Guerre de l’information, propagande et média-mensonges
La Syrie est plus que jamais le terrain d’un journalisme à géométrie variable
DAMAS, Siège du Parti Baath 21 novembre 2011 © photo Maha MAHFOUD
Depuis le début des troubles qui ont éclaté en Syrie dans le contexte du « Printemps arabe », l’information, la ré-information et la désinformation s’affrontent sur ce terrain que rendent particulièrement mouvant les intérêts multiples des différentes communautés et confessions qui y cohabitent, mais aussi les rôles ambigus de plusieurs acteurs internationaux et, notamment, ceux de la Turquie et de l’Arabie saoudite, comme celui du Qatar et de sa chaîne de télévision de plus en plus controversée, Al-Jazeera.
Face à cette situation critique, le gouvernement baathiste avait opté pour une politique d’opacité, la fermeture des frontières et l’interdiction des journalistes et autres observateurs.
Vérifier la fiabilité des informations qui parvenaient de Syrie était dès lors souvent très difficile. Mais pas impossible : en juillet, j’avais obtenu un visa et l’autorisation de me déplacer librement à travers tout le pays, de Deraa à Alep et de Latakieh à Der-ez Zor –et je n’étais pas le seul sur place : François Janne d’Othée, Alain Gresh du Monde diplomatique, ou encore Gaëtan Vannay de la Radio suisse romande.
J’avais observé la situation à Homs, où les manifestants « pacifiques » munis d’armes à feu s’en étaient pris à l’armée, et, le vendredi 15 juillet, à Hama, dont les quelques milliers de manifestants que j’avais pu y dénombrer s’étaient miraculeusement démultipliés en 500.000 opposants dans les dépêches de l’AFP, « information » benoîtement reprise par Euronews, France 24 et la plupart des journaux « mainstreams » ; seul Le Monde faisait exception, renchérissant avec l’annonce de 600.000 manifestants (Hama compte à peine plus de 340.000 habitants).
Cette politique d’opacité s’est ainsi rapidement révélée contreproductive pour le gouvernement syrien, dans la mesure où l’opposition a peu à peu diffusé des rapports fallacieux, grossissant l’importance des mouvements de contestation dans des proportions colossales : concernant le nombre des morts et celui des manifestants, la bataille des chiffres a atteint des degrés confinant à l’absurde, comme l’illustre bien l’exemple évoqué, relatif à la mobilisation de l’opposition à Hama.
Absents du terrain et manifestement peu enclins à critiquer leurs sources, les médias occidentaux n’ont en effet pas soupçonné les « informations » qu’ils recevaient par les canaux de l’opposition, rejetant en revanche les communications du gouvernement syrien, considérées comme propagandistes ; entre autres cas d’école, aucun doute n’a jamais été émis à propos des vidéos transmises par l’opposition et supposées témoigner d’une Syrie à feu et à sang, de manifestations de dizaines ou centaines de milliers de participants, alors que, systématiquement, les images diffusées étaient constituées de gros-plans présentant quelques centaines de personnes seulement. Et les rares observateurs qui ont pu entrer en Syrie et faire part de leurs constatations ont généralement été désavoués et discrédités, comme des affabulateurs ou des supporters de la dictature.
Parmi les sources principales des médias, on trouve l’Observatoire syrien des Droits de l’Homme (OSDH), presque toujours cité en référence par les journalistes et qui domine largement « l’information » sur la Syrie (c’est cette organisation, basée à Londres, qui avait annoncé le nombre de 500.000 manifestants à Hama, le 15 juillet 2011).
Or, il n’est pas très difficile de se renseigner sur l’identité de l’OSDH et des personnes qui se cachent derrière ce label aux apparences honorables, à commencer par son président, Rami Abdel Rahmane, un opposant de longue date au régime baathiste, très connu en Syrie comme étroitement associé aux Frères musulmans, organisation islamiste radicale dont l’influence grandissante sur le mouvement de contestation en Syrie laisse entrevoir de plus en plus clairement l’ambition de ce groupe que d’aucun croyait presqu’éteint, du fait de son interdiction par le régime, mais qui couvait dans la clandestinité.
