifié), important dans la gauche estudiantine regroupe plusieurs tendances. Enfin la Voie Démocratique est très présente dans les luttes, notamment syndicales (marxiste-léniniste, ex-Ila Al Amame).

 

8 Créé en 1979, elle a survécu aux années de plomb. Les familles des détenus politiques y ont joué un rôle pionnier au début, puis peu à peu seront revendiqués les droits sociaux, économiques et culturels. L'AMDH accompagne, soutien, conseille et conscientise les victimes et leurs familles.

 

9 Il est très difficile d'avoir des chiffres précis pour les manifestations. Les estimations variant très fort selon les sources. Par exemple pour la mobilisation du 24 avril, il y aurait eu 30 000 personnes selon les autorités, 300 000 selon un journal socio-démocrate et 800 000 selon les organisateurs.

 

10 Il existe plus d'une trentaine de syndicats, mais les plus légitimes et représentatifs restent l'UMT (Union Marocaine du Travail) et la CDT (Confédération Démocratique du Travail).

 

 Lien  : http://www.michelcollon.info/_Pierre-Obolensky_.html

 

 

 


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2 juin 2011 4 02 /06 /juin /2011 08:05
Au moins 40 morts dans des combats au Yémen

 

Un milicien du cheick Al-Ahmar blessé dans les combats arrive à l'hôpital.

Photo: AFP/Ahmad Garabli. Un milicien du cheick Al-Ahmar blessé dans les combats arrive à l'hôpital.

 

De violents affrontements opposant les forces fidèles au président Ali Abdallah Saleh aux miliciens menés par le chef tribal Sadek Al-Ahmar ont eu lieu dans la nuit de mardi à mercredi dans le nord de Sanaa.

Les violences ont fait au moins 40 morts, selon agences de presse.

Les combats armés entre les forces pro-Saleh et les hommes du cheikh Al-Ahmar, rallié à l'opposition, avaient repris mardi après une trêve de quatre jours.

Ils se concentrent dans le quartier d'Al-Hassaba, dans le nord de la capitale yéménite, où se trouvent la résidence du chef tribal et plusieurs immeubles gouvernementaux.

Des témoins affirment que des renforts de la Garde républicaine (pro-Saleh) ont été envoyés dans le quartier, dont les accès sont contrôlés par des barrages des deux camps.

Le quartier général du général Ali Mohsen Al-Ahmar, un proche du président passé à l'opposition, a notamment été touché mardi soir par des obus, selon une source proche de l'officier.

Les autorités yéménites rejettent toute responsabilité dans cette affaire.

 

Des résidents de Sanaa ont quitté Sanaa, mardi, en raison de la reprise des combats.

Photo: AFP/Ahmad Garablié Des résidents de Sanaa ont quitté la ville, mardi, en raison de la reprise des combats.

 

Les hommes du général Al-Ahmar, qui n'a aucun lien de parenté avec le cheikh Al-Ahmar, contrôleraient le nord et l'ouest de la capitale. Les forces du président Saleh domineraient dans le reste de la ville.

Selon des témoins, un camp de la quatrième brigade de l'armée, situé près du siège de la radio-télévision, a été percuté de plein fouet par plusieurs obus.

Le siège du ministère de l'Intérieur, tenu par les forces gouvernementales, a quant à lui été la cible de roquettes antichars.

Les affrontements qui déchirent Sanaa surviennent après quatre mois de manifestations pacifiques de la part des opposants au président Saleh, au pouvoir depuis 33 ans.

Le Conseil de coopération du Golfe (CCG) a ébauché un plan de sortie de crise qui prévoit le départ rapide du président en échange d'une immunité, puis une élection présidentielle.

 

Carte du Yémen

Carte du Yémen

Radio-Canada.ca avec Agence France Presse.

 

Lien  : http://www.radio-canada.ca/nouvelles/International/2011/06/01/001-yemen-combats-mercredi.shtml

 

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2 juin 2011 4 02 /06 /juin /2011 07:21
“Le problème du ministère de l’Intérieur, c’est le problème de la Tunisie”

 

Slim Amamou, star de la révolution tunisienne, s’explique sur sa démission surprise, le 23 mai dernier, de son poste de Secrétaire d’État au sein du gouvernement de transition, lors d’un entretien exclusif avec OWNI (lundi 30 au soir, à Paris). Ce militant de 33 ans, héraut de la jeunesse tunisienne, dénonce un climat politique délétère, marqué par des dérives conspirationnistes. Lesquelles se multiplient d’autant plus facilement qu’une partie de l’appareil d’État demeure opaque, près de cinq mois après la révolution. Slim Amamou révèle en particulier que la police politique et les services de sécurité du ministère de l’Intérieur échappent encore aux efforts de classification et d’identification du gouvernement de transition.

 

Depuis la semaine dernière, vous ne vous êtes pas vraiment expliqué sur les motifs de votre démission. Sur la base de quels éléments avez-vous décidé de quitter le gouvernement ?

Il y a d’abord eu les déclarations conspirationnistes de Farhat Rajhi, l’ancien ministre de l’Intérieur, qui ont déclenché des émeutes dans la rue. Des manifestations ont été réprimées très violemment par la police à Tunis, des journalistes ont été tabassés. Après avoir mûrement réfléchi, j’ai présenté ma démission au président. Mon problème, c’est que la situation était très grave. Les gens dans la rue exigeaient la chute du gouvernement, ce qui impliquait que les élections soient retardées, ce que je ne voulais absolument pas. Le président a refusé ma démission en invoquant cette raison-là, en me disant que j’allais laisser le gouvernement dans une position difficile, et en me demandant de réfléchir encore.

 

J’ai tenu mes engagements immédiats, j’ai réfléchi encore, et j’ai rappelé le président pour lui confirmer ma décision. J’ai démissionné un vendredi, et j’avais une émission de radio prévue le lundi matin (sur Express FM, ndlr). Le président voulait que je lui laisse le temps de parler avec le Premier ministre, et que je ne m’exprime pas sur le sujet avant le lundi soir. Là-dessus, le présentateur radio m’apostrophe en me demandant si ma mission en Tunisie est terminée. Je lui réponds que oui, et je lui annonce que je vais démissionner. L’information est sortie, les gens ont commencé à la tweeter, et les 140 caractères aidants, “Slim va démissionner” est devenu “Slim a démissionné”. J’ai aussi commencé à lire que j’avais quitté mes fonctions pour les mêmes raisons que Rajhi, parce que je croyais à l’existence d’un gouvernement de l’ombre.

 

Et alors, il existe ce cabinet noir?

Absolument pas. Les gens pensent qu’il existe parce que le système de confiance ne marche pas en Tunisie. On a vécu dans une société complètement corrompue par le régime de Ben Ali, et pour rebâtir cette confiance, on ne peut pas aller trop vite. La manière rapide, c’est la délégation d’autorité, quand vous décidez de faire confiance à quelqu’un. Mais comme le terreau n’existe pas en Tunisie, il faut y aller par la seconde méthode, qui est “l’historique”. A force de côtoyer les gens, de les suivre, au bout de 6 mois ou un an, on commence à leur faire confiance.

 

Quels éléments tangibles permettent d’affirmer qu’il n’existe pas de cabinet noir?

Il y a quelqu’un qui a essayé de faire croire que quelqu’un manipulait le Premier ministre. J’ai travaillé avec ce mec, je sais que c’est faux. Bien sûr, il y a du lobbying, des intérêts, des groupes de pression.

Plusieurs avocats tunisiens estiment que les propos tenus sont exagérés dans la forme, mais qu’il existe un vrai problème, notamment parce que l’administration de la police politique n’a pas été démantelée. Qu’en pensez-vous?

Le problème du ministère de l’Intérieur est le problème de la Tunisie. C’est le ministère de la force publique, et ils ont le pouvoir réel: même en nommant un ministre bien intentionné, il n’a pas les armes. Rajhi s’est fait attaquer dans son propre ministère par les agents, il s’est fait sortir par l’armée.

 

Alors qui dirige vraiment le ministère de l’Intérieur ?

Le nouveau ministre (Habib Essid, ndlr) a prouvé son efficacité. Après les exactions de la police consécutives aux propos de Rajhi, il s’est excusé, pour la première fois dans l’histoire du ministère de l’Intérieur, et le lendemain matin, il n’y a eu aucun débordement. Il a prouvé qu’il pouvait reprendre la main, notamment par le biais des hauts gradés. Aujourd’hui, je pense que la situation est sous contrôle. On ne peut pas virer tous les pourris d’un seul coup, et il va falloir composer avec la situation.

 

Qui dirige ces individus ?

On ne sait pas. On n’arrive déjà pas à faire la différence entre la vraie police et la fausse. Des manifestants se sont fait tabasser par de faux policiers sous les yeux de vrais agents qui ne sont pas intervenus.

Aujourd’hui, a-t-on une idée précise du nombre de services de sécurité et de renseignement qui dépendent du ministère de l’Intérieur?

Le ministre dit qu’il y a exactement 54 000 agents. On ne connaît pas le nombre de services, mais ce qui est frappant, c’est qu’ils sont hermétiques. Ils se sont réorganisés d’une manière très étrange, comme une cellule terroriste de type Al-Qaida. Apparemment, le seul lien qui les unit, c’est le téléphone portable, avec lequel ils entretiennent un rapport très particulier. Pendant l’interrogatoire lors de mon arrestation, ils allumaient leur téléphone au moment de s’en servir, et l’éteignaient quand ils avaient fini. Quand ils en avaient besoin, ils recevaient le nom et le numéro de l’agent qu’ils cherchaient à joindre. Vous imaginez à quel point ce système est décentralisé et archaïque? Pendant mon interrogatoire, les fonctionnaires avaient un pseudonyme, et moi aussi. A partir de là, même en parcourant les archives, on ne peut rien recouper.

 

Que savaient-ils de votre vie, de votre trajectoire ?

Ils ne savaient presque rien, ce qui prouve que leur système ne marche pas. Ils sont très forts quand il s’agit de torture psychologique, mais très inefficaces dans le renseignement, notamment sur Internet. Je m’en étais rendu compte après ma première arrestation, en mai 2010. Lors des interrogatoires, ils voulaient savoir comment je connaissais telle ou telle personne. Et quand je leur disais que j’étais en relation avec des gens sans jamais les avoir rencontrés, ils étaient surpris. Leur système est basé presque exclusivement sur le renseignement humain.

Pourtant, il y avait une unité chargée de surveiller le web…

Mais leurs méthodes sont les mêmes. Le 6 janvier, quand j’ai été arrêté pour la seconde fois, ils m’ont demandé le mot de passe de mon adresse mail. Il a fallu qu’ils me tabassent pour l’obtenir, mais c’est comme ça que ça fonctionne. Ce n’est absolument pas sophistiqué. Ils font de l’open source intelligence, ils surveillent les salafistes, mais la base de leur travail se résume à l’identification de la personne qu’ils veulent interroger.

Qu’allez-vous faire dans un futur proche ?

Je vais essayer de travailler avec des partis politiques pour pousser mes idées dans l’optique de la constituante: que tout le monde vote, que les élections soient complètement transparentes, qu’on nous fournisse toutes les données relatives aux élections pour qu’elles puissent être exploitées, et qu’on connaisse le code source du logiciel qui sera utilisé pendant le scrutin.


