L'Égypte doit libérer un blogueur condamné par un tribunal militaire
Le bloguer Maikel Nabil Sanad « État civil et non théocratique », par par War Resisters
Initialement condamné à trois ans de prison, Maikel Nabil Sanad, qui est un prisonnier d'opinion, a vu la durée de sa peine ramenée à deux ans mercredi 14 décembre après avoir été rejugé par un tribunal militaire.
Le blogueur a été placé en détention en avril pour avoir critiqué sur sa page Facebook les autorités militaires arrivées au pouvoir après la chute du président Moubarak et pour avoir « répandu des mensonges et des rumeurs sur les forces armées » sur son blog.
« Maikel Nabil Sanad doit être libéré immédiatement et sans condition. Cet homme est un prisonnier d’opinion et n’aurait pour commencer jamais dû être poursuivi. »
Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.
Maikel Nabil Sanad a entamé une grève de la faim en août – il n’ingère plus que des liquides – afin de protester contre son incarcération et son procès devant un tribunal militaire. Récemment, des responsables militaires lui auraient demandé de présenter des excuses au Conseil suprême des forces armées pour ses écrits, mais il a refusé.
Amnesty International s’oppose à ce que des civils soient jugés par des tribunaux militaires et estime ces procès iniques car ils portent atteinte au droit de l’accusé de bénéficier d’un procès devant un tribunal indépendant et impartial.
« Mon fils a été condamné parce qu’il a dit la vérité sur ce qui s'est passé sur la place Tahrir [lors du soulèvement de 2011] », a déclaré son père, Ibrahim Sanad, à Amnesty International.
Le peuple égyptien subit injustices et inégalités à cause des forces armées, qui annoncent certaines choses et en font d’autres totalement différentes.
Maikel Nabil Sanad reste déterminé à protester contre son emprisonnement et a dit à son frère Mark, peu après l’annonce du jugement : « Je n’ai pas plus de valeur que ceux qui sont morts ou ont perdu la vue. »
En plus de sa condamnation à deux ans de prison mercredi 14 décembre, Maikel Nabil Sanad a été sanctionné d’une amende de 200 livres égyptiennes (environ 25 euros) et s’est vu réclamer 300 livres égyptiennes (soit 38 euros) de frais de justice pour un avocat que le tribunal militaire avait désigné pour le défendre. En signe de protestation contre son procès devant un tribunal militaire, il avait refusé toute assistance juridique.
Le recours à la justice militaire contre ceux qui expriment leurs opinions de manière pacifique, qui vise à sanctionner ces personnes en les jetant derrière les barreaux, montre que les choses ont peu changé depuis le départ du président Moubarak.
source amnesty
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DOCUMENT - ÉGYPTE. DES PROMESSES TRAHIES. LES AUTORITÉS MILITAIRES ÉGYPTIENNES PORTENT ATTEINTE AUX DROITS HUMAINS. RÉSUMÉ ET RECOMMANDATIONS
« Le Conseil suprême des forces armées est conscient que la liberté, la souveraineté de la loi, le renforcement d u principe d’égalité, la démocratie pluraliste, la justice sociale et l’éradication de la corruption représentent les piliers de la légi timité de tout pouvoir amené à gérer le pays au cours de la période à venir. »
Communiqué constitutionnel du Conseil suprême des forces armées, 13 février 2011
Les premières élections législatives organisées en Égypte depuis la « révolution du 25 janvier » sont assombries par les atteintes aux droits humains perpétrées par les autorités militaires . Le Conseil suprême des forces armées (CSFA), qui a pris le pouvoir après le renversement du président Hosni Moubarak le 11 février, a affirmé qu’il superviserait « la transition pacifique du pouvoir dans le cadre d’un régime démocratique libre ». Toutefois, durant la période précédant les élections de novembre à l’Assemblée du peuple (Parlement), le CSFA a restreint de manière arbitraire les droits humains, notamment les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion, qui sont essentiels pour garantir un débat libre sur les questions politiques et sociales. Toute critique à l’égard des autorités ou du rythme des réformes est impitoyablement réprimée. Des milliers de civils ont été placés en détention par des tribunaux militaires. Des personnes qui critiquaient l’armée ont été citées à comparaître par des procureurs militaires qui les ont interrogées et ont ordonné leur placement en détention. Les militaires ont fait une utilisation injustifiée ou excessive de la force pour disperser des manifestations. L’euphorie qui a accompagné le soulèvement a laissé place à la peur de voir l’ancien régime répressif simplement remplacé par un autre.
