Face aux attaques incessantes des salafistes, déterminés à éradiquer, par la force si nécessaire, tout ce qui n’est pas conforme à leur vision de l’islam, les Tunisiens menacés sont de plus en plus nombreux à se poser la question : faut-il avoir recours à des agences privées de sécurité ? Certains parmi les plus fortunés ont déjà franchi le pas.
Les violences commises par des salafistes ne connaissent pas de répit en Tunisie. Dernier incident en date : le saccage de l’hôtel Horchani à Sidi Bouzid par une cinquantaine de salafistes. Cet établissement représentait tout simplement le dernier débit de boissons alcoolisées encore ouvert dans la ville, berceau de la révolution l’an passée. Les salafistes, qui ambitionnent d’entraîner la fermeture de tous les points de vente d’alcool, sont donc bien partis pour atteindre leur objectif, du moins dans cette ville phare de la révolution tunisienne.
Jamil Horchani, le propriétaire de l’hôtel du même nom, avait déjà été menacé à maintes reprises par les islamistes radicaux mais il avait fait le choix de maintenir l’ouverture de son débit de boisson, assurant avoir obtenu des gages des autorités locales en termes de sécurité. Pour autant, la police est arrivée trop tard sur les lieux et n’a pu que constater les dégâts.
Voyous à postiches ?
Bien que les motivations des vandales ne soient pas encore déterminées précisément - le quotidien tunisien La Presse évoque la possibilité que l’attaque soit le fait de voyous, dont certains auraient porté des barbes postiches afin de se faire passer pour des salafistes -, le phénomène des violences religieuses est bel est bien une réalité au sein de la société tunisienne.
Malgré tout, le propriétaire de l’hôtel persiste et signe. Il ne fermera pas son établissement. Mais devant l’inertie des forces de l’ordre, il envisage désormais de recourir à une mesure radicale : « Comme la police n’est plus capable de faire la sécurité, j’envisage de payer une société de sécurité privée, comme en Irak », a-t-il confié à France 24.
Passivité des forces de l'ordre
Le cas de l’hôtelier est loin d’être isolé. Comme lui, un nombre croissant de Tunisiens, désemparés par la passivité des forces de l’ordre et du gouvernement tunisiens, envisageraient de faire appel à des milices privées, spécialement pour se protéger des violences commises par les salafistes. Certains, comme Lotfi Abdelli, qui a reçu des menaces émanant des islamistes radicaux, ont déjà franchi le pas. L’humoriste, boudé par les forces de l’ordre, parce qu’il les critique dans son spectacle intitulé « 100% hallal », s’est attaché les services d’une agence de sécurité privée afin d’assurer sa propre sécurité et celle de son public lors de ses spectacles. D’autres Tunisiens, connus ou moins connus, pourraient suivre bientôt son exemple.
Ainsi en va-t-il du jeune mouvement Nida Tounes de Béji Caid Essebsi, qui, comme le rapporte le site d’information Mag 14, envisage de recourir à des agents de sécurité pour ses meetings. Trois de ses militantes ont été agressées le 30 août à l’occasion d’un rassemblement à Sfax des femmes du parti, la police n’ayant pas été assez prompte à réagir… Jeuneafrique
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Human Rights Watch demande l’abandon des poursuites contre les artistes
Dans communiqué rendu public le 3 septembre 2012, Human Rights Watch demande au procureur de la République d'abandonner les poursuites entamées contre les artistes dont les œuvres d'art, exposées dans le cadre du Printemps des arts au Palais Al Abdelia en juin dernier, ont été jugées «dangereuses pour l'ordre public et les bonnes mœurs».
«Les poursuites pénales contre des artistes pour des œuvres d'art qui n'incitent ni à la violence ni à la discrimination violent le droit à la liberté d'expression» a déclaré Human Rights Watch dans son communiqué. «À maintes reprises, les procureurs se sont servis de la législation pénale pour étouffer l'expression critique ou artistique», a déclaré Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.