Crédits photo: CC Ophélia Noor & Pierre Alonso pour OWNI

 

Lien : http://owni.fr/2011/05/31/interview-slim-amamou-demission-tunisie/

 

 

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Bataille pour le net libre

L’ATI s’oppose à une décision de justice exigeant le blocage de sites à caractère pornographique

 

L’Agence Tunisienne d’Internet (ATI) fait sa révolution. Elle a fait appel de la décision du tribunal de première instance de Tunis qui l’avait sommée le 26 mai de fermer tous les sites à caractère pornographique. Son PDG, Moez Chakchouk, a déclaré mardi qu’il ne désirait plus « filtrer les pages web » et cautionner la « censure » sur le net. Les autorités tunisiennes ont ordonné la censure des sites X suite à la plainte déposée par trois avocats au motif que ces derniers représentent un danger pour la jeunesse et sont contraires aux valeurs de l’Islam.

C’est un bras de fer judiciaire entre les autorités de la transition tunisienne et l’Agence Tunisienne d‘Internet (ATI) qui démarre. Le PDG d’ATI, Moez Chakchouk, a déclaré mardi lors d’une conférence de presse qu’il a fait appel de la décision du 26 mai du tribunal de première instance de Tunis de fermer tous les sites à caractère pornographique, filtrés sous le régime de Ben Ali, pour protéger les jeunes et préserver les valeurs de l’Islam. Sept pages classées X sont apparues sur la liste des 100 sites les plus visités par les Tunisiens depuis la levée de la censure sur le net en janvier. Le fournisseur d’accès a indiqué qu’il a fait appel de cette décision et est prêt à« aller en cassation s’il le faut ». Le directeur affirme qu’il n’a pas reçu de convocation du tribunal pour défendre les intérêts de l’agence.

 

L’ATI ne veut plus être un organe de censure

 

La décision du tribunal de Tunis a rappelé de vieux démons aux Tunisiens, qui craignent le retour d’Ammar 404, le Big brotherlocal. Début mai, quelques sites et profils facebook ont été filtrés par l’ATI à la demande du tribunal militaire de Tunis. Trois des profils ont été bloqués pour diffamation à l’encontre de l’institution, rapporte le quotidien La presse.tn. L’agence, qui est rattachée au Ministère des Technologies de la Communication, a dit ne plus vouloir être un organe de censure. Moez Chakchouk a affirmé qu’il ne « ne veut plus filtrer les pages web » et « avoir des équipements de censure » chez lui.

 

Le directeur de l’ATI a expliqué que, sous Ben Ali, la censure s’effectuait « d’une manière illégale et non transparente », précisant que « l’ex-président signait personnellement les documents commandant le blocage de certains sites en particulier ». L’ancien dirigeant tunisien a censuré à plusieurs reprises le réseau social facebook qui a joué un rôle majeur dans sa propre chute le 14 janvier. L’accès aux sites internet et aux blogs dont le contenu ne convenait pas au pouvoir en place, comme Afrik.com étaient systématiquement bloqués. Moez Chakchouk a défendu son agence en affirmant que ses ingénieurs et techniciens « n’ont jamais participé au blocage des sites Internet ». D’autres « hors de l’agence », a-t-il dit sans plus de détails, s’en chargeaient en contrôlant à distance les équipements de l’agence réservés à cette tâche.

A l’heure de la révolution, les Tunisiens ont plus que jamais soif de liberté d’expression.

 

Lien  :  http://www.afrik.com/article22990.html

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2 juin 2011 4 02 /06 /juin /2011 07:15

(New York, le 1er juin 2011) - Les exécutions et les actes de torture systématiques commis par les forces de sécurité syriennes à Deraa depuis le début des manifestations dans cette ville le 18 mars 2011, laissent fortement penser qu'il s'agit véritablement là de crimes contre l'humanité, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui.

Le rapport de 57 pages, « ‘We've Never Seen Such Horror': Crimes against Humanity in Daraa » (« ‘Nous n'avons jamais vu pareille horreur' : Crimes contre l'humanité à Deraa »), s'appuie sur plus de 50 entretiens menés auprès de victimes et témoins d'exactions. Ce rapport étudie les exactions commises dans le gouvernorat de Deraa, où ont eu lieu certaines des pires violences après que des manifestations réclamant davantage de libertés ont commencé dans diverses parties du pays. Les détails de ces violences ont été largement ignorés du fait du blocus imposé sur les informations par les autorités syriennes. Les victimes et les témoins interrogés par Human Rights Watch ont fait état de meurtres, de passages à tabac, de tortures au moyen de chocs électriques et de détentions de personnes réclamant des soins médicaux, commis de façon systématique.

« Depuis plus de deux mois maintenant, les forces de sécurité syriennes torturent et tuent leurs propres concitoyens en totale impunité », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen Orient à Human Rights Watch. « Elles doivent mettre fin à ces agissements - et si elles refusent de le faire, il est de la responsabilité du Conseil de sécurité des Nations Unies de veiller à ce que les auteurs de ces exactions soient traduits en justice. »

Le gouvernement syrien devrait prendre des mesures immédiates pour faire cesser le recours excessif à la force létale par les forces de sécurité, a insisté Human Rights Watch. Le Conseil de sécurité des Nations Unies devrait imposer des sanctions et faire pression sur la Syrie pour exiger des comptes et, en cas de réponse insuffisante, déférer la Syrie à la Cour pénale internationale.

Les manifestations ont éclaté à Deraa en réaction à la détention et à la torture de 15 enfants accusés d'avoir peint sur les murs des mots d'ordre appelant à la chute du gouvernement. En retour et depuis lors, les forces de sécurité ont à maintes reprises et systématiquement ouvert le feu sur des manifestants essentiellement pacifiques. Les forces de sécurité ont tué au moins 418 personnes dans le seul gouvernorat de Deraa, et plus de 887 autres dans toute la Syrie, selon des militants locaux qui ont établi une liste des personnes tuées. Les chiffres exacts sont impossibles à vérifier.

Des témoins de Deraa interrogés par Human Rights Watch ont fourni des récits concordants faisant état de l'utilisation par les forces de sécurité d'une force létale contre les manifestants et les passants, dans la plupart des cas sans sommation ni aucune tentative de disperser les manifestants par des moyens non-violents. Des membres de divers services des mukhabarat (services de sécurité) ainsi que de nombreux tireurs positionnés sur les toits ont pris délibérément pour cible les manifestants, et nombre des victimes présentaient des blessures mortelles à la tête, le cou et la poitrine. Human Rights Watch a documenté un certain nombre de cas où les forces de sécurité participant aux opérations contre les manifestants à Deraa et dans d'autres villes avaient reçu de la part de leurs commandants des ordres de « tirer pour tuer ».

Voici certains des incidents les plus meurtriers documentés par Human Rights Watch :

  • Une attaque contre la mosquée d'Omari, qui servait de point de rassemblement pour les manifestants et d'hôpital de fortune pour les manifestants blessés, et des attaques contre les manifestations consécutives du 23 au 25 mars, qui ont fait plus de 30 morts parmi les manifestants ;
  • Des attaques contre les participants à deux manifestations le 8 avril, qui ont fait au moins 25 morts ;
  • Des attaques au cours d'une manifestation et d'un cortège funèbre dans la ville d'Izraa les 22 et 23 avril, faisant au moins 34 morts ;
  • Des meurtres lors du blocus de Deraa et des localités voisines à partir du 25 avril, et lors d'une tentative des habitants de villes voisines pour briser le siège le 29 avril, qui ont fait jusqu'à 200 morts.

Neuf témoins des villes de Tafas, Tseel et Sahem al-Golan ont fait à Human Rights Watch le récit de l'une de ces attaques qui s'est déroulée le 29 avril, lorsque des milliers de personnes des villes voisines de Deraa ont tenté de briser le blocus de la ville. Ces témoins ont indiqué que les forces de sécurité avaient stoppé les manifestants qui essayaient de parvenir à Deraa à un poste de contrôle proche de l'entrée ouest de la ville de Deraa. L'un des témoins de la ville de Tseel qui participait à la manifestation a déclaré :

Nous nous sommes arrêtés là, attendant que d'autres gens arrivent. Nous tenions des rameaux d'olivier et des panneaux disant que nous voulions apporter de la nourriture et de l'eau à Deraa. Nous avions des bonbonnes d'eau et des colis de nourriture avec nous. Il a fini par y avoir des milliers de personnes rassemblées sur la route - la foule s'étirait sur environ six kilomètres.

Puis nous avons commencé à nous rapprocher du poste de contrôle. Nous criions « pacifique, pacifique » et en réponse ils ont ouvert le feu. Les forces de sécurité étaient partout, dans les champs à proximité, sur un réservoir d'eau derrière le poste de contrôle, sur le toit d'une usine proche et dans les arbres, et les tirs arrivaient de tous les côtés. Les gens se sont mis à courir, et ils tombaient, en essayant d'emporter les blessés. Neuf personnes de Tseel ont été blessées à cet endroit et l'une d'elles est morte.

Un autre témoin, de Tafas, a ajouté :

Il n'y a pas eu d'avertissement, pas de coups de feu tirés en l'air. C'était tout simplement une embuscade. Ça tirait de tous les côtés, avec des fusils automatiques. Les forces de sécurité étaient positionnées dans les champs le long de la route et sur les toits des immeubles. Ils prenaient les gens délibérément pour cible. La plupart des blessures ont été faites à la tête et à la poitrine.

Deux hommes de Tafas ont été tués à cet endroit : Muhammad Aiman Baradan, âgé de 22 ans, et Ziad Hreidin, 38 ans. Ziad était juste à côté de moi quant un tir de sniper l'a touché à la tête. Il est mort sur le coup. En tout, 62 personnes ont été tuées et plus d'une centaine ont été blessées, j'ai aidé à les transporter à l'hôpital de Tafas.

Les autorités syriennes ont accusé à maintes reprises les manifestants à Deraa d'avoir déclenché les violences et les ont accusés d'attaques contre les forces de sécurité. Tous les témoignages recueillis par Human Rights Watch indiquent toutefois que les manifestations étaient dans la plupart des cas pacifiques.

Human Rights Watch a documenté plusieurs incidents au cours desquels, en réaction aux meurtres de manifestants, des habitants de Deraa ont recouru à la violence, brûlant des voitures et des bâtiments, et tuant des membres des forces de sécurité. Human Rights Watch a déclaré que ces incidents devraient faire l'objet de plus amples investigations, mais qu'ils ne justifiaient en aucune façon l'usage massif et systématique de la force létale contre les manifestants.

Les autorités syriennes ont en outre refusé aux manifestants blessés l'accès à des soins médicaux en empêchant les ambulances de parvenir jusqu'aux personnes blessées, et en plusieurs occasions en ouvrant le feu sur des membres du personnel médical ou des sauveteurs qui tentaient d'emporter les blessés. Les forces de sécurité ont pris le contrôle de la plupart des hôpitaux de Deraa et ont arrêté les blessés qui y étaient amenés. De ce fait, de nombreuses personnes blessées ont évité les hôpitaux et ont reçu des soins dans des hôpitaux de fortune disposant d'installations limitées. Dans au moins deux cas documentés par Human Rights Watch, des personnes sont mortes pour s'être vu refuser les soins médicaux nécessaires.

Des témoins de Deraa et de villes voisines ont fait état auprès de Human Rights Watch d'opérations de rafles à grande échelle de la part des forces de sécurité, qui ont arrêté quotidiennement des centaines de personnes, ainsi que d'arrestations ciblées de militants et de membres de leurs familles. Les personnes arrêtées, dont de nombreux enfants, ont été détenues dans des conditions épouvantables. Tous les ex-détenus interrogés ont indiqué avoir été soumis à la torture, de même que des centaines d'autres personnes qu'ils ont vues en détention, notamment lors de passages à tabac prolongés avec des matraques, des câbles tordus, d'autres dispositifs, et des électrochocs. Certains ont été torturés sur des « grils » improvisés en métal et en bois, et dans au moins un cas documenté par Human Rights Watch, un homme détenu a été violé avec une matraque.