Après 18 jours de manifestations populaires de masse, la nouvelle très attendue de la démission du président Moubarak a été annoncée le 11 février par le vice-président Omar Suleiman et acclamée par des millions d’Égyptiens, y compris les centaines de milliers de personnes qui manifestaient au Caire sur la place Tahrir, devenue le symbole de la « révolution du 25 janvier » dans le monde entier. Il a été annoncé en même temps que le président Moubarak avait remis le pouvoir au CSFA dirigé par l’ancien ministre de la Défense, le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui. L’allégresse de ces moments et la décision des forces armées de ne pas tirer sur les manifestants pendant le soulèvement ont fait oublier que le pays était dirigé par un régime militaire par défaut, ce qui est toujours le cas près d’un an plus tard bien que le CSFA ait promis de transmettre le pouvoir à un gouvernement civil élu.
Deux jours après la démission du président Moubarak, le CSFA a publié un communiqué constitutionnel, dissous le Parlement et suspendu la Constitution de 1971. Un mois plus tard, il a modifié la législation en vue d’autoriser les partis politiques – parmi lesquels les Frères musulmans et d’autres organisations politiques jusque-là interdites – à se faire enregistrer légalement et à participer aux élections prévues pour la fin de l’année. Au cours du même mois, le CSFA a publié une déclaration constitutionnelle garantissant un certain nombre de droits, comme les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion, à l’intégrité physique et mentale, à certaines garanties d’équité des procès et le droit de ne pas être victime de discrimination.
Dans ses premières déclarations, le CSFA s’est engagé à ce que « les forces armées remplissent leur rôle principal en protégeant les manifestants quelles que soient leurs opinions à titre d’engagement envers ce qu’ils [avaie]nt déclenché durant la période précédente [celle de la « révolution du 25 janvier »] ». Ces assurances, devenues un leitmotiv dans de nombreuses déclarations du CSFA, se sont révélées n’être que des promesses vides de sens. Dans d’autres déclarations, le CSFA a mis en garde contre tout trouble à l’ordre public ou toute tentative de créer une dissidence ou encore de perturber le fonctionnement des institutions égyptiennes, en soulignant que la stabilité était nécessaire pour permettre la transition vers la démocratie. Il a appelé à maintes reprises au retour à la normalité.
Toutefois, les autorités ont commis de nombreuses violations des droits humains au nom de la sécurité et de la stabilité, sans tenir compte des revendications en matière de justice sociale et de libertés fondamentales qui avaient déclenché le soulèvement. Dix mois se sont depuis écoulés et le CSFA répond de moins en moins aux revendications relatives aux droits humains exprimées par des millions d'Égyptiens durant la « révolution du 25 janvier », et il s'éloigne des promesses qui y avaient fait suite. Depuis le mois de février, le CSFA a promulgué un certain nombre de lois préjudiciables à la protection des droits humains. Certaines visaient à apaiser le sentiment d’insécurité qui s’est répandu en Égypte en aggravant les peines pour des crimes tels que les « actes de violence ». D’autres semblaient avoir pour but de décourager les critiques à l’égard des autorités et les protestations. L'approbation récente de la Loi relative à l’état d’urgence dans son intégralité et son extension – après qu'elle eut été restreinte l'an dernier sous le régime de Hosni Moubarak aux actes de terrorisme et au trafic de drogue – sont considérées comme la plus forte érosion des droits depuis le soulèvement de janvier.