Le 17 novembre, les Frères musulmans sont sortis du bois : alors que plusieurs observateurs estimaient le mouvement exsangue et sans plus aucun poids, le porte-parole des Frères, Mohammad Riad Shakfait, en exil en Turquie, s’exprimant au nom du « peuple syrien », a annoncé qu’une « intervention était acceptable pour protéger la population civile ». Il en a précisé les contours : l’intervention serait mieux reçue si elle venait de la Turquie plutôt que des puissances occidentales (la Turquie, gouvernée par un parti islamiste qualifié de « modéré », l’AKP).
En juillet, j’avais également pu constater l’implication grandissante des Frères musulmans dans les mouvements de contestation, à tel point que les minorités communautaires (Chrétiens, Druzes, Kurdes, Chiites… outre les Alaouites et une partie de la bourgeoisie sunnite) s’en étaient désolidarisées et revendiquaient même leur soutien au régime, par crainte de la montée en puissance des islamistes syriens, dont les intentions sont sans équivoque : l’instauration en Syrie d’une république islamique.
Plus encore, les Frères musulmans, membres du Conseil national syrien (CNS), qui rassemble les principaux courants de l’opposition, très hétéroclites et aux objectifs divergents, et se présente comme une alternative au gouvernement de Bashar al-Assad, ont entamé au nom de ce CNS des négociations avec la Turquie, mais aussi avec des gouvernements occidentaux, pour l’établissement en Syrie d’une zone d’exclusion aérienne pour protéger les civils, alors que la ligne du CNS avait été, jusqu’à présent, de refuser toute ingérence étrangère. Il ressort clairement de ces événements que les islamistes ont pris une influence non négligeable sur l’ensemble de l’opposition et de ses structures exécutives.
En d’autres termes, il apparaît sans ambiguïté que, durant ces derniers mois, les médias occidentaux ont été « informés » par les Frères musulmans syriens via l’OSDH et ont, complaisamment ou non, servi leur agenda pour la Syrie.
Conscient de la nécessité de contrer efficacement la propagande de l’opposition, et ce de manière crédible et imparable (c’est-à-dire autrement que par des démentis officiels), le gouvernement syrien a semble-t-il décidé, depuis plus d’une semaine, de laisser à nouveau entrer sur son territoire des observateurs étrangers, et ce dans un contexte de plus en plus tendu : la Ligue arabe a sévèrement critiqué la Syrie, motivée par l’Arabie Saoudite et le Qatar, très impliqué dans le soutien aux mouvements islamistes libyens, tunisiens et syriens ; Israël, silencieuse depuis le début des événements, a accepté de recevoir les représentants du CNS et d’entamer avec eux des négociations ; la Russie, pourtant alliée historique du régime syrien, a fait de même (tout en déployant toutefois sa marine de guerre dans les ports syriens, message très clair à ceux qui envisagent, à Ankara ou ailleurs, une intervention militaire sur le sol syrien) ; enfin, la militarisation de la contestation en Syrie : l’opposition semble avoir décidé de passer à l’offensive et de plus en plus d’attaques ont lieu contre les forces armées gouvernementales syriennes, dont certaines à l’arme lourde, dont aussi des tirs de snipers sur les policiers, des enlèvements et des assassinats, et une « Armée syrienne libre », constituée de « déserteurs », a commencé la lutte contre le gouvernement et demandé au CNS de la recevoir sous son commandement (un doute subsiste cependant quant à la constitution de cette Armée syrienne libre, dont le gros des forces pourrait être en réalité composé d’éléments étrangers ayant revêtu l’uniforme syrien, majoritairement islamistes et armés par le Qatar).