Deux témoins ont signalé séparément à Human Rights Watch l'exécution extrajudiciaire de détenus le 1er mai dans une prison improvisée sur un terrain de football à Deraa. L'un des deux détenus a indiqué que les forces de sécurité avaient exécuté 26 détenus ; l'autre a décrit un groupe de « plus de 20 ». Human Rights Watch a été dans l'impossibilité de corroborer ces récits. Toutefois, les informations détaillées fournies par deux témoins indépendants et le fait que d'autres parties de leurs déclarations ont été totalement corroborées par d'autres témoins renforcent la crédibilité de ces allégations.

Le 25 avril, les forces de sécurité ont déclenché une opération militaire à grande échelle à Deraa, imposant un blocus qui a duré 11 jours au moins avant d'être étendu aux villes voisines. Protégées par des tirs nourris, les forces de sécurité ont occupé chaque quartier de la ville, ont ordonné aux gens de rester chez eux et ont ouvert le feu sur ceux qui bravaient l'interdiction. Des témoins ont indiqué que les habitants de Deraa ont connu de graves pénuries de nourriture, d'eau, de médicaments et autres denrées nécessaires au cours du siège. Les forces de sécurité ont condamné des réservoirs d'eau. L'électricité et toutes les communications ont été coupées. Dans l'impossibilité d'enterrer ou de conserver correctement le nombre croissant de cadavres, les habitants de Deraa ont stocké nombre d'entre eux dans des véhicules frigorifiques à légumes qui pouvaient fonctionner au diesel.

Les autorités syriennes ont aussi imposé un blocus sur l'information à Deraa. Elles ont empêché tous les observateurs indépendants d'entrer dans la ville et ont interrompu tous les moyens de communication. Les forces de sécurité ont recherché et confisqué les téléphones portables contenant des enregistrements des événements de Deraa, et elles ont arrêté et torturé les personnes qu'elles soupçonnaient de tenter de faire sortir des images ou autres informations, y compris des ressortissants étrangers. Dans certaines zones, l'électricité et les communications restent coupées.

Human Rights Watch a appelé le gouvernement syrien à cesser immédiatement le recours à la force excessive et létale par les forces de sécurité contre les manifestants et les militants, à libérer tous les détenus arrêtés arbitrairement et à fournir aux groupes de défense des droits humains et aux journalistes un accès immédiat et libre à Deraa. L'organisation a également appelé le Conseil de sécurité à adopter des sanctions financières et de déplacement à l'encontre des autorités responsables de violations persistantes des droits humains, ainsi qu'à faire pression et à appuyer les efforts pour que soient menées des enquêtes et des poursuites sur les violations graves, généralisées et systématiques des droits humains commises en Syrie.

« Les autorités syriennes ont fait tout ce qu'elles ont pu pour dissimuler leur répression sanglante à Deraa », a conclu Sarah Leah Whitson. « Mais des crimes aussi horribles sont impossibles à cacher, et tôt ou tard les responsables devront répondre de leurs actes. »

 

Lien : http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2011/06/01/97001-20110601FILWWW00382-syrie-crimes-contre-l-humanite-hrw.php

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2 juin 2011 4 02 /06 /juin /2011 06:56

 Questions sur la révolution syrienne ...

 

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Syrie : "Bachar Al-Assad triche, il essaye de gagner du temps", selon un opposant syrien

 

 

Maamoum Al-Homsi, à Antalya (Turquie), mercredi 1er juin 2011.

Maamoum Al-Homsi, à Antalya (Turquie), mercredi 1er juin 2011.DR

 

 

Antalya, correspondance - Maamoun Al-Homsi, ex-député syrien âgé de 55 ans, est venu à Antalya, en Turquie, pour la première conférence de l'opposition syrienne en exil. "Le premier prisonnier politique de Bachar Al-Assad" explique au Monde ce qu'il attend de cette rencontre.

 

L'annonce d'une amnistie pour les crimes politiques vous donne-t-elle de l'espoir ?

 

Maamoun Al-Homsi : Ce n'est qu'une déclaration d'intention. Personne n'y croit. Bachar Al-Assad triche, il essaye de gagner du temps. Ce n'est pas cela qui va nous faire rentrer en Syrie ou cesser notre lutte. Bachar-Al-Assad ne peut pas changer.

 

A quel titre êtes-vous venu ?

 

Il faut que nous fassions tout ce que nous pouvons faire pour soutenir la révolution des jeunes Syriens à l'intérieur du pays. J'ai été le premier prisonnier politique de Bachar Al-Assad. J'ai été élu député à trois reprises. Mais j'ai été arrêté en 2001, malgré mon immunité parlementaire, pour avoir envoyé une liste de dix demandes adressées au président Al-Assad. Des mesures telles que la fin de l'état d'urgence, la garantie des libertés individuelles, la fin des tribunaux d'exception, la lutte contre la corruption... Je savais que j'allais avoir des problèmes : j'ai passé cinq années en prison et j'ai été libéré en 2006. Je vis désormais en exil au Canada.

 

Quels sont les objectifs de cette conférence ?

 

L'opposition est réunie ici, à Antalya en Turquie, pendant trois jours. Il a toujours été très difficile pour l'opposition syrienne de se réunir, plusieurs pays ont refusé d'accueillir cette réunion. Il y a plus de 300 personnes, de tous les bords, de toutes les origines ethniques et religieuses. Toutes les sensibilités sont représentées.

Il faut en profiter pour discuter de tous les sujets, au delà des différences qui nous séparent. Et voir quel soutien politique et logistique nous pouvons apporter à cette révolution. Il y a beaucoup d'échanges. Des comités vont être formés d'ici à vendredi. Maintenant, ce n'est pas aux gens de ma génération de reconstruire le pays, ce sont ceux qui ont fait la révolution qui doivent assurer l'avenir.

Guillaume Perrier

 

Lien : http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2011/06/01/syrie-bachar-al-assad-triche-il-essaye-de-gagner-du-temps-selon-un-opposant-syrien_1530665_3218.html

 

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33 morts dans le sud et le centre du pays

 

BEYROUTH (AP) — La répression se poursuit en Syrie: les forces syriennes ont tué au moins 33 personnes, dont une enfant de 11 ans, dans les villes d'Hirak (sud) et de Rastan (centre), a-t-on appris mercredi.

Selon les Comités de coordination locaux en Syrie, qui participent à l'organisation des manifestations, 25 personnes ont été tuées mardi dans le centre de Rastan, théâtre d'une vaste opération militaire ces derniers jours.

 

Dans le sud du pays, l'armée syrienne a bombardé Hirak avec des chars et des pièces d'artillerie, faisant au moins huit morts mardi et mercredi, dont une enfant de 11 ans, a déclaré Mustafa Osso, un militant des droits de l'homme. De nombreuses personnes ont également été arrêtées, a-t-il indiqué.

 

Les forces gouvernementales ont désormais repris le contrôle d'Hirak, ville située près de Deraa, berceau du soulèvement contre le régime du président Bachar El-Assad. Plus de 1.000 personnes ont été tuées depuis le début du mouvement de contestation à la mi-mars, selon les groupes de défense des droits de l'homme.

Le régime syrien a toutefois libéré mercredi plus de 500 prisonniers, dont des militants ayant pris part aux manifestations contre le gouvernement, a déclaré Rami Abdul-Rahman, directeur de l'Observatoire syrien pour les droits de l'homme.

 

La télévision publique syrienne avait annoncé mardi une amnistie couvrant "tous les membres des mouvements politiques", dont celui interdit des Frères musulmans. L'amnistie pourrait potentiellement concerner quelque 10.000 personnes qui auraient été arrêtées depuis le début de la contestation.

Le gouvernement syrien a également ordonné une enquête mercredi sur la mort d'un adolescent de 13 ans, Hamza al-Khatib, après l'indignation soulevée par une vidéo diffusée sur YouTube et la chaîne Al-Jazira montrant son corps mutilé et apparemment torturé.

 

Sur ces images, il apparaît que la jeune victime a le cou brisé. Son pénis a apparemment été sectionné et ses yeux portent des traces de contusions et des marques noires. L'opposition au régime de Bachar el-Assad accusent les forces de sécurité d'être responsables de la mort du garçon.

La télévision d'Etat syrienne a diffusé mardi soir une interview du Dr. Akram Shaar, qui a examiné le corps. Le médecin a déclaré que des tirs étaient à l'origine du décès, l'adolescent ayant reçu trois balles. Il a également affirmé que ce qui apparaissait comme des traces de torture était en fait dû à la décomposition naturelle du corps, le décès du garçon remontant au 29 avril. Son corps a été remis à sa famille le 21 mai, selon la télévision syrienne.

 

Par ailleurs, Human Rights Watch (HRW) a estimé mercredi que les meurtres et tortures perpétrés par les forces de sécurité syriennes à Deraa depuis le début des manifestations pourraient constituer des crimes contre l'humanité.

Dans un rapport de 57 pages se concentrant sur les violations commises dans la région de Deraa, l'organisation de défense des droits de l'homme basée à New York plaide pour des sanctions du Conseil de sécurité de l'ONU. HRW précise que 418 personnes ont été tuées dans la province de Deraa depuis le début de la contestation.

"Depuis plus de deux mois, les forces de sécurité syriennes tuent et torturent (...) avec une impunité totale", souligne Sarah Leah Whitson, directrice de HRW pour le Moyen-Orient. AP

ljg/v201/504/596/lma

 

Lien : http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/monde/20110601.FAP9176/syrie-33-morts-dans-le-sud-et-le-centre-du-pays.html

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2 juin 2011 4 02 /06 /juin /2011 06:52
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2 juin 2011 4 02 /06 /juin /2011 05:08

Cliquer pour écouter comment les islamistes légalisent la pédophile en autorisant le mariage des filles de 5, 6, ou 7 ou 8 ans... Terrible ces gens là sont de véritable criminels... http://www.facebook.com/video/video.php?v=106721332704787&oid=148624229235&comments

 

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Pour Ennahdha, la polygamie est un principe

 

 

«  La polygamie est l’un des principes fondamentaux du programme à venir du mouvement Ennahdha. Nous défendons ce droit et cette liberté préservée en I’Islam. Nous sommes déterminés à introduire ce droit à la constitution tunisienne », a affirmé Samir Dilou, porte-parole du Mouvement Ennahdha, lors d’un entretien express avec Investir En Tunisie.

Le porte-parole a indiqué que le mariage en Tunisie, devient de plus en plus difficile. Le mouvement travaillera en outre à faciliter les procédures de cette affaire pour atténuer le phénomène du refus des jeunes de se marier. C’est pour bâtir une société basée sur une famille solide loin de l’aspect matériel de la vie quotidienne.
« Le mouvement œuvre d’un autre coté à renforcer la liberté de la femme non pas à travers l’exploitation de son image à des fins de propagande. Il s’agit en fait de protéger la femme contre la violence et la discrimination.» a-t-il ajouté.

A.Fatnassi

 

 

 

Lien : http://www.investir-en-tunisie.net/index.php?option=com_content&view=article&id=10252

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1 juin 2011 3 01 /06 /juin /2011 07:27

par Samir Amin

 

L’année 2011 s’est ouverte par une série d’explosions fracassantes de colère des peuples arabes. Ce printemps arabe amorcera-t-il un second temps de « l’éveil du monde arabe » ? Ou bien ces révoltes vont-elles piétiner et finalement avorter – comme cela été le cas du premier moment de cet éveil évoqué dans mon livre L’éveil du Sud.