Le CSFA s’était engagé à respecter et à promouvoir la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, mais de nombreuses manifestations ont été violemment dispersées, les forces armées faisant une utilisation excessive de la force meurtrière tandis que la police antiémeute recommençait à utiliser de manière inconsidérée des balles en caoutchouc, des fusils et du gaz lacrymogène. Des manifestants ont été arrêtés, détenus au secret et torturés avant d’être jugés et condamnés par des tribunaux militaires appliquant une procédure inéquitable. Quelque 12 000 civils ont comparu devant des tribunaux militaires depuis le mois de janvier. En octobre, le CSFA a annoncé que les civils ne seraient plus déférés à des tribunaux militaires hormis en cas d’attaque contre les forces armées ; aucun délai n’a toutefois été fixé et aucune initiative dans ce sens n’avait été prise au moment de la rédaction du présent document.
Tout en affirmant du bout des lèvres respecter la liberté d’expression, le CSFA a imposé des restrictions arbitraires aux médias, entre autres. Toute critique visant les autorités est réprimée ; des journalistes et des blogueurs, entre autres, ont été traduits en justice pour avoir dénoncé la politique du CSFA et la lenteur des réformes. Des journaux ont vu certains de leurs numéros saisis. Des chaînes de télévision, dont Al Jazira Égypte, ont fait l’objet de descentes de police et ont reçu l’ordre de fermer ; les licences de chaînes de télévision par satellite ont été gelées. En octobre, des journaux ont protesté contre la censure grandissante imposée par l’armée en paraissant avec des colonnes vides.
La liberté d’expression n’a pas été épargnée par les menaces de restrictions supplémentaires. Des organisations non gouvernementales (ONG) égyptiennes qui étaient déjà soumises à une loi très restrictive ont été menacées de poursuites pour avoir reçu des fonds de l’étranger sans autorisation. Une enquête pour « trahison » a été ouverte après qu’un rapport du ministère de la Justice eut affirmé avoir identifié plus de 30 ONG ayant reçu des fonds de l’étranger et n’étant pas enregistrées auprès du ministère de la Solidarité et de la Justice sociale ainsi que l’exige la Loi relative aux associations (Loi n° 84 de 2002). L’enquête se poursuivait au moment de la rédaction du présent document. De nombreuses ONG ont exprimé leur préoccupation face à ce qui semblait être une tentative du gouvernement de les intimider et d’entraver leur surveillance de ses activités ainsi que leur dénonciation des cas de violations des droits humains.
Les avancées constatées dans le domaine des droits des travailleurs ont été mises à mal par la criminalisation des grèves par le CSFA et l’utilisation possible de la Loi relative à l’état d’urgence dans les conflits du travail. Les autorités ne se sont pas opposées en pratique à la création de syndicats indépendants de la Fédération des syndicats égyptiens (ETUF). Certains syndicats se sont réunis pour créer la Fédération indépendante des syndicats égyptiens. Les autorités ont ordonné en août la dissolution du conseil d’administration de l’ETUF – connue pour les liens étroits qu’elle entretenait avec le Parti national démocrate (PND), qui était dirigé par le président Moubarak et qui a été dissous – en attendant l’élection d’un nouveau conseil d’administration ; cette décision a été prise en application partielle de décisions de justice qui avaient annulé les élections de l’ETUF pour la période allant de 2006 à 2011. Elles ont promis de promulguer une nouvelle loi qui servirait au mieux les intérêts des travailleurs et remplacerait la loi existante qui régit les syndicats (Loi n° 35 de 1976). Toutefois, au nom de la sécurité et de la nécessité d’améliorer la situation économique, le CSFA a introduit une nouvelle loi (Loi n° 34 de 2011) qui érige en infractions pénales les grèves et toutes les autres formes de protestation considérées comme une entrave au travail, et qui prévoit des peines d’emprisonnement assorties d’amendes élevées pour les contrevenants. De plus, les autorités ont promulgué de nouveau la très redoutée Loi relative à l’état d’urgence (Loi n° 62 de 1958) dont elles ont élargi le champ d’application pour y ajouter des infractions telles que les « atteintes à la liberté de travailler », réprimant ainsi plus sévèrement encore le droit de grève . La Loi relative à l’état d’urgence peut également s’appliquer en cas de blocage des routes, de diffusion de fausses rumeurs, et de détention et trafic d’armes. Amnesty International craint que ces changements ne représentent une grave menace pour le droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion et pour le droit de grève à la veille des premières élections vraiment pluripartites organisées depuis la chute du régime de Hosni Moubarak.