Si certains médias ont commencé de changer leur point de vue sur les événements en Syrie (voir, par exemple, l’article de Christophe Lamfalussy publié par La Libre Belgique ce 19 novembre ou le reportage de la RTBF, encore timide cela dit, diffusé lundi 21, qui confirment à présent les propos des « affabulateurs » de juillet), cette ouverture n’a cependant pas réussi à enrayer la guerre de propagande hostile au régime baathiste, qui n’a pas seulement pour moteur l’organisation des Frères musulmans et les divers courants de l’opposition regroupés dans le CNS.
Déjà très impliqué dans le renversement du gouvernement de Libye, où, suite à un accord bilatéral avec la France, il a armé plusieurs mouvements islamistes, le Qatar utilise désormais son bras médiatique, Al-Jazeera, pour soutenir la contestation en Syrie, comme il l’avait fait en Tunisie, contre Zine Abidine Ben Ali (au Maroc, en revanche, Al-Jazeera avait abandonné à leur sort les manifestants qui dénonçaient la monarchie ; même silence d’Al-Jazeera sur le massacre des protestataires au Bahreïn, qui furent écrasés par les chars, appuyés par des troupes saoudiennes envoyées en renfort).
Ainsi en témoigne ce tout récent exemple d’un média-mensonge « made in Qatar » : ce dimanche 20 novembre, Al-Jazeera (et Al-Arabia : Dubaï – Émirats arabes unis) a diffusé un reportage annonçant l’attaque du siège du parti Baath, à Damas.
Selon Al-Jazeera, deux hommes en moto ont tiré deux roquettes au moins sur le bâtiment, qui s’est embrasé ; et l’attentat a été revendiqué par l’Armée syrienne libre, qui a ciblé ce symbole du pouvoir, dans le centre de Damas, la capitale, jusqu’alors totalement épargnée par ces neuf mois de contestation.
Le régime de Bashar Al-Assad, touché en plein cœur et pour la première fois à Damas, serait-il au bord du gouffre ?
À nouveau, à l’appui de cette « information », concoctée par Al-Jazeera cette fois, la caution de l’Observatoire syrien des Droits de l’Homme, qui a même apporté des précisions : deux roquettes supplémentaires ont encore été tirées, mais ont manqué leur cible…
Comme d’ordinaire, « l’information » a été reprise en chœur par tous les médias mainstreams.
Ce même dimanche au soir, un de mes contacts à Damas m’a téléphoné : « ma famille habite tout près du siège du parti Baath ; le bâtiment est intact ; c’est un mensonge ».
Lundi 21, j’ai demandé à une amie qui habite également Damas de vérifier pour moi l’information et de prendre une photographie du siège du Baath, en présentant à l’avant-plan l’édition du jour d’un journal occidental connu, de telle sorte qu’il ne puisse y avoir le moindre doute quant à la date à laquelle cette photographie a été prise.
Résultat : le bâtiment du siège du parti Baath à Damas est effectivement intact ; aucune roquette n’a frappé ni incendié l’immeuble.
L’Armée syrienne libre, après avoir revendiqué dimanche l’attentat sur sa page Facebook, a supprimé lundi sa revendication.
Entre désinformation organisée par une opposition islamiste, qui a reçu l’appui des monarchies du Golfe et des médias arabes dominants, et l’incompétence politiquement correcte des médias occidentaux, Damas peut toujours rouvrir ses frontières…
par Pierre Piccinin, Historien – Politologue (Bruxelles)
source : http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=27845
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Les bénéfices géopolotiques d'un changement de régime
Conseil ministériel de la Ligue arabe ce jeudi. Au cœur des discussions la situation en Syrie. Quels seraient les impacts géopolitiques dans la région d'un renversement de Bachar el Assad ?