 

 

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Dans la première hypothèse, les avancées du monde arabe s’inscriront nécessairement dans le mouvement de dépassement du capitalisme / impérialisme à l’échelle mondiale. L’échec maintiendrait le monde arabe dans son statut actuel de périphérie dominée, lui interdisant de s’ériger au rang d’acteur actif dans le façonnement du monde.

 

Il est toujours dangereux de généraliser en parlant du « monde arabe », en ignorant par là même la diversité des conditions objectives qui caractérisent chacun des pays de ce monde. Je centrerai donc les réflexions qui suivent sur l’Égypte, dont on reconnaîtra sans difficulté le rôle majeur qu’elle a toujours rempli dans l’évolution générale de la région.

 

L’Égypte a été le premier pays de la périphérie du capitalisme mondialisé qui a tenté « d’émerger ». Bien avant le Japon et la Chine, dès le début du XIXe siècle Mohammed Ali avait conçu et mis en œuvre un projet de rénovation de l’Égypte et de ses voisins immédiats du Mashreq arabe. Cette expérience forte a occupé les deux tiers du XIXe siècle et ne s’est essoufflée que tardivement dans la seconde moitié du règne du Khédive Ismail, au cours des années 1870. L’analyse de son échec ne peut ignorer la violence de l’agression extérieure de la puissance majeure du capitalisme industriel central de l’époque – la Grande Bretagne. Par deux fois, en 1840, puis dans les années 1870 par la prise du contrôle des finances de l’Égypte khédivale, enfin par l’occupation militaire (en 1882), l’Angleterre a poursuivi avec acharnement son objectif : la mise en échec de l’émergence d’une Égypte moderne. Sans doute le projet égyptien connaissait-il des limites, celles qui définissaient l’époque, puisqu’il s’agissait évidemment d’un projet d’émergence dans et par le capitalisme, à la différence du projet de la seconde tentative égyptienne (1919-1967) sur laquelle je reviendrai. Sans doute, les contradictions sociales propres à ce projet comme les conceptions politiques, idéologiques et culturelles sur la base desquelles il se déployait ont-elles leur part de responsabilité dans cet échec. Il reste que sans l’agression de l’impérialisme ces contradictions auraient probablement pu être surmontées, comme l’exemple japonais le suggère.

 

L’Égypte émergente battue a été alors soumise pour près de quarante ans (1880-1920) au statut de périphérie dominée, dont les structures ont été refaçonnées pour servir le modèle de l’accumulation capitaliste / impérialiste de l’époque. La régression imposée a frappé, au-delà du système productif du pays, ses structures politiques et sociales, comme elle s’est employée à renforcer systématiquement des conceptions idéologiques et culturelles passéistes et réactionnaires utiles pour le maintien du pays dans son statut subordonné.

 

L’Égypte, c’est à dire son peuple, ses élites, la nation qu’elle représente, n’a jamais accepté ce statut. Ce refus obstiné est à l’origine donc d’une seconde vague de mouvements ascendants qui s’est déployée au cours du demi-siècle suivant (1919-1967). Je lis en effet cette période comme un moment continu de luttes et d’avancées importantes. L’objectif était triple : démocratie, indépendance nationale, progrès social. Ces trois objectifs – quelles qu’en aient été les formulations limitées et parfois confuses – sont indissociables les uns des autres. Cette interconnexion des objectifs n’est d’ailleurs rien d’autre que l’expression des effets de l’intégration de l’Égypte moderne dans le système du capitalisme / impérialisme mondialisé de l’époque. Dans cette lecture, le chapitre ouvert par la cristallisation nassériste (1955-1967) n’est rien d’autre que le dernier chapitre de ce moment long du flux d’avancée des luttes, inauguré par la révolution de 1919-1920.

 

Le premier moment de ce demi-siècle de montée des luttes d’émancipation en Égypte avait mis l’accent – avec la constitution du Wafd en 1919 – sur la modernisation politique par l’adoption d’une forme bourgeoise de démocratie constitutionnelle et sur la reconquête de l’indépendance. La forme démocratique imaginée permettait une avancée laïcisante – sinon laïque au sens radical du terme – dont le drapeau (associant le croissant et la croix – un drapeau qui a fait sa réapparition dans les manifestations de janvier et février 2011) constitue le symbole. Des élections « normales » permettaient alors non seulement à des Coptes d’être élus par des majorités musulmanes, mais encore davantage à ces mêmes Coptes d’exercer de très hautes fonctions dans l’Etat, sans que cela ne pose le moindre problème.

 

Tout l’effort de la puissance britannique, avec le soutien actif du bloc réactionnaire constitué par la monarchie, les grands propriétaires et les paysans riches, s’est employé à faire reculer les avancées démocratiques de l’Égypte wafdiste. La dictature de Sedki Pacha, dans les années 1930 (abolition de la constitution démocratique de 1923) s’est heurtée au mouvement étudiant, fer de lance à l’époque des luttes démocratiques anti-impérialistes. Ce n’est pas un hasard si, pour en réduire le danger, l’ambassade britannique et le Palais royal ont alors soutenu activement la création des Frères musulmans (1927) qui s’inspiraient de la pensée « islamiste » dans sa version « salafiste » (passéiste) wahabite formulée par Rachid Reda, c’est à dire la version la plus réactionnaire (antidémocratique et anti progrès social) du nouvel « Islam politique ».

 

La conquête de l’Ethiopie entreprise par Mussolini et la perspective d’une guerre mondiale se dessinant, Londres s’est trouvé obligé de faire des concessions aux forces démocratiques, permettant le retour du Wafd en 1936 et la signature du Traité anglo-égyptien de la même année – un Wafd au demeurant lui-même « assagi ». La seconde guerre mondiale a, par la force des choses, constitué une sorte de parenthèse. Mais le flux de montée des luttes a repris dès le 21 février 1946, avec la constitution du bloc étudiant-ouvrier, renforcé dans sa radicalisation par l’entrée en scène des communistes et du mouvement ouvrier. Là encore, les forces de la réaction égyptienne soutenues par Londres ont réagi avec violence et mobilisé à cet effet les Frères musulmans qui ont soutenu une seconde dictature de Sedki Pacha, sans parvenir à faire taire le mouvement. Le Wafd revenu au gouvernement, sa dénonciation du Traité de 1936, l’amorce de la guérilla dans la zone du Canal encore occupée, n’ont été mis en déroute que par l’incendie du Caire (1951), une opération dans laquelle les Frères musulmans ont trempé.

 

Le premier coup d’État des Officiers libres (1952), mais surtout le second inaugurant la prise de contrôle de Nasser (1954) sont alors venus pour « couronner » cette période de flux continu des luttes selon les uns, ou pour y mettre un terme, selon les autres. Le nassérisme a substitué à cette lecture que je propose de l’éveil égyptien un discours idéologique abolissant toute l’histoire des années 1919-1952 pour faire remonter la « révolution égyptienne » à juillet 1952. A l’époque, beaucoup parmi les communistes avaient dénoncé ce discours et analysé les coups d’Etat de 1952 et 1954 comme destinés à mettre un terme à la radicalisation du mouvement démocratique. Ils n’avaient pas tort, car le nassérisme ne s’est cristallisé comme projet anti-impérialiste qu’après Bandoung (avril 1955). Le nassérisme a alors réalisé ce qu’il pouvait donner : une posture internationale résolument anti-impérialiste (associée aux mouvements panarabe et panafricain), des réformes sociales progressistes (mais non « socialistes »). Le tout, par en haut, non seulement « sans démocratie » (en interdisant aux classes populaires le droit de s’organiser par elles-mêmes et pour elles-mêmes), mais en « abolissant » toute forme de vie politique. Le vide créé appelait l’Islam politique à le remplir. Le projet a alors épuisé son potentiel d’avancées en un temps bref – dix années de 1955 à 1965. L’essoufflement offrait à l’impérialisme, dirigé désormais par les États-Unis, l’occasion de briser le mouvement, en mobilisant à cet effet leur instrument militaire régional : Israël. La défaite de 1967 marque alors la fin de ce demi-siècle de flux. Le reflux est amorcé par Nasser lui-même, choisissant la voie des concessions à droite – (« l’infitah » – l’ouverture, entendre « à la mondialisation capitaliste ») plutôt que la radicalisation pour laquelle se battaient, entre autres, les étudiants (dont le mouvement occupe le devant de la scène en 1970, peu avant puis après la mort de Nasser). Sadate qui succède, accentue la portée de la dérive à droite et intègre les Frères musulmans dans son nouveau système autocratique. Moubarak poursuit dans la même voie.

 

La période de reflux qui suit (1967-2011) couvre à son tour presqu’un demi-siècle. L’Égypte, soumise aux exigences du libéralisme mondialisé et aux stratégies des Etats-Unis, a cessé d’exister comme acteur actif régional et international. Dans la région, les alliés majeurs des Etats-Unis – l’Arabie saoudite et Israël – occupent le devant de la scène. Israël peut alors s’engager dans la voie de l’expansion de sa colonisation de la Palestine occupée, avec la complicité tacite de l’Égypte et des pays du Golfe.

 

L’Égypte de Nasser avait mis en place un système économique et social critiquable mais cohérent. Nasser avait fait le pari de l’industrialisation pour sortir de la spécialisation internationale coloniale qui cantonnait le pays à l’exportation de coton. Ce système a assuré une répartition des revenus favorable aux classes moyennes en expansion, sans appauvrissement des classes populaires. Sadate et Moubarak ont œuvré au démantèlement du système productif égyptien, auquel ils ont substitué un système totalement incohérent, exclusivement fondé sur la recherche de la rentabilité d’entreprises qui ne sont pour la plupart que des sous-traitants du capital des monopoles impérialistes. Les taux de croissance égyptiens, prétendument élevés, qu’exalte depuis trente ans la Banque mondiale, n’ont aucune signification. La croissance égyptienne est vulnérable à l’extrême. Cette croissance, par ailleurs, s’est accompagnée d’une incroyable montée des inégalités et du chômage qui frappe une majorité de jeunes. Cette situation était explosive ; elle a explosé.

 

L’apparente « stabilité du régime » que Washington vantait reposait sur une machine policière monstrueuse (1 200 000 hommes contre 5 00 000 seulement pour l’armée), qui se livrait à des abus criminels quotidiens. Les puissances impérialistes prétendaient que ce régime « protégeait » l’Égypte de l’alternative islamiste. Or, il ne s’agit là que d’un mensonge grossier. En fait, le régime avait parfaitement intégré l’Islam politique réactionnaire (le modèle wahabite du Golfe) dans son système de pouvoir, en lui concédant la gestion de l’éducation, de la justice et des médias majeurs (la télévision en particulier). Le seul discours autorisé était celui des mosquées confiées aux Salafistes, leur permettant de surcroît de faire semblant de constituer « l’opposition ». La duplicité cynique du discours de l’establishment des États-Unis (et sur ce plan Obama n’est pas différent de Bush) sert parfaitement ses objectifs. Le soutien de fait à l’Islam politique annihile les capacités de la société à faire face aux défis du monde moderne (il est à l’origine du déclin catastrophique de l’éducation et de la recherche), tandis que la dénonciation occasionnelle des « abus » dont il est responsable (assassinats de Coptes, par exemple) sert à légitimer les interventions militaires de Washington engagé dans la soit disant « guerre contre le terrorisme ». Le régime pouvait paraître « tolérable » tant que fonctionnait la soupape de sécurité que représentait l’émigration en masse des pauvres et des classes moyennes vers les pays pétroliers. L’épuisement de ce système (la substitution d’immigrés asiatiques à ceux en provenance des pays arabes) a entraîné la renaissance des résistances. Les grèves ouvrières de 2007 – les plus fortes du continent africain depuis 50 ans – la résistance obstinée des petits paysans menacés d’expropriation par le capitalisme agraire, la formation de cercles de protestation démocratique dans les classes moyennes (les mouvements Kefaya et du 6 avril) annonçaient l’inévitable explosion - attendue en Égypte, même si elle a surpris les « observateurs étrangers ». Nous sommes donc entrés dans une phase nouvelle de flux des luttes d’émancipation dont il nous faut alors analyser les directions et les chances de développement.