Le CSFA n’a pas abordé la question de la discrimination envers les femmes, bien établie dans la législation et en pratique, et il n’a rien fait pour promouvoir le droit à la liberté de religion pour les coptes et les autres minorités religieuses. Les autorités n’ont pris aucune initiative pour promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes, encourager la participation politique des femmes ou défendre leur accès égal à la haute fonction publique. Les quotas imposés sous le régime de Hosni Moubarak qui prévoyaient des sièges réservés pour les femmes au Parlement ont été supprimés et remplacés par la simple obligation pour les partis politiques d’avoir au moins une femme inscrite sur leurs listes électorales. Il est hautement symbolique qu’après la démission du président Moubarak aucune femme n’ait été nommée dans la commission chargée d’amender l’article 8 de la Constitution égyptienne. Le CSFA n’a pas protégé les coptes contre les attaques dirigées contre eux ni engagé de poursuites judiciaires contre les responsables de tels agissements. Les forces armées ont participé à des expulsions forcées d’habitants de bidonvilles. Alors que l’attention était concentrée sur la place Tahrir au Caire, des atteintes aux droits humains continuaient d’être commises sans répit aux frontières du pays. Des réfugiés et des demandeurs d’asile étaient toujours la cible de tirs à la frontière avec Israël ou étaient arrêtés et renvoyés de force dans leur pays d’origine, où ils risquaient pourtant d’être torturés ou victimes d’autres atteintes à leurs droits fondamentaux.
Alors qu’il exerce le pouvoir depuis près d’un an, le CSFA n’a toujours pas répondu aux principales revendications des Égyptiens. L'état d'urgence reste en vigueur ; les proches des personnes tuées de manière illégale par les forces de sécurité pendant la « révolution du 25 janvier » attendent toujours que justice soit rendue et ils n’ont pas été indemnisés ; la torture et les procès inéquitables restent monnaie courante ; la discrimination à l’égard des femmes et des minorités religieuses persiste et la liberté d’expression, d’association et de réunion est toujours mise à mal. Des réfugiés et des demandeurs d’asile continuent d’être tués à la frontière avec Israël ou d’être arrêtés et renvoyés de force dans des pays où ils risquent d’être victimes d’atteintes graves à leurs droits fondamentaux. Des millions d’habitants de bidonvilles continuent d’être privés de services essentiels et ils n’arrivent toujours pas à faire entendre leur voix.
Le conseil suprème des forces armées
Lorsque le président Hosni Moubarak a démissionné le 11 février 2011 et qu’il a été annoncé que le CSFA accédait au pouvoir, la plupart des Égyptiens savaient très peu de choses à propos de cette instance qui allait diriger le pays.
Le CSFA, qui comprend 20 membres, est présidé par le maréchal Mohamed Tantaoui, ancien ministre de la Défense et de la Production militaire. Aux termes de l’article 56 de la Déclaration constitutionnelle du CSFA, le Conseil gère les affaires du pays et a le pouvoir de :
1) Légiférer 2) Adopter la politique générale et le budget de l’État et surveiller leur mise en œuvre 3) Nommer les membres de l’Assemblée du peuple qui sont normalement désignés par le président de la République 4) Convoquer le Parlement en session ordinaire, l’ajourner ou tenir une session extraordinaire et l’ajourner 5) Promulguer des lois ou y opposer son veto 6) Représenter l’État à l’intérieur et à l’extérieur du pays, signer des traités et conventions internationaux, et être considéré comme faisant partie du système juridique du pays 7) Nommer le Premier ministre et ses adjoints, les ministres et leurs adjoints et les limoger 8) Nommer les fonctionnaires civils, les militaires et les représentants politiques et les révoquer conformément à la loi, accréditer les représentants politiques étrangers 9) Accorder la grâce ou une réduction de peine, cependant l’amnistie générale ne peut être accordée que par la loi 10) Exercer les autres pouvoirs et responsabilités déterminés par le président de la République conformément aux lois et règlements. Le CSFA a le pouvoir de déléguer ses responsabilités à son président ou à un autre de ses membres.