Il est trop tôt pour prédire la chute de la maison Assad. Cependant, le régime syrien, depuis la prise de pouvoir par Hafez el Assad au début des années 1970, est confronté à une violente tempête et à un isolement croissant. Au fil des mois, on a beaucoup glosé sur les inconvénients de la chute d’une dictature, certes détestable, mais au fond bien utile : guerre civile, massacre des minorités soutenant le régime (chrétiens, alaouites…), déstabilisation de la région, voire nouvelle dictature sunnite… Mais, pour être objectif, il faut aussi prendre en compte les avantages géopolitiques d’une chute de Bachar el Assad.
La Syrie peut devenir une démocratie. Elle a connu, au lendemain de la seconde guerre mondiale, une première et fragile démocratisation que l’instabilité, les coups d’Etat militaires et, pour finir, la confiscation du pouvoir par le parti Baas, la minorité alaouite et le clan Assad ont interrompu. L’opposition n’a jusqu’ici envoyé que des signaux positifs, refusant la confrontation ethnique ou religieuse. Il est évident qu’elle dit ce que l’Occident a envie d’entendre. Mais il est peu probable que la majorité des sunnites veuille autre chose qu’une amélioration de son niveau de vie et, partant, un système plus démocratique. L’exemple de l’Irak, où sous Saddam Hussein les haines ethniques étaient encore plus vives (après tout, Hafez el Assad n’a pas gazé une partie de sa population), est encourageant. Après un début de guerre civile en 2004-2005, le pays s’est pacifié. Les élections de 2010, les secondes à se tenir, ont connu une large participation et les partis non confessionnels ont progressé.
Les voisins de la Syrie ont tout à gagner au renversement de la dynastie Assad. La souveraineté et l’indépendance du Liban sont aujourd’hui obérées par le soutien politique et militaire de Damas au Hezbollah. Les services syriens, malgré le retrait de l’armée en 2005, suite aux manifestations qui ont suivi l’assassinant de Rafic Hariri, continuent d’opérer au Liban, assassinant régulièrement des personnalités de l’opposition. Plus généralement, tant que la Syrie interférera, parfois par la violence, dans les affaires libanaises, il sera difficile de combler le fossé qui oppose, au pays du Cèdre, partisans et opposants du grand voisin. Depuis 2003, l’Irak a aussi souffert de l’incapacité, plus ou moins voulue, des Syriens à contrôler leurs frontières et à empêcher le transit de groupes terroristes venant frapper troupes américaines et forces de sécurité irakiennes. Cette peur de la Syrie explique le refus de l’Irak et du Liban de voter récemment la suspension de Damas de la Ligue arabe. Enfin, et surtout, l’Iran, le grand partenaire de Damas, perdrait son seul allié arabe, l’accès au Hezbollah et, par là même, son arme contre Israël.
Même le conflit israélo-arabe pourrait bénéficier d’un nouveau pouvoir à Damas.Certes, Israël peut redouter l’arrivée d’un pouvoir islamiste à Damas. Mais l’Etat hébreux a plus à craindre encore d’un Etat démocratique et stable. Abandonnant les ambitions nucléaires du régime précédent (la Syrie, qui a fait depuis l’objet d’un rapport de l’AIEA, a subi une attaque israélienne sur un site proliférant en 2007), une Syrie nouvelle et pacifique pourrait à nouveau, et avec un autre poids, demander le retour du plateau du Golan, occupé par Israël depuis 1967. Des négociations, en 2008, avaient fait long feu, Damas ne voulant au fond pas abandonner sa posture « nationaliste arabe » anti-israélienne. De même, une Syrie revenant sur son soutien au Hamas (la direction du Hamas a prudemment quitté Damas pour le Qatar au printemps 2011) et soutenant l’Autorité palestinienne renforcerait le camp des Etats arabes modérés mais aussi celui des partisans de la paix en Israël.
source : http://www.atlantico.