 

 

Les composantes du mouvement démocratique

 

 

La « révolution égyptienne » en cours illustre la possibilité de la fin annoncée du système « néolibéral », remis en cause dans toutes ses dimensions politiques, économiques et sociales. Ce mouvement gigantesque du peuple égyptien associe trois composantes actives : les jeunes « re-politisés » par leur propre volonté et dans des formes « modernes » qu’ils ont inventées, les forces de la gauche radicale, celles rassemblées par les classes moyennes démocrates.

 

Les jeunes (environ un million de militants) ont été le fer de lance du mouvement. Ils ont été immédiatement rejoints par la gauche radicale et les classes moyennes démocrates. Les Frères musulmans dont les dirigeants avaient appelé à boycotter les manifestations pendant les quatre premiers jours (persuadés que celles-ci seraient mises en déroute par la répression) n’ont accepté le mouvement que tardivement, lorsque l’appel, entendu par l’ensemble du peuple égyptien, a produit des mobilisations gigantesques de 15 millions de manifestants.

 

Les jeunes et la gauche radicale poursuivent trois objectifs communs : la restauration de la démocratie (la fin du régime militaire et policier), la mise en œuvre d’une nouvelle politique économique et sociale favorable aux classes populaires (la rupture avec la soumission aux exigences du libéralisme mondialisé), et celle d’une politique internationale indépendante (la rupture avec la soumission aux exigences de l’hégémonie des États-Unis et du déploiement de son contrôle militaire sur la planète). La révolution démocratique à laquelle ils appellent est une révolution démocratique anti-impérialiste et sociale. Bien que le mouvement des jeunes reste diversifié dans sa composition sociale et ses expressions politiques et idéologiques, il se situe dans l’ensemble « à gauche ». Les manifestations de sympathie spontanées et fortes avec la gauche radicale en sont le témoignage.

 

Les classes moyennes se rassemblent dans l’ensemble autour du seul objectif démocratique, sans nécessairement remettre intégralement en cause le « marché » (tel qu’il est) et l’alignement international de l’Égypte. On ne doit pas ignorer le rôle d’un groupe de blogueurs qui participent – consciemment ou pas – à un véritable complot organisé par la CIA. Ses animateurs sont généralement des jeunes issus des classes aisées, américanisés à l’extrême, qui se posent néanmoins en « contestataires » des dictatures en place. Le thème de la démocratie, dans la version que sa manipulation par Washington impose, domine leurs interventions sur le « net ». Ils participent de ce fait à la chaîne des acteurs des contrerévolutions orchestrées par Washington, déguisées en « révolutions démocratiques » sur le modèle « des révolutions colorées » de l’Europe de l’Est. Mais on aurait tort de conclure que ce complot est à l’origine des révoltes populaires. La CIA tente néanmoins de renverser le sens du mouvement, d’éloigner les militants de leurs objectifs de transformation sociale progressiste et de les dévoyer sur d’autres terrains. Les chances de succès du complot deviennent sérieuses si le mouvement échoue dans la construction de la convergence de ses diverses composantes, à identifier des objectifs stratégiques communs et à inventer des formes d’organisation et d’action efficaces. On connaît des exemples de cet échec, aux Philippines et en Indonésie par exemple. Il est intéressant de noter à ce propos que nos blogueurs, qui s’expriment en anglais plutôt qu’en arabe ( !), partis dans la défense de la « démocratie » - à l’américaine- développent souvent, en Egypte, des arguments destinés à légitimer les Frères Musulmans.

 

L’appel à la manifestation formulé par les trois composantes actives du mouvement a été rapidement entendu par l’ensemble du peuple égyptien. La répression, d’une violence extrême les premiers jours (plus d’un millier de morts) n’a pas découragé ces jeunes et leurs alliés (qui, à aucun moment, n’ont appelé à leur secours les puissances occidentales comme on a pu le voir ailleurs). Leur courage a été l’élément décisif qui a entraîné dans la protestation à travers tous les quartiers des grandes et des petites villes, voire de villages, une quinzaine de millions de manifestants pendant des jours et des jours (et parfois des nuits). Ce succès politique foudroyant a produit ses effets : la peur a changé de camp ; Hilary Clinton et Obama ont découvert alors qu’il leur fallait lâcher Moubarak qu’ils avaient soutenu jusqu’alors, tandis que les dirigeants de l’armée sortaient du silence, refusaient de participer à la relève de la répression – sauvegardant ainsi leur image – et finalement déposaient Moubarak et quelque uns de ses suppôts majeurs.

 

La généralisation du mouvement à l’ensemble du peuple égyptien constitue par elle-même un défi positif. Car ce peuple est, comme tous les autres, loin de constituer un « bloc homogène ». Certains des segments qui le composent renforcent incontestablement la perspective d’une radicalisation possible. L’entrée dans la bataille de la classe ouvrière (environ 5 millions de travailleurs) peut être décisive. Les travailleurs en lutte (à travers de nombreuses grèves) ont fait progresser des formes d’organisation amorcées depuis 2007. On compte désormais plus d’une cinquantaine de syndicats indépendants. La résistance opiniâtre des petits paysans aux expropriations rendues possibles par l’annulation de la réforme agraire (les Frères musulmans ont voté au parlement pour ces lois scélérates, sous prétexte que la propriété privée serait « sacrée » dans l’Islam et que la réforme agraire était inspirée par le diable communiste !) participe également de la radicalisation possible du mouvement. Il reste qu’une masse gigantesque de « pauvres » ont participé activement aux manifestations de février 2011 et se retrouvent souvent dans des comités populaires constitués dans les quartiers pour « défendre la révolution ». Ces « pauvres » peuvent donner l’impression (par les barbes, les voiles, les accoutrements vestimentaires) que le pays profond est « islamique », voire mobilisé par les Frères musulmans. En fait, leur entrée en scène s’est imposée à la direction de l’organisation. La course est donc engagée : qui des Frères et de leurs associés islamistes (les Salafistes) ou de l’alliance démocratique parviendra à formuler des alliances efficaces avec les masses désorientées, voire à les « encadrer » (terme que je récuse) ?

 

Des avancées non négligeables dans la construction du front uni des forces démocratiques et des travailleurs sont en cours en Egypte. Cinq partis d’orientation socialiste (le Parti Socialiste égyptien, l’Alliance populaire démocratique –une majorité sortie de l’ancien parti du Tagammu, le Parti démocratique des travailleurs, le Parti des Socialistes révolutionnaires –trotskiste, et le Parti Communiste égyptien –qui avait été une composante du Tagammu) ont constitué en avril 2011 une Alliance des forces socialistes, et se sont engagés à poursuivre, à travers elle, leurs luttes en commun. Parallèlement un Conseil National (Maglis Watany) à été constitué par toutes les forces politiques et sociales acteurs du mouvement (les partis à orientation socialiste, les partis démocratiques divers, les syndicats indépendants, les organisations paysannes, les réseaux de jeunes, de nombreuses associations sociales). Les Frères Musulmans et les partis de droite ont refusé de participer à ce Conseil, réaffirmant ainsi ce qu’on sait : leur opposition à la poursuite du mouvement. Le Conseil rassemble environ 150 membres.

 

 

Face au mouvement démocratique : le bloc réactionnaire

 

 

Tout comme dans la période de flux des luttes du passé, le mouvement démocratique anti-impérialiste et social se heurte en Égypte à un bloc réactionnaire puissant. Ce bloc peut être identifié dans les termes de ses composantes sociales (de classes, évidemment) mais il doit l’être tout également dans ceux qui définissent ses moyens d’intervention politique et des discours idéologiques au service de celle-ci.

 

En termes sociaux, le bloc réactionnaire est dirigé par la bourgeoisie égyptienne considérée dans son ensemble. Les formes d’accumulation dépendante à l’œuvre au cours des 40 dernières années ont produit l’émergence d’une bourgeoisie riche, bénéficiaire exclusive de l’inégalité scandaleuse qui a accompagné ce modèle « libéral-mondialisé ». Il s’agit de dizaines de milliers non pas « d’entrepreneurs inventifs » - comme le discours de la Banque mondiale les présente – mais de millionnaires et de milliardaires qui tous doivent leur fortune à leur collusion avec l’appareil politique (la « corruption » est une composante organique de ce système). Cette bourgeoisie est compradore (dans la langue politique courante en Égypte le peuple les qualifie de « parasites corrompus »). Elle constitue le soutien actif de l’insertion de l’Égypte dans la mondialisation impérialiste contemporaine, l’allié inconditionnel des États-Unis. Cette bourgeoisie compte dans ses rangs de nombreux généraux de l’armée et de la police, de « civils » associés à l’État et au parti dominant (« National démocratique ») créé par Sadate et Moubarak, de religieux (la totalité des dirigeants des Frères musulmans et des cheikhs majeurs de l’Azhar, sont tous des « milliardaires »). Certes, il existe encore une bourgeoisie de petits et moyens entrepreneurs actifs. Mais ceux-là sont les victimes du système de racket mis en place par la bourgeoisie compradore, réduits le plus souvent au statut de sous-traitants dominés par les monopoles locaux, eux-mêmes courroies de transmission des monopoles étrangers. Dans le domaine de la construction, cette situation est presque généralisée : les « gros » raflent les marchés puis les sous-traitent avec les « petits ». Cette bourgeoisie d’entrepreneurs authentiques sympathise avec le mouvement démocratique.

 

Le versant rural du bloc réactionnaire n’est pas moins important. Il s’est constitué de paysans riches qui ont été les bénéficiaires majeurs de la réforme agraire nassérienne, se substituant à l’ancienne classe des grands propriétaires. Les coopératives agricoles mises en place par le régime nassérien associaient les petits paysans et les paysans riches et de ce fait fonctionnaient principalement au bénéfice des riches. Mais le régime avait pris des précautions pour limiter les agressions possibles contre les petits paysans. Ces précautions ayant été abandonnées par Sadate et Moubarak, sur la recommandation de la Banque mondiale, la paysannerie riche s’emploie maintenant à accélérer l’élimination de la petite paysannerie. Les paysans riches ont toujours constitué dans l’Égypte moderne une classe réactionnaire et ils le sont plus que jamais. Ils sont également le soutien majeur de l’Islam conservateur dans les campagnes et, par leurs rapports étroits (souvent de parenté) avec les représentants des appareils d’État et de la religion (l’Azhar est en Égypte l’équivalent d’une Église musulmane organisée) dominent la vie sociale rurale. De surcroît une bonne partie des classes moyennes urbaines (en particulier les officiers de l’armée et de la police, mais également les technocrates et les professions libérales) sont sorties directement de la paysannerie riche.