Aux termes de la Déclaration constitutionnelle, le CSFA a plus de prérogatives que le président de la République qui sera élu, lequel disposera de tous les pouvoirs précités hormis ceux visés aux articles 1 et 2.
Actuellement, les membres du CSFA sont : le général de corps d’armée Sami Annan, chef d’état-major des forces armées ; l’amiral Mohab Memish, commandant de la marine ; le général de corps d'armée aérienne Reda Mahmoud Hafez, commandant de l’aviation ; le général Abdel Aziz Seif el Din, commandant des forces de défense aérienne ; le général Hassan al Rwini, commandant de la zone militaire centrale ; le général Ismail Etman, directeur du département des affaires morales ; le général Mohsen al Fangary, vice-ministre de la Défense ; le général Mohammed Abdel Nabi, commandant du corps des gardes-frontières ; le général Mohammed Hegazy, commandant du deuxième corps d’armée ; le général Sobhy Sedky, commandant du troisième corps d’armée ; les commandants des zones nord, sud et ouest, et le général de division Abdel Fattah al Sisi, chef des services de renseignement militaire.
MENACES SUR LA LIBERTÉ D’EXPRESSION
RECOMMANDATIONS
Amnesty International invite les autorités égyptiennes, notamment le CSFA, à :
- mettre un terme à la pratique consistant à déférer des suspects civils devant des procureurs militaires aux fins d’enquête ;
- faire respecter le droit à la liberté d’expression, notamment en protégeant la liberté de rechercher, de recevoir et de diffuser des informations et des idées de toute sorte, sans considération de frontière et par quelque moyen d'expression que ce soit ; et en s’abstenant de restreindre indûment l’accès à Internet et les services de télécommunication mobile ;
- abroger ou modifier, dans l’optique d’une mise en conformité avec le droit international, les dispositions du Code pénal qui bafouent la liberté d'expression, en particulier les articles 80(d), 98 bis(b), 98(f), 102, 102 bis, 171, 178, 179, 181, 188, 201 et 308, car ils prévoient des peines d’emprisonnement contre les journalistes, entre autres, pour des infractions à la définition vague telles que l’atteinte à l’« intérêt national » ou à la « paix sociale » ;
- remettre en liberté immédiatement et sans condition tous les prisonniers d’opinion, c’est-à-dire les personnes qui ont été emprisonnées alors qu’elles n’ont fait qu’exercer pacifiquement leur droit à la liberté d’expression ou d’autres droits humains.
La société civile sous la pression
RECOMMANDATIONS
Amnesty International invite les autorités égyptiennes, notamment le CSFA, à :
protéger le droit à la liberté d’association ;
- réviser la Loi n° 84 de 2002 (relative aux associations) afin qu’elle permette aux ONG de fonctionner sans avoir à se heurter à des obstacles tels que l’autorisation préalable, le contrôle des financements et la dissolution administrative ;
- mettre un terme aux enquêtes menées par le procureur de la sûreté de l'État, entre autres organes, sur les activités légitimes des ONG.