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Juppé propose à la communauté internationale de mettre en place des corridors humanitaires en Syrie
PARIS/BRUXELLES (AP) — Le ministre français des Affaires étrangères Alain Juppé a réitéré jeudi son souhait que des "corridors humanitaires" soient mis en place en Syrie, avec le soutien de "la communauté internationale", a-t-il précisé.
"Une délégation du Conseil national syrien" (CNS) qu'il a reçue mercredi lui "a décrit ce qui se passe en Syrie, qui est scandaleux et inacceptable. C'est une répression d'une sauvagerie comme on n'en a pas vue depuis longtemps", a-t-il souligné sur la radio France Inter. "C'est le Conseil national syrien qui m'a dit: il faut que vous proposiez des corridors humanitaires parce qu'il y a aujourd'hui un problème humanitaire."
"A l'issue de cette rencontre, j'ai saisi nos partenaires aux Nations unies, j'en ai parlé avec Hillary Clinton (son homologue américaine, NDLR), nous en parlons aujourd'hui avec la Ligue arabe pour voir comment nous pouvons mettre en oeuvre ces corridors humanitaires", a précisé le chef de la diplomatie française.
A l'image de la Libye, il est possible de mettre en place "des couloirs dans lesquels les organisations humanitaires, la Croix-Rouge par exemple, peuvent faire parvenir des produits médicaux", a-t-il avancé , avec "deux configurations possibles".
"La première, c'est que la communauté internationale, les Nations unies, la Ligue arabe, puissent obtenir du régime qu'il autorise ces corridors humanitaires, et ça s'est fait ailleurs. Si ça n'était pas le cas, il faudrait envisager d'autres solutions", a noté M. Juppé.
Toutefois, a-t-il estimé, "il n'est pas complètement absurde - et moi, je ne veux pas partir battu - que le régime syrien se laisse convaincre et que ces corridors humanitaires, sous une protection non-armée (...) d'observateurs internationaux, puissent pénétrer sur le territoire syrien".
A Bruxelles, l'Union européenne a jugé que la protection des civils était "de plus en plus urgente et un aspect important" de la réaction à la répression exercée par le régime du président Bachar el-Assad, a déclaré Maja Kocijancic, une porte-parole de l'UE. Par contre, elle a écarté l'idée de corridors soutenus par Bruxelles, rappelant que les 27 s'engageraient auprès des représentants de l'opposition syrienne "qui adhèrent aux valeurs démocratiques et de non-violence".
De violents combats se déroulaient entre des soldats et des déserteurs de l'armée près de Rastan, dans la province de Homs (centre). D'après l'Observatoire syrien des Droits de l'Homme et les Comités locaux de Coordination rapportent qu'au moins 15 déserteurs ont été tués ou blessés dans les affrontements.
Les forces de sécurité ont également tué au moins trois autres à Homs et Houla, près de la frontière avec le Liban, selon les deux organisations.
La répression du mouvement anti-gouvernemental syrien a fait près de 4.000 morts depuis le début des troubles à la mi-mars, selon les Nations unies et les militants des droits de l'Homme sur place.
source : http://tempsreel.nouvelobs.
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La Turquie réclame officiellement le départ du président syrien Bachar el-Assad
La Turquie radicalise ses positions à l’égard de Bachar el-Assad alors que la répression en Syrie, qui aurait fait au moins 3 500 morts en neuf mois, a été condamnée mardi 23 novembre 2011 par la commission des droits de l’homme de l’Assemblée générale de l’ONU.
« La Syrie a atteint un point de non retour ». C’est ce qu’a déclaré mercredi 23 novembre 2011 le président turc Abdullah Gül, en visite en Grande-Bretagne. Lors d’un discours à Londres, il a encouragé l'opposition syrienne à organiser l'après-Bachar el-Assad, évoquant ainsi la fin du régime.