 

Ce bloc social réactionnaire dispose d’instruments politiques à son service : l’armée et la police, les institutions de l’État, le parti politique privilégié (une sorte de parti unique de fait) – le Parti national démocratique créé par Sadate –, l’appareil religieux (l’Azhar), les courants de l’Islam politique (les Frères musulmans et les Salafistes). L’aide militaire octroyée par les États-Unis à l’armée égyptienne (1,5 milliard de dollars annuels) n’a jamais été destinée à renforcer la capacité de défense du pays mais au contraire à en annihiler le danger par la corruption systématique, non pas connue et tolérée, mais soutenue positivement, avec cynisme. Cette « aide » a permis aux plus hauts officiers de s’approprier des segments importants de l’économie compradore égyptienne, au point qu’on parle en Égypte de « la société anonyme / armée » (Sharika al geish). Le commandement de l’armée qui a pris la responsabilité de « diriger » la période de transition, n’est de ce fait pas « neutre » bien qu’il ait pris la précaution de paraître l’être en se dissociant de la répression. Le gouvernement « civil » à ses ordres (dont les membres ont été nommés par le haut commandement) composé en partie d’hommes de l’ancien régime, choisis néanmoins parmi les personnalités les moins visibles de celui-ci, a pris une série de mesures parfaitement réactionnaires destinées à freiner la radicalisation du mouvement. Parmi ces mesures une loi scélérate antigrève (sous prétexte de remettre en route l’économie du pays), une loi imposant des restrictions sévères à la constitution des partis politiques qui vise à ne permettre la possibilité d’entrer dans le jeu électoral qu’aux courants de l’Islam politique (les Frères musulmans en particulier) déjà bien organisés grâce au soutien systématique du régime ancien. Et cependant, en dépit de tout cela, l’attitude de l’armée demeure en dernier ressort imprévisible. Car en dépit de la corruption de ses cadres (les soldats sont des conscrits mais les officiers sont des professionnels) le sentiment nationaliste n’est pas toujours absent chez tous. De surcroît l’armée souffre d’avoir pratiquement été écartée du pouvoir au profit de la police. Dans ces circonstances, et parce que le mouvement a exprimé avec force sa volonté d’écarter l’armée de la direction politique du pays, il est probable que le haut commandement envisagera pour l’avenir de rester dans les coulisses, renonçant à présenter ses hommes dans les élections à venir.

 

Si, évidemment, l’appareil policier demeure intact (aucune poursuite n’est envisagée contre ses responsables) comme l’ensemble de l’appareil d’État (les nouveaux gouverneurs sont tous des anciens du régime), le Parti national démocratique a par contre disparu dans la tourmente et sa dissolution prononcée par la justice. Néanmoins faisons confiance à la bourgeoisie égyptienne, elle saura faire renaître son parti sous des appellations nouvelles diverses.

 

 

L’Islam politique

 

 

Les Frères musulmans constituent la seule force politique dont le régime avait non seulement toléré l’existence, mais dont il avait soutenu activement l’épanouissement. Sadate et Moubarak leur avaient confié la gestion de trois institutions fondamentales : l’éducation, la justice et la télévision. Les Frères musulmans n’ont jamais été et ne peuvent pas être « modérés », encore moins « démocratiques ». Leur chef - le mourchid (traduction arabe de « guide » - Führer) est autoproclamé et l’organisation repose sur le principe de la discipline et de l’exécution des ordres des chefs, sans discussions d’aucune sorte. La direction est constituée exclusivement d’hommes immensément riches (grâce, entre autre, au soutien financier de l’Arabie Saoudite, c'est-à-dire de Washington), l’encadrement par des hommes issus des fractions obscurantistes des classes moyennes, la base par des gens du peuple recrutés par les services sociaux de charité offerts par la confrérie (et financés toujours par l’Arabie Saoudite), tandis que la force de frappe est constituée par les milices (les baltaguis) recrutés dans le lumpen.

 

Les Frères musulmans sont acquis à un système économique basé sur le marché et totalement dépendant de l’extérieur. Ils sont en fait une composante de la bourgeoisie compradore. Ils ont d’ailleurs pris position contre les grandes grèves de la classe ouvrière et les luttes des paysans pour conserver la propriété de leur terre. Les Frères musulmans ne sont donc « modérés » que dans le double sens où ils ont toujours refusé de formuler un programme économique et social quelconque et que, de fait, il ne remettent pas en cause les politiques néo-libérales réactionnaires, et qu’ils acceptent de facto la soumission aux exigences du déploiement du contrôle des États-Unis dans le monde et dans la région. Ils sont donc des alliés utiles pour Washington (y-a-t-il un meilleur allié des États-Unis que l’Arabie Saoudite, patron des Frères ?) qui leur a décerné un « certificat de démocratie » !

 

Mais les États-Unis ne peuvent avouer que leur stratégie vise à mettre en place des régimes « islamiques » dans la région. Ils ont besoin de faire comme si « cela leur faisait peur ». Par ce moyen, ils légitiment leur « guerre permanente au terrorisme », qui poursuit en réalité d’autres objectifs : le contrôle militaire de la planète destiné à réserver aux États-Unis-Europe-Japon l’accès exclusif aux ressources. Avantage supplémentaire de cette duplicité : elle permet de mobiliser « l’islamophobie » des opinions publiques. L’Europe, comme on le sait, n’a pas de stratégie particulière à l’égard de la région et se contente de s’aligner au jour le jour sur les décisions de Washington. Il est plus que jamais nécessaire de faire apparaître clairement cette véritable duplicité de la stratégie des États-Unis, dont les opinions publiques – manipulées avec efficacité – sont dupes. Les États-Unis, (et derrière eux l’Europe) craignent plus que tout une Égypte réellement démocratique qui, certainement, remettrait en cause son alignement sur le libéralisme économique et la stratégie agressive des États-Unis et de l’OTAN. Ils feront tout pour que l’Égypte ne soit pas démocratique et, à cette fin, soutiendront, par tous les moyens, mais avec hypocrisie, la fausse alternative Frères musulmans qui ont montré n’être qu’en minorité dans le mouvement du peuple égyptien pour un changement réel.

 

La collusion entre les puissances impérialistes et l’Islam politique n’est d’ailleurs ni nouvelle, ni particulière à l’Égypte. Les Frères musulmans, depuis leur création en 1927 jusqu’à ce jour, ont toujours été un allié utile pour l’impérialisme et le bloc réactionnaire local. Ils ont toujours été un ennemi féroce des mouvements démocratiques en Égypte. Et les multimilliardaires qui assurent aujourd’hui la direction de la Confrérie ne sont pas destinés à se rallier à la cause démocratique ! L’Islam politique est tout également l’allié stratégique des États-Unis et de leurs partenaires subalternes de l’OTAN à travers le monde musulman. Washington a armé et financé les Talibans, qualifiés de « héros de la liberté » (« Freedom Fighters ») dans leur guerre contre le régime national populaire dit « communiste » (avant et après l’intervention soviétique). Lorsque les Talibans ont fermé les écoles de filles créées par les « communistes », il s’est trouvé des « démocrates » et même des « féministes » pour prétendre qu’il fallait « respecter les traditions » !

 

En Égypte, les Frères musulmans sont désormais épaulés par le courant salafiste (« traditionaliste »), tout également largement financé par les pays du Golfe. Les Salafistes s’affirment extrémistes (wahabites convaincus, intolérants à l’égard de tout autre interprétation de l’Islam) et sont à l’origine des meurtres systématiques perpétrés contre les Coptes. Des opérations difficiles à imaginer sans le soutien tacite (et parfois davantage de complicité) de l’appareil d’État, en particulier de la Justice, largement confiée aux Frères musulmans. Cette étrange division du travail permet aux Frères musulmans de paraître modérés ; ce que Washington feint de croire. Il y a néanmoins des luttes violentes en perspective au sein des courants religieux islamistes en Égypte. Car l’Islam égyptien historique dominant est « soufi » dont les confréries rassemblent aujourd’hui 15 millions de fidèles. Islam ouvert, tolérant, insistant sur la conviction individuelle plutôt que sur la pratique des rites (« il y a autant de voies vers Dieu que d’individus » disent-ils), le soufisme égyptien a toujours été tenu en suspicion par les pouvoirs d’État, lesquels, néanmoins, maniant la carotte et le bâton, se gardaient d’entrer en guerre ouverte contre lui. L’Islam wahabite du Golfe se situe à ses antipodes : il est archaïque, ritualiste, conformiste, ennemi déclaré de toute interprétation autre que la sienne, laquelle n’est que répétitive des textes, ennemie de tout esprit critique – assimilé au Diable. L’Islam wahabite a déclaré la guerre au soufisme qu’il veut « extirper » et compte sur l’appui des autorités du pouvoir pour y parvenir. En réaction, les soufistes d’aujourd’hui sont laïcisants, sinon laïques ; ils appellent à la séparation entre la religion et la politique (le pouvoir d’État et celui des autorités religieuses reconnues par lui, l’Azhar). Les soufistes sont des alliés du mouvement démocratique. L’introduction de l’Islam wahabite en Égypte a été amorcée par Rachid Reda dans les années 1920 et repris par les Frères musulmans dès 1927. Mais il n’a pris toute sa vigueur qu’après la seconde guerre mondiale lorsque la rente pétrolière des pays du Golfe, soutenus par les États-Unis en conflit avec la vague de libération nationale populaire des années 1960, a permis d’en démultiplier les moyens financiers.

 

 

La stratégie des États-Unis : le modèle pakistanais

 

 

Les trois puissances qui ont dominé la scène moyen-orientale au cours de toute la période de reflux (1967-2011) sont les États-Unis, patron du système, l’Arabie Saoudite et Israël. Il s’agit là de trois alliés intimes. Ils partagent tous les trois la même hantise de l’émergence d’une Égypte démocratique. Car celle-ci ne pourrait être qu’anti-impérialiste et sociale, prendrait ses distances à l’égard du libéralisme mondialisé, condamnerait l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe à l’insignifiance, réanimerait la solidarité des peuples arabes et imposerait la reconnaissance de l’État palestinien par Israël.

 

L’Égypte est une pièce angulaire dans la stratégie états-unienne de contrôle de la Planète. L’objectif exclusif de Washington et de ses alliés Israël et l’Arabie Séoudite est de faire avorter le mouvement démocratique en Égypte et, à cette fin, veulent impose un « régime islamique » dirigé par les Frères Musulmans, qui est le seul moyen pour eux de perpétuer la soumission de l’Égypte. Le « discours démocratique » d’Obama n’est là que pour tromper les opinions naïves, celles des États-Unis et de l’Europe en premier lieu.

 

On parle beaucoup, pour donner une légitimité à un gouvernement des Frères musulmans (« ralliés à la démocratie ! »), de l’exemple turc. Mais il ne s’agit là encore que de poudre aux yeux. Car l’armée turque, qui reste présente dans les coulisses, bien que certainement non démocratique et de surcroit un allié fidèle de l’OTAN, reste la garantie de la « laïcité » en Turquie. Le projet de Washington, ouvertement exprimé par Hilary Clinton, Obama et les think tanks à leur service, s’inspire du modèle pakistanais : l’armée (« islamique ») dans les coulisses, le gouvernement (« civil ») assumé par un (ou des) parti islamique « élu ». Évidemment, dans cette hypothèse, le gouvernement « islamique » égyptien serait récompensé pour sa soumission sur l’essentiel (la non remise en cause du libéralisme et des soit disant « traités de paix » qui permettent à Israël la poursuite de sa politique d’expansion territoriale) et pourrait poursuivre, en compensation démagogique, la mise en œuvre de ses projets « d’islamisation de l’État et de la politique », et les assassinats des Coptes ! Belle démocratie que celle conçue à Washington pour l’Égypte. L’Arabie Séoudite soutient évidemment avec tous ses moyens (financiers) la mise en œuvre de ce projet. Car Ryad sait parfaitement que son hégémonie régionale (dans le monde arabe et musulman) exige la réduction de l’Égypte à l’insignifiance. Et le moyen est « l’islamisation de l’État et de la politique » ; en fait, une islamisation à la wahabite, avec tous ses effets – entre autres celui de dévoiements fanatiques à l’égard des Coptes et d’une négation des droits à l’égalité des femmes.