DISPERSION DES MANIFESTATIONS ET INTERDICTION DES GRÈves
RECOMMANDATIONS
Amnesty International invite les autorités égyptiennes, notamment le CSFA, à :
- faire en sorte que les manifestants non violents ne fassent pas l’objet d’arrestations et de détentions arbitraires, et ne soient pas soumis à la torture ou à d'autres formes de mauvais traitements ;
- veiller à ce que toutes les forces de sécurité, notamment l’armée, ne recourent pas à une force excessive quand elles assurent le maintien de l’ordre lors de manifestations, et à ce qu’elles respectent pleinement le Code de conduite des Nations unies pour les responsables de l'application des lois et les Principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois ;
- ouvrir des enquêtes indépendantes sur tous les cas où les forces de sécurité auraient recouru à une force excessive. Les éléments de preuve attestant de violations des droits humains, notamment d’homicides illégaux, ne doivent pas être altérés ni détruits. Les enquêtes portant sur des homicides doivent suivre les méthodes décrites dans les Principes des Nations unies relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions. Faire en sorte que les rapports d’enquête soient rendus publics, et que les personnes présumées responsables d’atteintes aux droits humains soient traduites en justice dans le cadre de procédures équitables et sans recours à la peine de mort ;
- publier et diffuser sous un format qui soit accessible au public les règles et réglementations relatives au recours à la force par l’ensemble des forces de sécurité, y compris par l’armée ;
- abroger la Loi n° 34 de 2011 sur la grève, les articles 124 et 124 bis du Code pénal et l’article 192 du Code du travail, ou les modifier afin de les mettre en conformité avec les normes internationales, notamment avec les
Principes de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur le droit de grève.
Rien n’a changé : Arrestations, détention et torture
RECOMMANDATIONS
Amnesty International invite les autorités égyptiennes, notamment le CSFA, à :
- condamner publiquement la torture et les autres formes de mauvais traitements, notamment en signifiant aux forces de sécurité que ces pratiques ne seront tolérées en aucune circonstance ;
- signifier à toutes les forces de sécurité que les « tests de virginité » et les autres formes d’agression sexuelle sont interdits ;
- veiller à ce que tous les lieux de détention soient recensés dans une liste rendue publique et placés sous la surveillance des autorités judiciaires, y compris les lieux de détention de l’armée et du Service de renseignement de la sûreté de l'État. À cet effet, abroger l’article 1 bis de la Loi n° 396 de 1956 (sur la réglementation carcérale), qui prévoit que des personnes peuvent être incarcérées dans les lieux de détention cités dans cette loi et dans d’autres lieux spécifiés par décret du ministre de l’Intérieur. En pratique, cela signifie que des détenus ont pu être placés dans des centres de détention du Service de renseignement de la sûreté de l'État et dans des camps militaires, lieux que ni le parquet ni aucune autre autorité judiciaire ne sont habilités à inspecter, conformément à l’article 42 du Code de procédure pénale et à l’article 85 de la Loi sur la réglementation carcérale ;
- établir un mécanisme rendant obligatoire les visites indépendantes, libres et inopinées de tous les lieux de détention (au cours desquelles auront lieu des entretiens confidentiels avec des détenus choisis par l’organe chargé des visites), y compris de toute installation de l’armée ou de la sécurité nationale ;
- mettre dans le droit égyptien la définition du crime de torture en conformité avec celle de l’article 1(1) de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En particulier, interdire de manière explicite tous les types de traitements ou châtiments cruels, inhumains ou dégradants, et faire clairement savoir que cette interdiction est absolue et ne doit être suspendue en aucune circonstance, y compris en temps de guerre ou dans toute autre situation d’urgence publique ;
- veiller à ce que toutes les allégations de torture ou d’autres formes de mauvais traitements, y compris les « tests de virginité », fassent sans délai l'objet d'enquêtes approfondies et impartiales, à ce que les fonctionnaires présumés responsables de tels agissements soient déférés à la justice et à ce que les victimes reçoivent réparation. Aucun élément de preuve extorqué sous la torture ou au moyen de tout autre type de mauvais traitement ne doit être utilisé dans le cadre de procès ;
- prendre toutes les sanctions pénales ou administratives qui s’imposent contre les fonctionnaires qui ne respectent pas les garanties de protection contre les violations des droits humains.
La justice militaire pour les civils
RECOMMANDATIONS
Amnesty International appelle le CSFA à :
- mettre un terme à la pratique consistant à déférer des civils devant des tribunaux militaires ;
- remettre en liberté immédiatement et sans condition toute personne qui a été placée en détention alors qu’elle n’a fait qu’exercer pacifiquement son droit à la liberté d’expression et de réunion ;
- renvoyer toutes les affaires en cours devant des tribunaux ordinaires, dans le cadre de procédures qui soient conformes aux normes internationales relatives à l’équité des procès et sans recours à la peine de mort, ou à défaut libérer les accusés ; ordonner que tous les civils déjà condamnés par un tribunal militaire soient rejugés par des juridictions civiles dans le cadre d’une procédure équitable, ou à défaut les remettre en liberté.