«L'exposition se tenait du 1er au 10 juin dans un palais Abdelliya, à La Marsa. Le 10 juin vers 18 heures, trois personnes, dont un huissier de justice, demandèrent à un des directeurs de la galerie d'enlever deux peintures qu'elles jugeaient insultantes envers l'islam. Plusieurs prêcheurs, dans des mosquées de tout le pays, condamnèrent l'exposition artistique, certains appelant ouvertement leurs fidèles à mettre les artistes à mort en tant qu'apostats.» rappelle l'organisation. Des émeutes ont alors éclaté dans plusieurs endroits du pays.
Jelassi a déclaré à Human Rights Watch qu'elle avait reçu un coup de téléphone de la police judiciaire quelques jours après les incidents, l'informant qu'une enquête avait été ouverte sur les événements d'Al Abdelliya. Le 17 août, elle s'est rendue au tribunal de première instance de Tunis, à leur demande, et le juge d'instruction du deuxième bureau l'a informée qu'elle était accusée de « nuire à l'ordre public et aux bonnes mœurs » selon l'article 121.3 du code pénal. Le 28 août, le juge d'instruction l'a interrogée. «J'avais l'impression d'être au temps de l'Inquisition», a-t-elle déclaré à Human Rights Watch. «Le juge d'instruction m'a demandé quelles étaient les intentions derrière mes œuvres visibles à l'exposition, et si j'avais voulu provoquer les gens à travers ce travail».
Le comité des droits de l'homme des Nations Unies a proclamé que les lois interdisant les discours jugés irrespectueux envers une religion ou un autre système de croyances étaient incompatibles avec le droit international, en dehors des circonstances très limitées où la haine religieuse revient à inciter à la violence ou à la discrimination.
L'affaire est au moins la quatrième dans laquelle les procureurs se sont servis de l'article 121.3 du code pénal pour émettre des accusations pour des discours jugés contraires aux bonnes mœurs et à l'ordre public, depuis la constitution de la nouvelle Assemblée nationale constituante du pays, en novembre 2011. Le 28 mars, le tribunal de première instance de Mahdia a condamné deux internautes à des peines de prison de sept ans et demi pour avoir publié des écrits perçus comme insultants envers l'islam. Le 3 mai, Nabil Karoui, le propriétaire de la chaîne de télévision Nessma TV, était condamné à verser une amende de 2 400 dinars pour avoir diffusé le film d'animation Persepolis, dénoncé comme blasphématoire par certains islamistes. Le 8 mars, Nasreddine Ben Saida, éditeur du journal Attounssia, était condamné à verser une amende de 1 000 dinars pour avoir publié une photo d'une star du football enlaçant sa petite amie nue.
Le juge d'instruction du tribunal de première instance de Tunis a informé les deux artistes, en août, qu'ils étaient poursuivis en vertu de l'article 121.3 du code pénal. ce article définit comme un délit «la distribution, la mise en vente, l'exposition aux regards du public et la détention en vue de la distribution, de la vente, de l'exposition dans un but de propagande, de tracts, bulletins et papillons d'origine étrangère ou non, de nature à nuire à l'ordre public ou aux bonnes mœurs».
«De nombreux Tunisiens s'attendaient à ce que des lois répressives comme l'article 121.3 ne survivent pas longtemps au dictateur qui les a fait adopter», déclare M. Goldstein. «Nous observons à présent que tant que le gouvernement provisoire ne se fixe pas comme priorité de se débarrasser de telles lois, la tentation est irrésistible de les utiliser pour réduire au silence ceux qui sont en désaccord ou qui pensent différemment».
Nadia Jelassi et Mohamed Ben Slama, dont les œuvres étaient montrées dans une exposition de La Marsa en juin 2012, pourraient écoper d'une peine allant jusqu'à cinq ans de prison s'ils étaient reconnus coupables. En soutien aux artistes, une campagne web dénonçant ces poursuites a été lancée sur les réseaux sociaux. tekiano