 

Cette forme d’islamisation est-elle possible ? Peut être, mais au prix de violences extrêmes. La bataille est conduite sur l’article 2 de la constitution du régime déchu. Cet article qui stipule que « la sharia est la source du droit », est une nouveauté dans l’histoire politique de l’Égypte. Ni la constitution de 1923, ni celle de Nasser ne l’avaient imaginé. C’est Sadate qui l’a introduit dans sa nouvelle constitution, avec le soutien triple de Washington (« respecter les traditions » !), de Ryad (« le Coran tient lieu de Constitution ») et de Jérusalem (« l’État d’Israël est un État juif »).

 

Le projet des Frères Musulmans demeure la mise en place d’un Etat théocratique, comme en témoigne leur attachement à l’article 2 de la Constitution de Sadate/Moubarak. De surcroît le programme le plus récent de l’organisation renforce encore cette vision passéiste par la proposition de mise en place d’un « Conseil des Ulémas » chargé de veiller à la conformité de toute proposition de loi aux exigences de la Sharia. Ce conseil constitutionnel religieux, est l’analogue de celui qui, en Iran, contrôle le « pouvoir élu ». Le régime est alors celui d’un super parti religieux unique et tous les partis qui se revendiqueraient de la laïcité deviennent « illégaux ». Leurs partisans, comme les non Musulmans (les Coptes), sont, de ce fait, exclus de la vie politique. En dépit de tout cela les pouvoirs à Washington et en Europe font comme si on pouvait prendre au sérieux la récente déclaration des Frères « renonçant » au projet théocratique (sans modifier leur programme !), une déclaration opportuniste mensongère de plus. Les experts de la CIA ne savent-ils donc pas lire l’arabe ? La conclusion s’impose : Washington préfère le pouvoir de Frères, qui leur garantit le maintien de l’Egypte dans leur giron et celui de la mondialisation libérale, à celui de démocrates qui risqueraient fort de remettre en question le statut subalterne de l’Egypte. Le Parti de la Justice et de la Liberté, créé récemment et inspiré visiblement du modèle turc, n’est guère qu’un instrument des Frères. Les Coptes y seraient admis ( !), ce qui signifie qu’ils sont invités à accepter l’Etat musulman théocratique consacré par le programme des Frères, s’ils veulent avoir le droit de « participer » à la vie politique de leur pays. Passés à l’offensive, les Frères Musulmans créent des « syndicats », des « organisations paysannes » et une kyrielle de « partis politiques » revêtant des noms divers, dont le seul objectif est de diviser les fronts unis ouvriers, paysans et démocratiques en voie de construction, au bénéfice, bien entendu, du bloc contrerévolutionnaire.

 

Le mouvement démocratique égyptien sera-t-il capable d’abroger cet article dans la nouvelle constitution à venir ? On ne peut répondre à cette question que par un retour sur un examen des débats politiques, idéologiques et culturels qui se sont déployés dans l’histoire de l’Égypte moderne.

 

On constate en effet que les périodes de flux sont caractérisées par une diversité d’opinions ouvertement exprimées qui relèguent la « religion » (toujours présente dans la société) à l’arrière-plan. Il en fut ainsi pendant les deux tiers du XIXe siècle (de Mohamed Ali au Khédive Ismaïl). Les thèmes de la modernisation (dans une forme de despotisme éclairé plutôt que démocratique) dominent alors la scène. Il en fut de même de 1920 à 1970 : l’affrontement est ouvert entre les « démocrates bourgeois » et les « communistes » qui occupent largement le devant de la scène jusqu’au nassérisme. Celui-ci abolit ce débat pour lui substituer un discours populiste pan arabe, mais simultanément « modernisant ». Les contradictions de ce système ouvrent la voie au retour de l’Islam politique. On constate, en contrepoint, que dans les phases de reflux la diversité d’opinions s’efface, laissant la place au passéisme prétendu islamique, qui s’octroie le monopole du discours autorisé par le pouvoir. De 1880 à 1920 les Britanniques ont construit cette dérive, entre autre par la condamnation à l’exil (en Nubie, pour l’essentiel) de tous les penseurs et acteurs modernistes égyptiens formés depuis Mohamed Ali. Mais on remarquera aussi que « l’opposition » à cette occupation britannique se range également dans cette conception passéiste. La Nahda (inaugurée par Afghani et poursuivie par Mohamed Abdou) s’inscrit dans cette dérive, associée à l’illusion ottomaniste défendue par le nouveau Parti Nationaliste de Moutapha Kemal et Mohammad Farid. Que cette dérive ait conduit vers la fin de l’époque aux écrits ultra-réactionnaires de Rachid Reda, repris par Hassan el Banna, fondateur des Frères musulmans, ne devrait pas surprendre.

 

Il en est de même encore dans la période de reflux des années 1970-2010.Le discours officiel du pouvoir (de Sadate et de Moubarak), parfaitement islamiste (la preuve : l’introduction de la Sharia dans la constitution et la délégation de pouvoirs essentiels aux Frères musulmans), est également celui de la fausse opposition, la seule tolérée, celle du discours des mosquées. L’article 2 peut paraître de ce fait, bien solidement ancré dans la « conviction » générale (la « rue » comme on se plaît à dire, par imitation du discours étatsunien). On ne saurait sous-estimer les effets dévastateurs de la dépolitisation mise en œuvre systématiquement pendant les périodes de reflux. La pente n’est jamais facile à remonter. Mais cela n’est pas impossible. Les débats en cours en Égypte sont axés – explicitement ou implicitement – sur cette question de la prétendue dimension « culturelle » du défi (en l’occurrence islamique). Indicateurs positifs : il a suffi de quelques semaines de débats libres imposés dans les faits pour voir le slogan « l’islam est la solution » disparaître dans toutes les manifestations au bénéfice de revendications précises sur le terrain de la transformation concrète de la société (liberté d’opinion, de formation des partis, syndicats et autres organisations sociales, salaires et droits du travail, accès à la terre, école et santé, rejet des privatisations et appel aux nationalisations etc.) Signe qui ne trompe pas : aux élections des étudiants, l’écrasante majorité (80%) des voix données aux Frères musulmans il y a cinq ans (lorsque seul ce discours était accepté comme prétendue opposition) a fait suite à une chute des Frères dans les élections d’avril à 20% ! Mais l’adversaire sait également organiser la riposte au « danger démocratique ». Les modifications insignifiantes de la constitution (toujours en vigueur !) proposées par un comité constitué exclusivement d’islamistes choisis par le conseil suprême (l’armée) et adoptées à la hâte en avril par referendum (23% de « non », mais une majorité de « oui », forcée par les fraudes et un chantage massif des mosquées) ne concernent évidemment pas l’article 2. Des élections présidentielles et législatives sont prévues pour septembre / octobre 2011. Le mouvement démocratique se bat pour une « transition démocratique » plus longue, de manière à permettre à ses discours d’atteindre véritablement les masses désemparées. Mais Obama a choisi dès les premiers jours de l’insurrection : une transition brève, ordonnée (c’est à dire sans remise en cause des appareils du régime) et des élections (donnant une victoire souhaitée aux Islamistes). Les « élections » comme on le sait, en Égypte comme ailleurs dans le monde, ne sont pas le meilleur moyen d’asseoir la démocratie, mais souvent celui de mettre un terme à la dynamique des avancées démocratiques.

 

Un dernier mot concernant la « corruption ». Le discours dominant du « régime de transition » place l’accent sur sa dénonciation, associée de menaces de poursuites judiciaires (on verra ce qu’il en sera dans les faits). Ce discours est certainement bien reçu, en particulier par la fraction sans doute majeure de l’opinion naïve. Mais on se garde d’en analyser les raisons profondes et de faire comprendre que la « corruption » (présentée comme une déviance morale, façon discours moralisant étatsunien) est une composante organique nécessaire à la formation de la bourgeoisie. Non seulement dans le cas de l’Égypte et dans les pays du Sud en général, s’agissant de la formation d’une bourgeoisie compradore dont l’association aux pouvoirs d’État constitue le seul moyen pour son émergence. Je soutiens qu’au stade du capitalisme des monopoles généralisés, la corruption est devenue un élément constitutif organique de la reproduction du modèle d’accumulation : le prélèvement de la rente des monopoles exige la complicité active de l’État. Le discours idéologique (« le virus libéral ») proclame « pas d’État » ; tandis que sa pratique est : « l’État au service des monopoles ».

 

 

La zone des tempêtes

 

 

Mao n’avait pas tort lorsqu’il affirmait que le capitalisme (réellement existant, c'est-à-dire impérialiste par nature) n’avait rien à offrir aux peuples des trois continents (la périphérie constituée par l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine – cette « minorité » qui rassemble 85% de la population de la planète !) et que donc le Sud constituait la « zone des tempêtes », c'est-à-dire des révoltes répétées, potentiellement (mais seulement potentiellement) porteuses d’avancées révolutionnaires en direction du dépassement socialiste du capitalisme.

 

Le « printemps arabe » s’inscrit dans cette réalité. Il s’agit de révoltes sociales potentiellement porteuses de la cristallisation d’alternatives, qui peuvent à long terme s’inscrire dans la perspective socialiste. C’est la raison pour laquelle le système capitaliste, le capital des monopoles dominants à l’échelle mondiale, ne peut tolérer le développement de ces mouvements. Il mobilisera tous les moyens de déstabilisation possibles, des pressions économiques et financières jusqu’à la menace militaire. Il soutiendra, selon les circonstances, soit les fausses alternatives fascistes ou fascisantes, soit la mise en place de dictatures militaires. Il ne faut pas croire un mot de ce que dit Obama. Obama, c’est Bush, mais avec un autre langage. Il y a là une duplicité permanente dans le langage des dirigeants de la triade impérialiste (États-Unis, Europe occidentale, Japon).

 

Je n’ai pas l’intention, dans cet article, d’examiner avec autant de précision chacun des mouvements en cours dans le monde arabe (Tunisie, Libye, Syrie, Yémen et autres). Car les composantes du mouvement sont différents d’un pays à l’autre, tout comme le sont les formes de leur intégration dans la mondialisation impérialiste et les structures des régimes en place.

 

La révolte tunisienne a donné le coup d’envoi et certainement fortement encouragé les Egyptiens. Par ailleurs le mouvement tunisien bénéficie d’un avantage certain : la semi laïcité introduite par Bourguiba ne pourra sans doute pas être remise en cause par les Islamistes rentrés de leur exil en Grande Bretagne. Mais simultanément le mouvement tunisien ne paraît pas être en mesure de remettre en question le modèle de développement extraverti inscrit dans la mondialisation capitaliste libérale.