Mardi 22 novembre 2011, c'est le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan qui a appelé très clairement le président syrien à quitter le pouvoir. Dans une diatribe très virulente au Parlement turc, il a interpellé celui qui fut pourtant un ami personnel : « Combattre ton propre peuple ne relève pas de l'héroïsme mais de la lâcheté. Si tu veux voir quelqu'un qui combat son peuple jusqu'à la mort, regarde l’Allemagne d’Hitler, Mussolini ou Ceausescu ». Voilà donc Bachar el-Assad comparé aux pires dictateurs de l'Histoire.
Depuis plusieurs semaines, la Turquie a durci sa position envers son voisin. Elle a adopté des sanctions, l'abandon de projets pétroliers en commun, et menacé de couper l'électricité qu'elle fournit à la Syrie. Pourtant, Ankara et Damas entretenaient de très bonnes relations depuis une dizaine d’années.
Des relations syro-turques en dents de scie
Si jusqu’en 1998 les deux pays étaient en mauvais termes, Ankara reprochant à Damas d'abriter sur son sol les indépendantistes kurdes du PKK, tout à changé lorsque la Syrie a accepté d’expulser le leader du mouvement Abdullah Ocalan. Ce dernier, arrêté en 1999, croupit depuis dans une prison turque.
Depuis lors, les relations s'étaient donc considérablement améliorées entre les dirigeants turc et syrien. Erdogan et el-Assad se sont vus régulièrement, nouant des liens d'amitié. Un accord a été passé en 2009 permettant aux citoyens des deux pays de circuler librement des deux côtés de la frontière. Du point de vue économique, les échanges ont aussi explosé.
Mais avec les manifestations d’opposants en Syrie, qui ont débuté en mars dernier, la Turquie s’est retrouvée dans une position délicate, pouvant difficilement rester du côté du régime syrien sans condamner la répression sanglante à l’égard de l’opposition.
La Turquie a donc progressivement pris position contre le régime de Bachar el-Assad, jusqu'à adopter une attitude très radicale ces derniers temps. Mais dès le mois d'avril, Ankara a accueilli sur son sol des réfugiés syriens qui passaient la frontière. Ils seraient aujourd'hui au moins 7 000.
La Turquie abrite aussi des officiers de l'armée syrienne libre, ces déserteurs de l'armée régulière qui mènent des attaques en Syrie contre des cibles symboliques comme les services secrets.
Possible création d’une zone tampon à la frontière syro-turque
Concernant les réfugiés, Ankara réfléchit à présent à la création d'une zone tampon, côté syrien, afin de protéger les civils. La Turquie craint en effet qu'une guerre civile en Syrie provoque un afflux massif de réfugiés sur son sol, comme ce fut le cas en 1991 avec les Kurdes d'Irak. A cette époque, des centaines de milliers d'entre eux, chassés par la répression de Saddam Hussein s'étaient massés à la frontière turque. Il y avait eu des dizaines de morts de maladie et de blessures.
La création éventuelle d’une zone tampon, voire une zone d'exclusion aérienne pour protéger la population syrienne est régulièrement évoquée par les Turcs. Pour autant, Ankara affirme qu'il n'est pas question de s’engager dans une intervention militaire contre la Syrie. Le président Abdullah Gül l'a répété mardi à la presse britannique.
En France, l’hebdomadaire satirique Le Canard enchaîné, daté du 23 novembre, affirme qu'une intervention « limitée » de l'Otan se prépare en Syrie. « Au nord du Liban et en Turquie, où se réfugient nombre de déserteurs syriens, des officiers de la DGSE et britanniques du MI6 ont pour mission de constituer les premiers contingents de l’armée syrienne libre encore embryonnaire », affirme Le Canard enchaîné.
L’information a été démentie par le ministre français des Affaires étrangères, lors d’une conférence de presse. « L’option militaire n’est pas à l’ordre du jour, je ne l’ai évoquée avec personne, contrairement à certaines rumeurs persistantes », a déclaré Alain Juppé.
par Murielle Paradon _ rfi.fr