Élargissement du champ d’application de la peine de mort
RECOMMANDATIONS
Dans l’attente de l’abolition de la peine de mort, Amnesty International demande aux autorités égyptiennes :
- d’imposer immédiatement un moratoire sur toutes les exécutions ;
- de commuer toutes les condamnations à mort ;
- de réviser le Code pénal afin de réduire le nombre d’infractions passibles de la peine capitale, dans le but de progresser vers l’abolition de ce châtiment.
La discrimination s’aggrave
RECOMMANDATIONS
Amnesty International invite les autorités égyptiennes, notamment le CSFA, à :
- réviser, modifier ou abolir toutes les lois qui introduisent des discriminations fondées sur la race, la couleur de peau, la religion, l’appartenance ethnique, la naissance, le genre, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la propriété foncière ou tout autre statut ;
- veiller à ce que les femmes puissent voter, participer à toutes les élections et référendums et faire acte de candidature à égalité avec les hommes, et à ce que les obstacles à leur participation à la vie publique soient éliminés ;
- modifier toutes les lois et pratiques introduisant une discrimination à l’égard de minorités religieuses ou ethniques, afin qu’elles respectent l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui garantit la liberté de pensée, de conscience et de religion. Les textes concernés comprennent l’article 98(f) du Code pénal, qui érige en infraction l’exploitation de la religion dans le but de « troubler la paix nationale » et le décret présidentiel 291/2005, qui subordonne la réparation ou l’agrandissement des églises chrétiennes à l’obtention d’un permis auprès du gouverneur régional.
Des espoirs décçus pour les réfugiés, demandeurs d'asile et migrants
RECOMMANDATIONS
Amnesty International invite les autorités égyptiennes, notamment le CSFA, à :
- veiller à ce que les gardes-frontières et les autres responsables de l’application des lois soient informés qu’ils ne peuvent utiliser la force, y compris meurtrière, que dans le strict respect des restrictions imposées par les normes internationales relatives aux droits humains, et à ce qu’ils ne soient pas déployés dans des situations où ils auront peut-être à recourir à la force sans avoir reçu une formation idoine sur ces normes ;
- respecter les obligations de l’Égypte au regard du droit international – notamment entre autres, de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants – de ne pas renvoyer de force des personnes dans des pays où elles risquent d’être victimes de violations graves de leurs droits fondamentaux ;
- veiller à ce que tous les demandeurs d'asile puissent contacter immédiatement le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en Égypte pour faire examiner leurs requêtes, et à ce que tous les réfugiés et demandeurs d'asile incarcérés soient autorisés sans délai à lancer une procédure leur permettant de contester la légalité de leur détention ainsi que leur renvoi dans leur pays lorsqu’ils sont exposés à ce risque ;
- mettre un terme à la détention des réfugiés et demandeurs d’asile incarcérés uniquement en raison de leur statut en matière d'immigration ;
- prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la remise en liberté des victimes de la traite dans des conditions garantissant leur sécurité ;
- veiller à ce que toutes les personnes qui ont été victimes de la traite d’êtres humains reçoivent une assistance médicale, psychologique, juridique, entre autres formes d’aide et de protection ;
- ordonner une enquête et, quand des éléments de preuve suffisants sont recueillis, engager des poursuites contre les responsables présumés de la traite d’êtres humains et juger ces derniers selon une procédure équitable.