 

La Libye n’est ni la Tunisie, ni l’Égypte. Le bloc au pouvoir (Khadafi) et les forces qui se battent contre lui n’ont rien d’analogues avec ce qu’ils sont en Tunisie et en Égypte. Khadafi n’a jamais été qu’un polichinelle dont le vide de la pensée trouve son reflet dans son fameux « Livre vert ». Opérant dans une société encore archaïque, Khadafi pouvait se permettre de tenir des discours successifs - sans grande portée réelle - « nationalistes et socialistes » puis se rallier le lendemain au « libéralisme ». Il l’a fait « pour faire plaisir aux Occidentaux » !, comme si le choix du libéralisme n’aurait pas d’effets dans la société. Or, il en a eu, et, très banalement, aggravé les difficultés sociales pour la majorité. Les conditions étaient alors créées qui ont donné l’explosion qu’on connaît, immédiatement mise à profit par l’Islam politique du pays et les régionalismes. Car la Libye n’a jamais vraiment existé comme nation. C’est une région géographique qui sépare le Maghreb et le Mashreq. La frontière entre les deux passe précisément au milieu de la Libye. La Cyrénaïque est historiquement grecque et hellénistique, puis est devenue mashréqine. La Tripolitaine, elle, a été latine et est devenue maghrébine. De ce fait, il y a toujours eu une base pour des régionalismes dans le pays. On ne sait pas réellement qui sont les membres du Conseil national de transition de Benghazi. Il y a peut-être des démocrates parmi eux, mais il y a certainement des islamistes, et les pires d’entre eux, et des régionalistes. Dès l’origine « le mouvement » a pris en Lybie la forme d’une révolte armée, faisant feu sur l’armée, et non celle d’une vague de manifestations civiles. Cette révolte armée a par ailleurs appelé immédiatement l’Otan à son secours. L’occasion était alors donnée pour une intervention militaire des puissances impérialistes. L’objectif poursuivi n’est certainement ni la « protection des civils », ni la « démocratie », mais le contrôle du pétrole et l’acquisition d’une base militaire majeure dans le pays. Certes, les compagnies occidentales contrôlaient déjà le pétrole libyen, depuis le ralliement de Khadafi au « libéralisme ». Mais avec Khadafi on n’est jamais sûr de rien. Et s’il retournait sa veste et introduisait demain dans son jeu les Chinois ou les Indiens ? Mais il y a plus grave. Khadafi avait dès 1969 exigé l’évacuation des bases britanniques et états-uniennes mises en place au lendemain de la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, les États-Unis ont besoin de transférer l’Africom (le commandement militaire des États-Unis pour l’Afrique, une pièce importante du dispositif du contrôle militaire de la planète, toujours localisé à Stuttgart !) en Afrique. Or l’Union Africaine refuse de l’accepter et jusqu’à ce jour aucun État africain n’a osé le faire. Un laquais mis en place à Tripoli (ou à Benghazi) souscrirait évidemment à toutes les exigences de Washington et de ses alliés subalternes de l’OTAN.

 

Les composantes de la révolte en Syrie n’ont jusqu’à présent pas fait connaître leurs programmes. Sans doute la dérive du régime baassiste, rallié au néo libéralisme et singulièrement passif face à l’occupation du Golan par Israël est-elle à l’origine de l’explosion populaire. Mais il ne faut pas exclure l’intervention de la CIA : on parle de groupes qui ont pénétré à Diraa en provenance de la Jordanie voisine. La mobilisation des Frères Musulmans, qui avaient été à l’origine il y a quelques années des insurrections de Hama et de Homs, n’est peut-être pas étrangère au complot de Washington, qui s’emploie à mettre un terme à l’alliance Syrie/Iran, essentielle au soutien de Hezbollah au Liban et de Hamas à Gaza.

 

Au Yemen l’unité s’était construite sur la défaite des forces progressistes qui avaient gouverné le Sud du pays. Le mouvement va-t-il rendre sa vitalité à ces forces ? Pour cette raison on comprend les hésitations de Washington et du Golfe.

 

A Bahrein la révolte a été tuée dans l’œuf par l’intervention de l’armée séoudienne et le massacre, sans que les médias dominants n’y aient trouvé à redire. Deux poids, deux mesures, comme toujours.

 

La « révolte arabe » ne constitue pas l’exemple unique, même si elle en est l’expression la plus récente, de la manifestation de l’instabilité inhérente à la « zone des tempêtes ».

 

Une première vague de « révolutions », si on les appelle ainsi, avait balayé certaines dictatures en Asie (les Philippines, l’Indonésie) et en Afrique (le Mali), qui avaient été mises en place par l’impérialisme et les blocs réactionnaires locaux. Mais ici les États-Unis et l’Europe étaient parvenus à faire avorter la dynamique de ces mouvements populaires, parfois gigantesques par les mobilisations qu’ils ont suscitées. Les États-Unis et l’Europe veulent répéter dans le monde arabe ce qui s’est passé au Mali, aux Philippines et en Indonésie : tout changer pour que rien ne change ! Là-bas, après que les mouvements populaires se sont débarrassés de leurs dictateurs, les puissances impérialistes se sont employées à ce que l’essentiel soit préservé par la mise en place de gouvernements alignés sur le néolibéralisme et les intérêts de leur politique étrangère. Il est intéressant de constater que dans les pays musulmans (Mali, Indonésie), l’Islam politique a été mobilisé à cet effet.

 

La vague des mouvements d’émancipation qui a balayé l’Amérique du Sud a par contre permis des avancées réelles dans les trois directions que représentent la démocratisation de l’État et de la société, l’adoption de postures anti-impérialistes conséquentes, l’engagement sur la voie de réformes sociales progressistes.

 

Le discours dominant des médias compare les « révoltes démocratiques » du tiers monde à celles qui ont mis un terme aux « socialismes » de l’Europe orientale à la suite de la chute du « mur de Berlin ». Il s’agit là d’une supercherie pure et simple. Car, quelles qu’aient été les raisons (compréhensibles) des révoltes en question, celles-ci s’inscrivaient dans la perspective de l’annexion de la région par les puissances impérialistes de l’Europe de l’Ouest (au bénéfice de l’Allemagne en premier lieu). En fait, réduits désormais au statut de « périphéries » de l’Europe capitaliste développée, les pays de l’Europe orientale connaîtront demain leur révolte authentique. Il y en a déjà les signes annonciateurs, dans l’ex-Yougoslavie en particulier.

 

Les révoltes, potentiellement porteuses d’avancées révolutionnaires, sont à prévoir partout ou presque dans les trois continents, qui demeurent, plus que jamais, la zone des tempêtes, démentant par là les discours sirupeux sur le « capitalisme éternel » et la stabilité, la paix, le progrès démocratique qu’on lui associe. Mais ces révoltes, pour devenir des avancées révolutionnaires, devront surmonter de nombreux obstacles : d’une part, surmonter les faiblesses du mouvement, construire des convergences positives entre ses composa

ntes, concevoir et mettre en œuvre des stratégies efficaces, mais aussi d’autre part mettre en déroute les interventions (y compris militaires) de la triade impérialiste. Car toute intervention militaire des États-Unis et de l’OTAN dans les affaires des pays du Sud, sous quelque prétexte que ce soit fût-il d’apparence sympathique - comme l’intervention « humanitaire » - doit être proscrite. L’impérialisme ne veut ni le progrès social, ni la démocratie pour ces pays. Les laquais qu’il place au pouvoir quand il gagne la bataille resteront des ennemis de la démocratie. On ne peut que déplorer que la « gauche » européenne, même radicale, ait cessé de comprendre ce qu’est l’impérialisme.

 

Le discours dominant aujourd’hui appelle à la mise en œuvre d’un « droit international » qui autorise en principe l’intervention lorsque les droits fondamentaux d’un peuple sont bafoués. Mais les conditions ne sont pas réunies pour permettre d’avancer dans cette direction. La « communauté internationale » n’existe pas. Elle se résume à l’ambassadeur des États-Unis, suivi automatiquement par ceux de l’Europe. Faut-il faire la longue liste de ces interventions plus que malheureuses, criminelles dans leurs résultats (l’Irak, par exemple) ? Faut-il rappeler le principe « deux poids, deux mesures » qui les caractérise (on pensera évidemment aux droits bafoués des Palestiniens et au soutien inconditionnel à Israël, aux innombrables dictatures toujours soutenues en Afrique) ?

 

 

Le printemps des peuples du Sud et l’automne du capitalisme

 

 

Les « printemps » des peuples arabes, comme ceux que les peuples d’Amérique latine connaissent depuis deux décennies, que j’appelle la seconde vague de l’éveil des peuples du Sud – la première s’était déployée au 20 ième siècle jusqu’à la controffensive du capitalisme/impérialisme néo libéral – revêt des formes diverses allant des explosions dirigées contre les autocraties qui ont précisément accompagné le déploiement néo libéral à la remise en cause de l’ordre international par les « pays émergents ». Ces printemps coïncident donc avec « l’automne du capitalisme », le déclin du capitalisme des monopoles généralisés, mondialisés et financiarisés. Les mouvements partent, comme ceux du siècle précédent, de la reconquête de l’indépendance des peuples et des Etas des périphéries du système, reprenant l’initiative dans la transformation du monde. Ils sont donc avant tout des mouvements anti impérialistes et donc seulement potentiellement anti capitalistes. Si ces mouvements parviennent à converger avec l’autre réveil nécessaire, celui des travailleurs des centres impérialistes, une perspective authentiquement socialiste pourrait se dessiner à l’échelle de l’humanité entière. Mais cela n’est en aucune manière inscrit à l’avance comme une « nécessité de l’histoire ». Le déclin du capitalisme peut ouvrir la voie à la longue transition au socialisme comme il peut engager l’humanité sur la voie de la barbarie généralisée. Le projet de contrôle militaire de la planète par les forces armées des Etats Unis et de leurs alliés subalternes de l’Otan, toujours en cours, le déclin de la démocratie dans les pays du centre impérialiste, le refus passéiste de la démocratie dans les pays du Sud en révolte (qui prend la forme d’illusions para religieuses « fondamentalistes » que les Islam, Hindouisme et Bouddhisme politiques proposent) opèrent ensemble dans cette perspective abominable. La lutte pour la démocratisation laïque prend alors une dimension décisive dans le moment actuel qui oppose la perspective d’une émancipation des peuples à celle de la barbarie généralisée.

 

 

 

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Lectures complémentaires :

 

Hassan Riad, L’Egypte nassérienne, Minuit 1964

Samir Amin, La nation arabe, Minuit 1976

Samir Amin, A life looking forward, Memories of an independent Marxist, Zed, London 2006

Samir Amin, L’éveil du Sud ; Le temps des cerises, 2008

 

Le lecteur y trouvera mes lectures des réalisations du Vice-Roi Muhammad Ali (1805-1848) et des Khédives qui lui ont succédé, en particulier d’Ismail (1867-79), du Wafd (1920-1952), des positions du communisme égyptien face au nassérisme, de la dérive de la Nahda d’Afghani à Rachid Reda.

 

Gilbert Achcar, Les Arabes et la Shoah, Actes Sud, 2009.

Il s’agit là de la meilleure analyse des composantes de l’Islam politique (de Rachid Reda et des Frères Musulmans, des Salafistes modernes).

 

Concernant le rapport entre le conflit nord/Sud et celui qui oppose l’amorce de la transition socialiste à la poursuite du déploiement du capitalisme, voir :

 

Samir Amin, La crise, sortir de la crise du capitalisme ou sortir du capitalisme en crise ? ; Le Temps des Cerises, 2009

Samir Amin, La loi de la valeur mondialisée ; Le temps des cerises, 2011

Samir Amin, Pour la cinquième internationale ; Le temps des cerises, 2006

Samir Amin, The long trajectory of historical capitalism ; Monthly Review, New York, february 2011

Gilbert Achcar, Le choc des barbaries, Ed Complexe, Bruxelles

 

Le Caire et Paris, mai 2011

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