EXPULSIONS FORCÉES D’HABITANTS DES BIDONVILLES DEPUIS L’ARRIVÉE AU POUVOIR DU CSFA
RECOMMANDATIONS
Amnesty International invite les autorités égyptiennes, notamment le CSFA et les autorités locales, à :
- mettre immédiatement fin à toutes les expulsions forcées et à les interdire formellement ;
- faire en sorte qu'il ne soit procédé à aucune expulsion forcée, y compris de terrains appartenant à l'État, jusqu’à ce que les mesures de protection en matière de procédure exigées par le droit international relatif aux droits humains soient intégrées dans la législation nationale et appliquées ;
- élaborer un plan global, conforme aux obligations de l’Égypte au titre des dispositions du droit international relatif aux droits humains, afin de lutter contre les conditions de logement inadaptées constituant un risque pour la vie ou la santé des personnes vivant dans les bidonvilles ;
- rendre publics les projets relevant du plan d'urbanisme pour Le Caire à l'horizon 2050, et s'assurer de la participation active des populations concernées et de la mise en place avec elles d’un véritable processus de consultation lors de la conception et de la mise en œuvre de ce projet.
NOTES
Les élections à la chambre basse, l’Assemblée du peuple, débutent le 28 novembre et celles à la chambre haute, le Conseil consultatif, le 29 janvier.
CSFA, 12 février 2011.
CSFA, Déclaration n° 1 du 18 février 2011. Cette déclaration a été la première publiée sur la page Facebook du CSFA.
Le 14 mars, une nouvelle loi (Loi n° 10 de 2011) modifiant le Code pénal a été introduite pour réprimer certains crimes, comme les actes d’intimidation et ceux visant à terroriser ainsi que les « actes de violence ». La loi a doublé les peines qui étaient déjà prévues par le Code pénal. Aux termes de cette nouvelle loi, la peine de mort peut être prononcée si des « actes de violence » entraînent la mort de la victime.
Décret n° 193 de 2011 modifiant le décret n° 126 de 2010, lequel avait modifié certaines dispositions de la Loi relative à l’état d’urgence.
source amnesty.
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Un blogueur en prison entame son 114e jour de grève de la faim
La sentence des tribunaux militaires est sans appel, le blogueur Maikel Nabil écope finalement d’une peine de deux ans de prison, rapporte le quotidien égyptien Masry al-Yioum. Accusé d’avoir insulté l’armée, le jeune homme avait été arrêté en mars dernier au Caire et condamné par un tribunal militaire initialement à trois ans de prison. Le blogueur venait de publier un article critique à l'égard de l'armée égyptienne, «L’armée et le peuple n’ont jamais été une seule main». Dans ce long post, Maikel dénonce les actes de tortures pratiquées par l’armée. Selon lui, la démission d’Hosni Moubarak n’a rien changé car l’armée faisait déjà partie de l’ordre ancien combattu pendant les 18 jours qui ont conduit Hosni Moubarak à quitter le pouvoir. Maikel démontre que l'armée n’a jamais été du côté du peuple et que la conduite de l'armée a été trompeuse. L’armée a toujours cherché à préserver ses intérêts, selon le jeune blogueur.
Le 23 août dernier, quelques mois après son arrestationMaikel Nabil entame une grève de la faim. Il réalise le 15 décembre son 114e jour de grève.
A l’âge de 26 ans, Nabil Maikel refuse de se plier à l’ordre militaire et sa détention ne change en rien sa détermination à critiquer le pouvoir en place. Selon le quotidien égyptien, Maikel aurait refusé d’écrire un éloge de Mohammed Hussein Tantaoui, le chef du conseil suprême des forces armées, en échange de sa libération.
Depuis plusieurs mois, la condamnation de Maikel Nabil suscite de nombreuses campagnes de soutien internationales. Amnesty International avait appelé les autorités à le libérer sans délai. «Le procès de Maikel Nabil a été marqué par les vices de procédure et les retards indus ; avec cette nouvelle procédure, la cour d’appel le ramène à la case départ et joue avec sa vie de manière cruelle», avait déploré Amnesty International. Une page Facebook et Twitter sont également dédiées au jeune blogueur et nombre d’Egyptiens continuent à poster des messages de soutien.
«Il est profondément inquiétant que le traitement par l'Egypte des dissidents ne semble avoir que peu changé par rapport à la période du président (Hosni) Moubarak», avait ajouté en septembre dernier Amnesty International.
source slateafrique.